2.3.2 Procédure d’analyse du cément

2.3.2.1 Dents à sélectionner et région à examiner

Toutes les dents des mammifères possèdent du cément et sont donc potentiellement porteuses d’informations sur l’âge et la saison de mort de l’animal. Concernant les herbivores, les premiers travaux des biologistes se sont souvent portés sur les incisives (e.g. Sergeant et Pimlott, 1959 ; McEwan, 1963 ; Reimers et Nordby, 1968), mais pour les archéologues, ces éléments à racine unique et dont le rang anatomique n’est pas toujours déterminable présentent l’inconvénient de se retrouver habituellement à l’état isolé dans les sédiments, avec le risque d’avoir été altérés.

Les prémolaires et les molaires sont les dents les plus utiles pour l’analyse du cément (Beasley et al., 1992). Les rangées dentaires, même incomplètes, permettent de contrôler la pertinence des estimations obtenues par différentes méthodes et par conséquent d’augmenter de façon significative leur précision. Les jugales sont en outre plus fermement enchâssées dans l’os alvéolaire et plus faciles à manipuler compte tenu de leur taille relative, ce qui favorise en théorie la préservation intégrale du cément. Aussi, afin d’éviter toute interprétation erronée due à la perte des dernières couches de cément, il est déconseillé d’utiliser les dents isolées (Lieberman, 1991), bien que cela ait tendance à réduire le nombre de spécimens archéologiques exploitables. Dans notre étude, seules les séries mandibulaires ont été sélectionnées et les quelques dents isolées prises en compte provenaient de mandibules récemment brisées (au moment de la fouille, du lavage, ou bien durant le stockage du matériel) comme l’indiquent l’aspect caractéristique des racines 42 .

D’un point de vue technique, les jugales inférieures sont souvent préférées aux supérieures parce qu’il est plus aisé de faire des sections à travers une dent à deux racines plutôt qu’à trois. Cependant, mis à part des questions de commodité et même si l’épaisseur du cément varie aussi selon le type de dent, toutes les molaires et prémolaires peuvent être étudiées. En effet, il a été vérifié qu’il n’existait pas de différences dans le nombre de marques de croissance sur les dents homologues provenant de chaque rangée dentaire (gauche/droite, supérieure/inférieure), et les divergences observées entre les dents provenant de la même rangée correspondent aux différences connues dans les dates d’éruption (Grue et Jensen, 1979 ; Stallibrass, 1982 ; Pike-Tay, 1995). Certains chercheurs privilégient une dent particulière, comme la M1, dans l’optique de ne pas recompter deux fois le même individu (Coy et al., 1982), mais c’est un choix qui tient au protocole de calcul du nombre minimum d’individus. Pour notre part, l’unité choisie est la mandibule, quelle que soit la latéralité. Nous avons sélectionné en priorité les molaires et la P4, qui servent également pour la méthode basée sur la hauteur de la couronne et sur l’éruption dentaire, les déciduales et les autres prémolaires étant trop petites chez les gazelles et les caprinés pour être préparées correctement avec les moyens techniques disponibles. Dans la pratique, ce sont les dents les moins abîmées de la rangée, celles qui présentaient en apparence du cément bien conservé, qui ont été retenues.

Sur le choix de la zone de la dent à examiner, nous n’avons considéré que la moitié supérieure de la racine, et plus particulièrement le cément situé près du collet, vers la jonction amélo-dentinaire, pour les raisons invoquées plus haut. Pour mettre en évidence le cément acellulaire, des sections longitudinales ont été réalisées, i.e. une découpe selon le plan sagittal passant par la base de la racine et le milieu de la couronne, la plupart dans le sens mésio-distal. De cette manière, la face intérieure expose le pourtour des deux racines à la fois. Une comparaison directe des couches de cément peut être faite entre le bord mésial et le bord distal, et sur un périmètre maximum. Les sections longitudinales sont généralement préconisées (Gordon, 1982 ; Lieberman, 1991 ; Pike-Tay, 1991, 1995 ; Beasley et al., 1992 ; Burke, 1993), car l’emploi des sections transversales peut être source d’erreurs (Morris, 1972) : les types de cément (CA ou CC) varient dans le sens de la hauteur de la dent et il n’est pas toujours possible avec cette technique de tomber sur la zone la plus favorable 43 . Néanmoins, les sections longitudinales ne sont pas exemptes d’inconvénients. Le plus sérieux d’entre eux survient lorsque le plan de découpe n’est pas parfaitement perpendiculaire à la surface de la racine : comme la section possède une certaine épaisseur (30 à 60 µm en moyenne), les différentes couches de cément traversées par la lumière se projettent de façon oblique et apparaissent superposées à l’observateur (Fig. 2.46). Ce type d’incident s’est produit quelquefois lorsque nous avons réalisé des sections vestibulo-linguales de la dent, même sur la racine la plus large de la M3 (sa surface étant légèrement plissée). Nous préconisons dorénavant d’éviter cette orientation.

Notes
42.

Lorsque la dent est restée à l’état isolé dans les sédiments, le cément est généralement teinté par les minéraux environnants, et des dépôts y restent parfois accrochés. Lorsqu’elle est encore enchâssée, le cément garde sa couleur jaunâtre naturelle (mais il existe des exceptions).

43.

A contrario, D. Albright (1993) trouve plus avantageuses les sections transversales sur les canines de phoque marbré (Phoca hispida).