Chapitre 2. Indicateurs fauniques de la saisonnalité : les dents de mammifères

2.1 Introduction

L’intérêt des études de la saisonnalité en archéologie a été brillamment démontré par le travail de synthèse de G. G. Monks (1981) qui présente en outre toute une panoplie des méthodes utilisées pour identifier à partir du matériel archéologique des événements repérables dans le temps annuel. Il n’est pas opportun de présenter ici toutes ces méthodes car, en l’absence d’études récentes comparables, il serait nécessaire de les mettre systématiquement à jour. Beaucoup sont d’ailleurs inexploitables dans le contexte de notre recherche, comme l’étude des marques de croissance présentes dans les écailles, les vertèbres et les otolithes de poissons ou bien celle de la croissance des coquilles de mollusques dont l’auteur est spécialiste. Ce qu’il nous faut retenir, c’est le constat général que les indices biologiques, avec peut-être la micromorphologie des sédiments (géoarchéologie), forment une base beaucoup plus fiable et directe pour identifier des ensembles d’évènements que d’autres éléments archéologiques trop dépendants des comportements humains tels que la taille et la localisation d’un site, la forme, la disposition et l’évolution in fine des structures d’habitat, les pratiques funéraires, la typologie des industries. Au regard des commentaires et critiques de G. G. Monks (op. cit.), les méthodes les plus sûres et les plus précises sont basées sur l’estimation de la saison de mort des animaux à partir des dents (pour les mammifères) et sur la présence ou l’absence d’espèces migratrices. Pour étudier la saisonnalité des activités de subsistance, nous avons ainsi choisi de nous intéresser aux potentialités offertes par l’analyse des dents lactéales des herbivores (gazelles, caprinés et équidés), par l’étude du cément dentaire des petits ruminants (cémentochronologie), et par celle des restes d’oiseaux.

L’approche habituelle pour fixer des périodes calendaires à partir d’événements tels que l’éruption dentaire, la naissance, le début de croissance d’une partie osseuse et la présence/absence d’une espèce, se fonde généralement sur des analogies ou des référentiels actuels qui ne peuvent jamais prétendre à l’universalité. Cette approche est en partie intuitive, voire spéculative si des référentiels appropriés font défaut. L’emploi arbitraire d’intervalles de temps de longueur variable ne contribue pas seulement au manque de précision des estimations de la saisonnalité mais reflète aussi à la fois l’imprécision de la connaissance des périodes où surviennent habituellement ces événements et l’absence de moyen efficace pour estimer la variation dans le temps et la durée des événements (Monks, op. cit.). Malgré toutes les précautions que nous devons prendre pour adapter ou élaborer les méthodes qui seront appliquées au matériel faunique, leur pertinence ou, au contraire, leur manque de fiabilité ne seront vraiment saisissables que lorsque les divers résultats obtenus seront confrontés et soumis à interprétation.

Comme le montrent les études de cas existantes (e.g. Davis, 1983 ; Lieberman, 1991, 1993b ; Pike-Tay, 1991) et comme nous allons le voir prochainement dans ce travail, les indicateurs saisonniers sont souvent numériquement et donc statistiquement faibles dans la plupart des catégories considérés. L’effectif des données est pourtant un paramètre crucial pour déterminer des périodes de prédilection. Les observations taphonomiques, les profils de mortalité, les conditions écologiques, etc., sont par conséquent des variables importantes que nous devons aussi prendre en compte afin d’augmenter les informations contextuelles sur l’exploitation des animaux.

Les autres problèmes ne sont pas directement liés aux procédures méthodologiques mais résultent de la nature fragmentaire et vestigiale des contextes archéologiques. Les unités de temps introduites dans les études de la saisonnalité (le mois, la saison, l’année) ne sont pas inscrites précisément dans l’histoire événementielle des communautés préhistoriques mais définissent des périodes ou des rythmes intra-annuels, fondés sur des régularités ou sur des gestes non datés. Un ensemble stratigraphique représente presque toujours un palimpseste et pose des problèmes de conservation différentielle du matériel, de contemporanéité des niveaux d’occupation, de représentativité des données qui en sont extraites, etc. Comme l’ont suggéré plusieurs auteurs à propos du traitement des indicateurs saisonniers, « Analysis within culturally meaningful depositional units, presumably the aim of most archaeologists, can therefore be seen as the necessary first step in producing reliable seasonality estimates. Subsequently, the quality and quantity of seasonal indicators must be evaluated carefully in order to the bounds of reliability imposed by the data are not exceeded » (Casey, 1995, p. 224). Cependant, malgré ces précautions, l’interprétation des résultats a ses limites et ne peut être validée au final que par son degré de cohérence et de vraisemblance.

Dans ce chapitre, nous avons choisi d’évaluer les méthodes existantes pour déterminer la saison de mort des mammifères à partir de l’étude macroscopique ou microscopique des dents et de les adapter aux caractéristiques des taxons qui ont occupé les places les plus importantes dans le système de subsistance des sociétés épipaléolithiques et néolithiques du Levant nord : les gazelles, les caprinés domestiques et les équidés sauvages. La première méthode générale employée s’appuie sur l’estimation de l’âge des animaux, établie à partir des séquences chronologiques de l’éruption et de l’usure dentaires, la seconde sur les marques de croissance inscrites dans le cément dentaire. L’étude des restes d’oiseaux comme indicateurs de la saisonnalité, en raison de ses particularités, fait l’objet d’un chapitre distinct (Chapitre 3).