Oiseaux immatures

Pour les oiseaux comme pour les mammifères, l’âge des jeunes individus estimé à partir de l’étude de la croissance squelettique fournit des informations sur la saisonnalité dans la mesure où sa précision et sa fiabilité sont garanties. Comme le note D. Serjeantson (1998), l’intérêt de chasser des jeunes oiseaux pour certains groupes humains peut résider dans le fait qu’ils sont plus faciles à capturer à cause de leur inexpérience, ou parce que leur chair est plus tendre que celle des adultes.

A côté d’autres méthodes basées sur l’éruption ou l’usure des dents, le degré de soudure entre la diaphyse et les épiphyses des os longs est souvent employé pour estimer l’âge d’abattage des mammifères (e.g. Bull et Payne, 1982 ; Bullock et Rackham, 1982). Pour les oiseaux, le problème se pose différemment car, contrairement à ce que l’on observe chez les mammifères, leurs os longs ne possèdent pas de centres d’ossification secondaire à leurs extrémités, à l’exception du tibiotarse proximal (Bellairs et Jenkin, 1971). A la naissance, la plupart se présentent donc d’un seul tenant avec un cône de cartilage à chaque extrémité. La calcification du cartilage au cours du développement de l’oiseau donne progressivement aux surfaces articulaires leur conformation finale tandis qu’au niveau de la diaphyse se forme la cavité médullaire où prennent place, selon les cas, la moelle et/ou les sacs aériens (Higgins, 1999). Une fois la croissance squelettique terminée, l’aspect poreux de la surface osseuse disparaît et il n’est plus possible d’estimer l’âge à l’aide de caractères macroscopiques. Pour l’archéozoologue, la maturité est atteinte à ce stade et l’oiseau est considéré comme « adulte », désignation commode qui n’a pas vraiment de rapport réel avec le comportement général de l’oiseau et qui ne doit pas être confondue avec la maturité sexuelle qui apparaît généralement plus tard. Certains os comme le tibiotarse, le tarsométatarse, le carpométacarpe, l’os coxal, le synsacrum, et le notarium chez plusieurs familles, sont formés par la fusion ou l’ankylose de plusieurs éléments squelettiques (Baumel, 1979 ; cf. table 1 in Serjeantson, 1998). Le degré de soudure de ces éléments peut alors servir, comme pour les os longs des mammifères, à savoir si l’individu a passé ou non un stade précis de développement. Les dimensions de l’os augmentent régulièrement jusqu’à l’âge adulte mais la variation entre les individus, les sexes et les populations est telle que ce paramètre n’est pas facilement utilisable pour estimer l’âge 66 .

L’ensemble des critères précédents (aspect poreux de la surface, absence ou ébauche des zones articulaires, soudure incomplète) permet de distinguer un os d’oiseau immature d’un os adulte dans le matériel archéologique. La période immature peut également être subdivisée en classes d’âge générales à partir de ces mêmes critères. La plupart des auteurs (e.g. Münzel, 1983 ; Avery, 1984 ; Avery et Underhill, 1986 ; Münzel, 1983 ; Corona, 1997 ; Gotfredsen, 1997 ; Lefèvre, 1997) en utilisent deux ou trois que l’on peut définir de la manière suivante en se basant sur les os longs :

  • poussins (ou pré-juvéniles) : os petits et très fragiles, position anatomique difficilement identifiable, épiphyses informes, aspect fibreux et poreux du périoste surface, os composites complètement dissociés ;
  • juvéniles : taille encore réduite des os, contours grossiers mais reconnaissables des épiphyses, aspect légèrement poreux du périoste, os composites incomplètement soudés ;
  • subadultes : forme et taille de l’os très proches du stade final, aspect légèrement poreux des épiphyses, os composites soudés mais ligne de soudure visible ;

Les caractères retenus pour chacune des classes d’âge sont en général des variables continues et introduisent par conséquent une certaine subjectivité, le caractère le plus fiable restant le degré de soudure. Des processus taphonomiques, tels que la digestion partielle des ossements par des carnivores (Payne et Munson, 1985 ; Horwitz, 1990) ou la dissolution géo- ou biochimique, sont susceptibles d’altérer la surface osseuse et de produire des stigmates approchants. L’observation des extrémités à l’aide d’une loupe suffit normalement pour écarter toute erreur d’interprétation.

