2.3.2.4 Traitement informatique des images microscopiques

La difficulté de l’analyse du cément tient à quatre facteurs principaux : des mécanismes biologiques mal connus, l’échantillonnage, la qualité du spécimen et la subjectivité de l’observateur (Lieberman et al., 1990). Nous avons abordé jusqu’à maintenant les trois premiers points et venons d’exposer les problèmes les plus souvent rencontrés durant la lecture des lames minces.

Au final, en fonction de l’état des connaissances pratiques et théoriques du chercheur, l’estimation du nombre de marques de croissance ou de la nature de la dernière couche de cément est toujours susceptible de varier. Des tests à l’aveugle l’ont démontré, soit en faisant répéter la lecture des échantillons par la même personne (Albright, 1993), soit en comparant les résultats donnés par différentes personnes pour un même échantillon (Lieberman et al., 1990). Aussi, l’exploitation informatique des images microscopiques est un moyen indispensable aujourd’hui pour quantifier des observations et en vérifier plus facilement la pertinence. Cette technique est de plus en plus employée par la cémentochronologie appliquée au matériel archéologique (Lieberman et al., 1990 ; Lieberman, 1991 ; Landon, 1993 ; Burke et Castanet, 1995 ; Pike-Tay, 1995 ; Griggo et Pubert, 1999), ainsi que par d’autres disciplines de la sclérochronologie (e.g. Bach et Chauvelon, 1992 ; Chauvelon et al., 1992).

Suivant la procédure adoptée dans cette recherche, le microscope de polarisation est relié à un ordinateur via une caméra, un câble de fibres optiques et une carte vidéo (station Visiolab de la société Biocom). Par cet intermédiaire, l’image d’un secteur de la lame mince apparaît dans une fenêtre de l’écran de l’ordinateur, en mouvement continu, de manière à ce que la mise au point puisse être contrôlée sans passer obligatoirement par les oculaires du microscope. Les données analogiques de l’image transmises par le canal vidéo y sont transformées en données numériques.

Une première lecture de l’échantillon est faite pour rechercher les régions favorables, noter la qualité optique de la préparation et l’état général de conservation du cément, identifier les principales structures de la dent et compter le nombre de marques de croissance. Les secteurs sélectionnés pour l’étude sont ensuite « photographiés » en stoppant la séquence vidéo. Pour chaque échantillon, nous prenons 2 à 16 photographies sur la base de deux images par secteur : l’une sous lumière non polarisée (i.e. sans analyseur), l’autre sous lumière polarisée. Avec le dispositif et le logiciel employés, l’image a une taille de 768 x 576 pixels et est enregistrée avec une valeur de 8 bits/pixel, soit une gamme de 256 couleurs. Pour donner un ordre de grandeur, avec un objectif microscopique grossissant 20 fois, on obtient l’image d’un secteur d’environ 0,714 x 0,535 mm, chaque plus petit point de couleur correspondant à 0,93 µm de diamètre 52 .

La qualité de la photographie est ensuite améliorée à l’aide d’un logiciel de traitement d’image. Pour rappel, à chaque pixel d’une image numérique est automatiquement attribuée une valeur en fonction de sa luminance, que cette image soit en couleur ou seulement en niveaux de gris. La gamme de luminance comprend 256 valeurs, de la plus claire (blanc, valeur 0) à la plus sombre (noir, valeur 255). Sur une image prise sous lumière polarisée, pour obtenir un contraste optimal entre les zones de croissance (valeurs faibles) et les annuli (valeurs élevées), l’écart des valeurs entre le pixel le plus clair et le pixel le plus foncé doit être augmenté. La plupart des logiciels proposent en outre divers filtres pour accentuer les reliefs ou homogénéiser l’apparence des structures principales (cf. explications et commentaires in Lieberman et al., 1990). Cependant, sauf lorsqu’il est nécessaire de renforcer la netteté d’une image autrement que par la mise au point manuelle sur le microscope, il est préférable d’éviter le recours aux filtres car ces procédés font perdre une petite part de l’information originelle.

