2.3 Cémentochronologie

Avec le développement de la gestion du gibier en Europe et en Amérique du Nord, les années cinquante et soixante ont vu fleurir de nombreux rapports méthodologiques sur la détermination de l’âge des animaux sauvages 36 . En particulier, la recherche sur les marques de croissance inscrites dans les tissus durs des animaux (os, dentine, cément, bois) ouvraient à cette époque de nouvelles perspectives pour l’analyse dynamique des populations. Grâce au prélèvement cynégétique, au marquage des jeunes et au contrôle sanitaire effectués sur plusieurs générations, les travaux en éco-démographie disposaient en principe de tout un ensemble de données sur les relations entre ces phénomènes et les cycles de vie de l’animal. Aussi, jusqu’à aujourd’hui, les études comparatives sur la structure histologique des tissus osseux et dentaires ont permis de mieux préciser la nature et les caractéristiques de ces marques chez un grand nombre d’espèces (e.g. Peabody, 1961 ; Klevezal’ et Kleinenberg, 1969 ; Grue et Jensen, 1979 ; Baglinière et al., 1992a ; Castanet et al., 1993), et d’élaborer une terminologie relative aux formations observées (Baglinière et al., 1992b).

Le terme « squelettochronologie » a été proposé en 1977 par J. Castanet et ses collaborateurs pour désigner l’ensemble des outils méthodologiques mis en œuvre pour estimer le paramètre temps (en particulier l’âge) à partir des phénomènes enregistrés de façon accrétionnelle (versus attritionnelle) par les éléments squelettiques (Castanet et al., 1977). Les premiers travaux portant sur le cément dentaire furent réalisés sur des mammifères marins (Laws, 1952), et furent poursuivis avec un certain succès sur les mammifères terrestres. Parmi les pionniers en la matière, citons D. E. Sergeant et D. H. Pimlott (1959) sur l’élan(Alces alces), E. H. McEwan (1963) sur le caribou (Rangifer tarandus), J. Mitchell (1963) sur le cerf élaphe (Cervus elaphus), W. A. Low et I. McT. Cowan (1963) sur le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), et N. S. Novakowski (1965) sur le bison d’Amérique (Bison bison). L’intérêt majeur de la cémentochronologie pour les biologistes résidait dans la possibilité d’obtenir des âges « absolus », contrairement à d’autres méthodes dites « classiques » basées sur les dates d’éruption ou le degré d’usure des dents, qui présentent des inconvénients inévitables comme la variabilité parfois importante de la vitesse d’usure chez une même espèce selon l’origine géographique des populations, ou la définition subjective de certains critères descriptifs (Morris, 1972 ; Stallibrass, 1982).

A notre connaissance, c’est seulement à partir de la fin des années soixante, avec l’étude de A. Saxon et C. Higham (1968, 1969) sur les moutons domestiques de Nouvelle-Zélande, que l’archéologie a commencé à tirer parti de cette méthode. Les recherches se sont principalement orientées vers l’estimation de la saison d’abattage des animaux dans l’optique d’appréhender le problème plus général des modes d’occupation des sites préhistoriques. Toutefois, sans doute parce qu’un équipement assez important est nécessaire pour son application (préparation des échantillons, analyse microscopique), cette méthode ne fait pas encore partie des procédures d’analyse « ordinaires » utilisées par l’archéozoologie. Très souvent, pour des questions de techniques, de temps et de budget, l’effectif des échantillons examinés est assez faible comparé à l’ensemble des restes dentaires potentiellement exploitables qui proviennent des niveaux archéologiques. Ainsi, si l’estimation de l’âge par la cémentochronologie a parfois servi à calibrer d’autres méthodes plus simples et plus rapides, elle ne les a jamais remplacées (Morris, 1972 ; Coy et al., 1982 ; Stallibrass, 1982 ; Beasley et al., 1992). Comme nous allons le montrer dans cette partie, il existe aussi un certain nombre d’incompréhensions à propos des principes biologiques de la cémentogenèse ainsi que des problèmes fréquents lors de l’étude microscopique des dents fossiles, qui rendent difficiles une application systématique à grande échelle. Néanmoins, les avantages qu’offre cette méthode pour résoudre des questions ayant trait à la saisonnalité et l’amélioration constante dont elle fait l’objet depuis plusieurs années méritent qu’on s’y intéresse de plus près.

Notes
36.

Beaucoup de ces travaux ont été publiés dans le Journal of Wildlife Management.