Le problème le plus sérieux rencontré par la méthode vient de la quasi-absence des données de référence pour caler ces classes d’âge avec un âge absolu (sauf pour la poule domestique, Gallus gallus). La croissance squelettique de chaque espèce a en effet sa propre chronologie (selon qu’elle soit nidifuge ou nidicole, de grand ou de petit format, etc.). Il faudrait alors disposer d’un référentiel adéquat pour chacun des taxons ayant livré des os d’immatures dans les sites archéologiques, ce qui est difficilement concevable en pratique pour des oiseaux sauvages. 67

Malgré cet inconvénient, cette méthode permet d’obtenir des estimations satisfaisantes sur la saison de capture, du moins pour les oiseaux à croissance relativement rapide. Pour prendre l’exemple du poulet domestique, l’âge atteint au moment où disparaît la ligne de soudure sur le tarsométatarse proximal varie de 4 à 6 mois chez les races traditionnelles (Coy, 1983 ; Serjeantson, 1998). A ce stade, le carpométacarpe et le tibiotarse sont déjà soudés mais l’os coxal, le synsacrum et le notarium ne le sont pas encore. En ne considérant que les os longs, on peut donc supposer que la croissance squelettique chez les espèces sauvages de format comparable ou plus petit ne dure qu’une saison ou deux, et diviser arbitrairement cette période de manière à y répartir les trois premières classes d’âge. L’estimation de la saisonnalité sera alors faite en se basant sur la date moyenne de naissance de l’espèce étudiée. Avec les espèces de grande taille et à croissance plus lente, comme l’outarde barbue (Otis tarda) ou la grue cendrée (Grus grus), l’estimation de la saisonnalité nous semble envisageable seulement avec les stades « poussins » et « juvéniles ».

Une difficulté supplémentaire est l’attribution d’une identité spécifique, voire simplement générique, aux restes d’oiseaux immatures. Cet exercice s’avère pratiquement impossible pour les os de poussins mais, quelle que soit leur appartenance taxinomique et à condition qu’il n’y ait pas dans l’assemblage des espèces domestiques à cycle de reproduction continu comme la poule, ils sont par eux-mêmes des indicateurs printaniers ou éventuellement estivaux. Dans certains contextes archéologiques, des arguments indirects peuvent aussi être utilisés pour interpréter les restes d’immatures mal identifiables : sites côtiers avec abondance de restes d’oiseaux marins nichant en colonies (sulidés, laridés, alcidés), sites protohistoriques ou historiques où l’élevage de la volaille était pratiqué, sites en grottes avec forte présence d’oiseaux rupicoles (corvidés, Columba livia), etc.

Dans le matériel néolithique que nous avons étudié, les restes d’oiseaux immatures sont peu fréquents et ils appartiennent majoritairement à des individus subadultes. Certains d’entre eux ont pu apporter des compléments d’informations sur la distribution saisonnière de la chasse.

Notes
66.

D. Brothwell (1997) en a fait la tentative sur des ossements de poulets, dans un contexte romain de pratiques rituelles avec sacrifice, mais avec un succès très relatif.

67.

Sur ce point, il serait intéressant de connaître à partir de quel stade de la croissance squelettique l’oiseau immature peut commencer à voler. Si la pleine acquisition des fonctions locomotrices exigeait les mêmes caractères anatomiques pour l’ensemble des espèces, cette corrélation serait très utile pour l’étude de la saisonnalité car l’âge du premier envol est connu pour un très grand nombre d’espèces.