Certains logiciels permettent d’obtenir graphiquement des profils de luminance pour des lignes de points sélectionnées sur l’image et donc de représenter quantitativement les différences de propriétés optiques existant entre les bandes de cément 53 . L’usage de cet outil informatique en cémentochronologie a été surtout développé par D. E. Lieberman et ses collaborateurs (op. cit.). Lorsque l’on suit une droite traversant plusieurs couches de cément, depuis la couche granuleuse de Tomes jusqu’au bord extérieur en contact avec la résine, le profil obtenu représente une succession de pics et de creux correspondant respectivement à des valeurs élevées (annuli) et à des valeurs faibles (zones de croissance). L’épaisseur minimale de cette droite est de 1 pixel (i.e. 0,93 µm pour un grossissement de 20) mais peut être augmentée pour calculer des luminances moyennes et donc assouplir la courbe sinusoïdale. A partir de ces données graphiques, il est possible de déterminer le nombre et la nature des marques de croissance dans un échantillon. Les « transects » doivent être multipliés sur différents secteurs afin de s’assurer de la récurrence d’un profil donné, et plusieurs transects parallèles et équidistants permettent éventuellement de concevoir une sorte de représentation artificielle en trois dimensions de la région concernée. Il faut toutefois garder à l’esprit que la luminance moyenne d’une couche de cément n’est pas une mesure absolue de sa translucidité ou de son opacité, mais une mesure relative qui dépend des divers paramètres optiques affectant le phénomène d’alternance (qualités de la préparation et de l’échantillon, réglages du microscope).

A titre d’exemple, sur la figure 2.50 (une M2 gauche d’Ovis aries provenant d’El Kowm 2), on distingue immédiatement 6 bandes claires sous lumière polarisée. La première correspond au cément intermédiaire (CI) déposé avant la sortie de la dent, et les suivantes aux zones de croissance (ZC), séparées par des bandes sombres, les annuli (A). Au niveau de la bordure extérieure (bien nette sous lumière non polarisée), la dernière couche de cément apparaît large et sombre. Les deux transects choisis montrent alors des profils très similaires qui confirment notre première lecture : 5 zones de croissance et 6 annuli au total. Les lignes transversales multiples et foncées, qui sont les empreintes des fibres de Sharpey, tendent à faire paraître les annuli, comme dans le cas du quatrième (A4), beaucoup plus larges qu’ils ne le sont en réalité. Si l’on examine maintenant les profils de luminance près de la bordure (notée par une barre verticale), on remarque que le dernier annulus (A6) est complet et que s’amorce ensuite une zone plus claire. Il pourrait s’agir du départ d’une zone de croissance (ZC6) mais la surbrillance des dépôts minéraux adjacents cause peut-être un léger effet d’optique sur le cément lui-même. Une interprétation prudente conclura que l’individu est mort durant la transition entre la période de croissance ralentie et la période de croissance rapide.

Il est évident que cette méthode ne remplace pas l’examen visuel minutieux des structures histologiques d’autant que, malgré toutes les mesures de précaution que peut prendre l’analyste, l’interprétation des lames minces n’échappe pas à un certain arbitraire. Dans le meilleur des cas, lorsque les marques de croissance sont clairement distinctes, les profils de luminance ne font que corroborer les données visuelles, et à l’inverse, lorsque l’échantillon est de qualité médiocre, ils offrent rarement des solutions d’amélioration. Néanmoins, comme dans l’exemple précédent, l’intérêt majeur de cet outil est de pouvoir appréhender plus précisément les phénomènes optiques qui caractérisent la dernière couche de cément pour l’estimation de la saisonnalité (Lieberman et al., 1990).

Notes
52.

Augmenter par la suite la résolution numérique de l’image n’améliore en rien la précision d’origine qui est fixée définitivement par les capacités techniques de la carte vidéo.

53.

Nous nous sommes servi pour cela du logiciel Scion Image (cf. http://www.scioncorp.com). Il s’agit de la version pour plate-forme PC de NIH image, un logiciel publique et gratuit d’analyse d’images créé par Wayne Rasband (National Institutes of Health, Etats-Unis) et utilisé par D. E. Lieberman.