2.3.2.3 Observation microscopique des lames minces et problèmes usuels

Les lames minces de dents modernes et fossiles peuvent être observées sous lumière réfléchie et sous lumière transmise polarisée ou non polarisée (Beasley et al., 1992). Suivant la procédure proposée par B. C. Gordon (1982) et appliquée dans la majorité des études récentes (e.g. Lieberman et al., 1990 ; Pike-Tay, 1991 ; Landon, 1993 ; Martin, 1994), nous avons utilisé un microscope à lumière transmise polarisée croisée pour examiner nos échantillons. Dans le cas des dents de gazelles et de caprinés, un grossissement de 40 ou 50 fois sous lumière polarisée s’avère suffisant pour obtenir une image nette des couches de cément. Le recours au grossissement de 100 est de temps en temps nécessaire pour mieux cerner les détails problématiques.

L’observation des lames minces sous lumière transmise non polarisée permet dans un premier temps de reconnaître le cément acellulaire du cément cellulaire, l’emplacement exact de la couche granuleuse de Tomes, le cément intermédiaire, les dépôts étrangers superficiels, l’état général de conservation du cément (intégral, segmenté, décollé, etc.). Dans certains cas, des bandes contrastées sont déjà perceptibles dans le cément acellulaire.

Ensuite, sous lumière polarisée, le phénomène d’alternance des bandes peut être clairement mis en évidence en orientant le bord de la dent selon un angle d’environ 40-45° par rapport à l’axe nord/sud du polariseur. Le périmètre entier de la racine doit être inspecté afin de trouver les régions les plus favorables à la lecture des marques de croissance. La comparaison des deux images (polarisée et non polarisée) d’un même secteur est primordiale pour l’interprétation des couches de cément en ce qu’elle permet de prendre des points de repères (couche granuleuse de Tomes, annuli, dépôts minéraux) avant le dénombrement et la mesure des couches annuelles (Gordon, 1982).

Toutes les lames minces de dents fossiles ne sont malheureusement pas exploitables et c’est une situation relativement commune en cémentochronologie (Lieberman, 1994). La première raison tient à la qualité des préparations. Des incidents techniques peuvent survenir à toutes les étapes de la fabrication et la difficulté majeure est l’obtention d’une épaisseur adéquate. Les lames trop épaisses tendent par exemple à obscurcir les annuli tandis que les trop minces assombrissent toutes les couches du cément (Fig. 2.46 ; cf. aussi Savelle et Beattie, 1983). Si un repolissage permet de corriger les contrastes optiques dans le premier cas, une lame trop mince est malheureusement irrécupérable et la seule solution consiste à préparer une autre section du même échantillon (ou une autre dent appartenant au même individu).

Deuxièmement, les problèmes rencontrés dans l’interprétation des structures observées sont liés à la qualité même des échantillons. Divers processus diagénétiques peuvent altérer les couches du cément et conduire à des estimations incorrectes de l’âge et de la saison de mort. C’est en outre une enveloppe fragile qui peut être endommagée par la manipulation des dents au cours de la fouille ou du lavage du matériel. Très souvent, sur les spécimens fossiles, le cément est par endroits fissuré transversalement ou longitudinalement : il apparaît segmenté, ce qui rend difficile le suivi précis de chaque bande sur une longueur appréciable (Fig. 2.46 et 2.47). Le bord externe subit des altérations multiples, mécaniques ou biochimiques, qui empêchent parfois l’interprétation de la dernière couche pour la saisonnalité. On observe ainsi sur certains échantillons une frange dentelée, micro-fissurée, dont l’origine pourrait être bactérienne ou fongique (Savelle et Beattie, 1983 ; Lieberman, 1994 ; Burke et Castanet, 1995). Des particules de sédiments viennent régulièrement s’ajouter au bord du cément ; ces dépôts minéraux sont aisément identifiables sous lumière polarisée (Fig. 2.47, 2.48 et 2.49) 50 , mais peuvent occasionnellement s’infiltrer dans les tissus cémenteux et osseux jusqu’à en obscurcir totalement la lecture (Fig. 2.47). La présence de zones de réparation ou de résorption, liées à des microtraumatismes ou à une inflammation du ligament parodontal ou de la gencive, peut être constatée mais elle est peu fréquente (Fig. 2.48 ; cf. Grue et Jensen, 1979).

Une fois ces anomalies écartées, il reste à s’assurer de l’identité des couches de cément mises en évidence par des changements dans les propriétés optiques. De nombreux auteurs ont souligné la confusion possible entre les « vrais » et les « faux » annuli (ou lignes secondaires, Fig. 2.49), en dépit du fait que ces derniers accessoires « possèdent des caractéristiques (discontinuité, dédoublement, espacement irrégulier, degré d’opacité plus faible) qui indiquent que leur formation ne correspond pas au cycle annuel normal de réduction ou d’arrêt de croissance » (Baillon, 1992, p. 32, à propos des otolithes). M. J. Beasley et ses collaborateurs (1992) déconseillent l’observation du cément à fort grossissement car ces marques y sont révélées à tel point qu’il y a réduction générale de la clarté des vrais annuli et que la distinction entre les bandes saisonnières et les lignes secondaires devient alors difficile. Il a été noté aussi des lignes « divisées » (split lines) ou « doubles » mais elles ne seraient présentes que dans les couches irrégulières du cément cellulaire (Lockard, 1972 ; Spinage, 1976a ; Grue et Jensen, 1979 ; Coy et al., 1982). Toutes ces confusions ont pour conséquence une surestimation de l’âge de l’animal ou une estimation erronée de la saison de mort.

Pour tenter d’y remédier, il est nécessaire d’accentuer le contraste différentiel des marques de croissance, soit directement à partir du microscope en faisant varier l’intensité de la lumière, en modifiant le diaphragme ou en ajoutant un filtre vert ou bleu, soit sur photographie grâce à un logiciel de traitement d’images (infra). En principe, comme la largeur des zones de croissance ne varie pas considérablement dans le cément acellulaire, sa mesure peut aussi contribuer à repérer de manière approximative la position des annuli et à les distinguer des lignes secondaires. Cette dernière méthode doit être toutefois utilisée avec prudence car la dissolution diagénétique du cément aurait tendance à réduire la largeur des bandes dans les dents fossiles (Lieberman, 1994). En outre, il semblerait que les premières zones de croissance soient sensiblement moins épaisses, plus « compressées » que les dernières, du moins chez certains ongulés (McEwan, 1963 ; Klevezal’ et Pucek, 1987 ; Pike-Tay, 1991, 1995) 51 . Dans tous les cas, multiplier les observations sur différents secteurs du cément permet de mieux identifier les problèmes potentiels et d’augmenter en conséquence la fiabilité des interprétations.

Notes
50.

Un autre problème mineur est l’effet optique créé sous lumière polarisée par les différences de réfraction entre le cément et la résine environnante (Lieberman, 1994). La bordure apparaît sombre ou brillante (ligne de Becke), et pourrait être confondue avec une bande externe opaque ou translucide si elle ne disparaissait pas sous lumière naturelle.

51.

Certains auteurs (Sergeant et Pimlott, 1959 ; Novakowski, 1965 ; Ransom, 1966 ; Grue et Jensen, 1979 ; Stallibrass, 1982 ; Debeljak, 1998) notent a contrario que cette épaisseur diminue progressivement avec l’âge, les bandes les plus récentes étant plus fines que les premières. Ces différences d’appréciation dépendent probablement du type de cément examiné et de l’espèce en question.