2.3.1.2 Phénomènes d’alternance des couches de cément

Comme la fabrication du cément est continue et que ce tissu est rarement sujet au remodelage ou à la résorption, il fournit en principe un enregistrement régulier des épisodes qui affectent son développement (Lieberman et Meadow, op. cit.). Les variations dans la cémentogenèse produisent une superposition de couches de cément qui, chez un très grand nombre de mammifères, sont corrélées avec la croissance saisonnière (Klevezal’ et Kleinenberg, 1969 ; Morris, 1972 ; Spinage, 1973, 1976a ; Grue et Jensen, 1979 ; Stallibrass, 1982 ; Pike-Tay, 1991 ; Lieberman et Meadow, 1992). Ces dépôts successifs sont visibles au microscope sur des coupes longitudinales ou transversales de la dent de 30 à 60 µm d’épaisseur, aussi bien dans le CA que dans le CC. La distinction est habituellement très nette sous lumière transmise polarisée ou lorsque les sections sont teintées artificiellement. L’analogie avec les cernes d’arbres (dendrochronologie) vient familièrement à l’esprit mais n’a qu’une utilité pédagogique, ces structures étant différentes à bien des égards (Grue et Jensen, op. cit.).

Dans le CC, ce phénomène d’alternance est caractérisé par de larges couches de tissu hypercellulaire mais faiblement minéralisé, séparé par des lignes relativement plus fines, de cément hypocellulaire ou acellulaire (Quéré et Pascal, 1983 ; Lieberman et Meadow, 1992). Situées dans la région apicale et entre les racines, ces couches sont de conformation très irrégulière, tortueuse, d’épaisseur variable, et sont donc difficiles à dénombrer (e.g. Saxon et Higham, 1969 ; Coy et al., 1982 ; Gordon, 1982 ; Pike-Tay, 1991 ; Lieberman et Meadow, op. cit. ; observation personnelle). En revanche, la croissance régulière, lente et frontale du CA, qui traduit la fonction de maintien de la dent par la minéralisation des fibres de Sharpey, fait que les couches paraissent plus isométriques, parallèles à la surface de la dentine, et séparées les unes des autres par des bandes plus fines à fort contraste optique. Les bandes étroites contiennent en général un taux plus élevé d’éléments minéraux que les bandes larges (Klevezal’ et Kleinenberg, 1969 ; Jones, 1987 ; Burke, 1993). Cette minéralisation relative expliquerait en partie l’observation d’une alternance aussi bien sous lumière réfléchie que sous lumière transmise.

Malgré une connaissance imparfaite des causes directes et indirectes de ce phénomène, ces dépôts successifs coïncident généralement avec le rythme des saisons, ou du moins avec un cycle annuel, chez un grand nombre de mammifères et sous des environnements variés (cf. listes établies par Klevezal’ et Kleinenberg, op. cit. ; Grue et Jensen, op. cit.). Comme le nombre de couches présentes dans les deux types de cément est bien corrélé avec l’âge chronologique de l’animal, l’archéologue peut donc s’en servir pour déterminer l’âge d’un individu ou bien pour calibrer d’autres méthodes visant à établir des profils de mortalité à partir, par exemple, de l’usure dentaire ou de la hauteur des dents. La dernière bande de cément à s’être déposée (bande externe) permet de connaître la saison durant laquelle l’animal est mort, et intéresse pour cette raison les archéologues travaillant sur les questions de saisonnalité. Cependant, en raison de sa croissance et de sa conformation irrégulières, le CC ne semble pas approprié pour l’estimation de la saison de mort, c’est pourquoi seul le CA doit être étudié dans cet objectif (Pike-Tay, 1991, 1995 ; Lieberman et Meadow, 1992 ; Beasley et al., 1992).