3.2.3 Détermination du statut phénologique de l’avifaune préhistorique

L’état actuel de la connaissance scientifique sur l’avifaune syrienne permet ainsi de constater que l’attribution d’un statut phénologique aux oiseaux du Néolithique ancien ne va pas de soi, contrairement à ce qu’il peut sembler pour d’autres régions du monde, comme en Europe occidentale, qui ont été et continuent d’être intensivement explorées par les ornithologues.

Près de 80 espèces d’oiseaux ont été identifiés dans les sites archéologiques que nous avons étudiés. Excepté les corvidés qui sont des oiseaux de moyenne ou grande taille, nous n’avons pas pris en compte les Passériformes parce que leurs restes sont très rares sur ces sites de plein air et sont toujours susceptibles d’être d’origine non-anthropique (morts naturelles, proies de prédateurs). Pour chacune de ces espèces, nous avons cherché à établir son statut phénologique pour la ou les région(s) concernée(s) – la moyenne vallée de l’Euphrate ou la Palmyrène – et, pour les migrateurs, à préciser les dates de passage, d’arrivée et de départ. Ces dates correspondent aux périodes d’observations les plus fréquentes et tiennent compte dans la mesure du possible des fluctuations qui surviennent d’une année sur l’autre. Ce ne sont donc pas les pics d’apparition qui ont été retenus mais l’intervalle le plus large, qui est moins susceptible d’avoir changé depuis la fin du Pléistocène. Nous avons pour cela exploité et confronté les rapports de W. Baumgart (op. cit.) et de F. Hüe et R. D. Etchécopar (1970) tout en nous reportant à d’autres ouvrages (e.g. Voous, 1960 ; Cramp et Simmons, 1977, 1980, 1983 ; Cramp, 1985 ; Porter et al., 1996 ; Magnin et Yarar, 1997 ; Mullarney et al., 1999) afin de mieux apprécier la situation globale des taxons les plus problématiques à l’est du bassin méditerranéen.

Le statut phénologique est ici défini selon la durée et la saison de fréquentation de la région concernée ; il ne s’agit donc pas du statut général concernant la mobilité de l’oiseau (grands ou petits migrateurs, oiseaux envahisseurs, etc.) bien qu’il ait son intérêt pour comprendre les mouvements que l’on observe au niveau de la région. Quatre catégories ont été distinguées :

  1. Espèces résidentes (ou sédentaires) : oiseaux nicheurs présents toute l’année ;
  2. Espèces estivantes : oiseaux nicheurs présents seulement du printemps jusqu’à l’automne (estivage) et quittant le territoire pour hiverner dans les régions situées plus au sud (migration) ;
  3. Espèces hivernantes : oiseaux présents de l’automne au printemps (hivernage), en dehors de la période de reproduction ;
  4. Espèces migratrices (ou de passage) : oiseaux migrateurs qui traversent et font escale en Syrie pour une période brève, avant de rejoindre d’autres régions.

Le tableau 3.1 donne un aperçu de la proportion des différentes catégories pour les oiseaux non-Passériformes (exceptés les corvidés) qui fréquentent aujourd’hui la Syrie. Le nombre d’espèces hivernantes, comparable à celui des espèces résidentes, est supérieur à celui des espèces estivantes (31,7 contre 22,1 %), tandis que les espèces de passage ne représentent que 7 % des taxons pris en compte : il existe donc pour cette méthode un déséquilibre potentiel en faveur de certains indicateurs saisonniers.

Les limites tracées entre ces catégories ne sont pas toujours très nettes. Des problèmes d’attribution se posent ainsi lorsqu’une espèce, comme le colvert (Anas platyrhynchos), le milan noir (Milvus milvus), la buse variable (Buteo buteo), l’outarde barbue (Otis tarda) ou le pigeon ramier (Columba palumbus), est connue comme nicheuse dans la région sud-est de la Turquie, à proximité de la frontière syrienne, mais ne l’est manifestement pas dans les régions qui nous intéressent, un peu plus au sud. Cet oiseau nichait-il dans le nord de l’Euphrate syrien à l’époque néolithique ? Cette différence de statut sur une distance aussi courte est-elle liée à de réelles préférences écologiques, ou bien ne fait-elle que refléter la rareté des prospections ornithologiques ou résulter de l’impact anthropique ? Il est donc indispensable d’examiner la potentialité d’une nidification dans le nord du pays en confrontant les diverses données ornithologiques, écologiques et/ou archéologiques qui sont disponibles pour l’espèce en question, en tenant compte des conditions environnementales et climatiques de la fin du Pléistocène récent et du début de l’Holocène (Chapitre 1). De même, le fait que la moyenne vallée de l’Euphrate traverse, du nord au sud, un environnement steppique qui tend progressivement vers l’aridité, peut avoir des conséquences importantes pour l’interprétation des données : par exemple, si l’on admet d’un point de vue écologique que la steppe relativement humide autour de Dja’de el Mughara pouvaient accueillir une population nicheuse d’outarde barbue (Otis tarda), les conditions estivales propres à la latitude de Mureybet, à une centaine de kilomètres plus au sud, lui étaient-elles encore favorables ?

L’exercice se complique en outre avec des espèces qui ont été identifiées dans les sites néolithiques et qui sont aujourd’hui considérées comme accidentelles en Syrie. C’est le cas de l’oie naine (Anser erythropus), du fuligule milouinan (Aythya marila), du harle bièvre (Mergus merganser), et de l’outarde canepetière (Tetrax tetrax). Là encore, seule les données historiques et la comparaison avec les régions adjacentes peuvent apporter des éléments en faveur de tel ou tel statut phénologique.

Enfin, lorsqu’une espèce résidente voit ses effectifs augmenter considérablement à certaines saisons avec l’apport de ses congénères migrateurs ou erratiques 65 , la catégorie dans laquelle elle est rangée en priorité tend à masquer l’importance économique saisonnière que cet oiseau pouvait représenter pour les chasseurs néolithiques. Les quatre seules espèces qui posent ce problème sont aussi celles pour lesquelles le statut de résident a été proposé sur la base d’arguments théoriques ou de données partielles : le colvert, la sarcelle marbrée (A. angustirostris), le busard des roseaux (Circus cyaneus) et l’outarde barbue. Pour la région de l’Euphrate, une partie de la population pouvait être disponible toute l’année, en dépit de la réduction de son effectif en été, et l’hypothèse d’une chasse saisonnière est alors difficilement vérifiable archéologiquement. Pour éviter toute ambiguïté, nous avons préféré maintenir leur statut présumé de résident, en relevant en parallèle les périodes habituelles de migration des populations exogènes.

Ces situations diverses montrent toutes les difficultés rencontrées pour l’attribution d’un statut phénologique à des espèces pour lesquelles les informations sont rares, fragmentaires ou totalement absentes (Morales Muñiz, 1998). Fort heureusement, ce problème ne concerne qu’un petit nombre de taxons.

Notes
65.

Les espèces erratiques (ou nomades) sont des oiseaux qui, après la saison de reproduction, vagabondent à plus ou moins grande distance de l’endroit où elles ont niché (Curry-Lindahl, 1980, p. 21).