Os médullaire

L’os médullaire est un dépôt de calcium stocké temporairement dans le squelette de l’oiseau et servant à la fabrication de la coquille des œufs au moment de la ponte (Rick, 1975). Peu de travaux physiologiques lui ont été consacrés jusqu’à présent (cf. Serjeantson, 1998), mais il semblerait concerner un très grand nombre d’espèces. L’étude de K. Simkiss (1967, cité par Rick, 1975) en présente une dizaine et la liste ne cesse de s’allonger à travers les découvertes archéozoologiques. De ce point de vue, mentionnons les observations de A. M. Rick (op. cit.) chez le hibou des marais (Asio flammeus) et la bernache du Canada (Branta canadensis), celle de S. Münzel (1983) chez l’oie des neiges (Anser caerulescens), et celle de J. Pichon (1984) chez la perdrix choukar (Alectoris chukar). Certaines espèces comme les bécasseaux (Calidris) ont développé d’autres mécanismes pour faire des réserves de calcium et ne produiraient donc pas d’os médullaire (MacLean, 1974, in Rick, 1975).

Comme son nom l’indique, ce tissu minéralisé s’accumule dans la cavité médullaire des os, en particulier dans les os longs mais aussi dans les côtes et la scapula. Parmi les restes de poules domestiques provenant des sites archéologiques, les fémurs et les tibiotarses sont les parties anatomiques dans lesquelles il est le plus souvent observé (Driver, 1982 ; Coy, 1983). La composition de l’os médullaire est proche de celle des autres tissus osseux par la présence de collagène et de phosphate de calcium (apatite), avec quelques différences dans la proportion d’azote et d’autres éléments chimiques (Rick, op. cit.). Il se présente comme un agglomérat peu compact de spicules, fixé sur la paroi intérieure de la cavité médullaire (endoste) qu’il peut remplir complètement dans certains cas (Fig. 3.1). Il est assez friable au toucher mais, par sa composition, se conserve aussi bien que le support osseux. Sa quantité est variable selon les éléments squelettiques et elle est relativement faible dans ceux qui, comme l’humérus, contiennent des sacs aériens. Enfin, cette quantité dépend aussi du cycle de reproduction, selon que le calcium est mis en réserve dans le squelette ou libéré dans le sang pour former la membrane extérieure de l’œuf. L’os médullaire ne concerne donc normalement que les femelles fécondées, mis à part les cas exceptionnels de la poule domestique et de certains oiseaux en captivité.

Quelle précision sa présence dans les assemblages archéologiques peut-elle apporter pour l’étude de la saisonnalité ? D’après les études faites sur le pigeon biset (Columba livia) et la poule domestique, l’os médullaire apparaît et se développe rapidement une semaine ou deux environ avant la ponte (Simkiss, 1967, in Rick, op. cit.). Il faut tenir compte ensuite qu’il existe un intervalle de temps entre chaque œuf déposé et que le dépôt se reconstitue plus ou moins à chaque étape 68  ; chez les espèces les plus productives, la période de ponte peut durer deux voire trois semaines. D’autre part, des résidus d’os médullaire persistent quelque temps après la ponte du dernier œuf (Rick, op. cit.). A partir des informations disponibles sur le cycle de reproduction de l’espèce, en considérant que les dates de ponte varient d’une année sur l’autre, selon les individus, les populations et selon les régions, une précision de deux à trois mois est donc en principe envisageable. L’estimation tombe généralement au printemps ou au tout début de l’été pour l’avifaune nicheuse du Proche-Orient.

Les oiseaux peuvent être amenés à refaire une nouvelle nichée lorsque la première a échoué pour des raisons diverses (destruction par des prédateurs, conditions climatiques défavorables, etc.) et certains sédentaires tentent parfois un deuxième cycle de reproduction en automne lors des « bonnes » années. Ces situations sont des sources potentielles d’erreur pour les interprétations mais, n’étant qu’occasionnelles, elles ne remettent pas sérieusement en cause la fiabilité de l’estimation.

L’inconvénient principal de cette méthode est la faible probabilité de tomber sur des restes de femelles pondeuses dans un assemblage archéologique, étant donnée la courte période de présence de l’os médullaire. En outre, il ne concerne par définition que la moitié de la population (sans compter les immatures). Son absence n’implique donc pas que les oiseaux n’ont pas été chassés au cours de la saison correspondante. Dans les sites où la consommation de la volaille était commune, cette probabilité est beaucoup plus forte que pour des assemblages exclusivement composés d’espèces sauvages parce que la poule domestique pond régulièrement durant une grande partie de l’année : au moins tout le printemps et l’été pour les races primitives (Rick op. cit.). Aussi, dans ce contexte, l’os médullaire est rarement utilisé pour étudier la saisonnalité mais généralement pour déterminer le sexe des individus et le type d’exploitation pratiqué (Driver, 1982 ; Coy, 1983 ; Hamilton-Dyer, 1997).

L’autre inconvénient, qui découle du premier, est que seule une saisonnalité printanière (éventuellement estivale) peut être reconnue, alors que les restes d’immatures offrent des indicateurs temporels certes limités mais plus diversifiés. Cette méthode complète tout de même de manière judicieuse les autres méthodes que nous avons déjà présentées.

Son application consiste simplement à examiner à l’œil nu, ou à la loupe si nécessaire, la cavité médullaire des ossements. Dans le matériel néolithique étudié, la fragmentation naturelle ou due au contexte de fouilles est très importante, ce qui a facilité l’observation directe d’une majorité de restes. Pour les os entiers, les techniques les plus simples sont de les fracturer délibérément, de créer une petite ouverture dans la diaphyse à l’aide d’une mèche ou d’une scie (Rick, 1975) ou d’en prélever un éclat avec une pince (Driver, 1982). Dans tous les cas, ces techniques conduisent à abîmer partiellement les pièces archéologiques. Pour minimiser cet inconvénient, il a été proposé pour les restes abondants de poules domestiques de ne traiter que les fémurs (Coy, 1983) ou les tibiotarses (Serjeantson, 1998). Enfin, la radiographie est la seule technique non destructive qui permettrait de détecter l’os médullaire (Rick, 1975), mais elle exige une certaine expérience quant aux interprétations, du temps et des frais financiers. Nos observations se sont limitées à la grande quantité de restes fragmentés, ayant jugé préférable de ne pas dégrader les rares pièces complètes. Nous pensons par ailleurs que cette proportion n’affecte pas la représentativité des résultats obtenus. Dans l’ensemble, l’os médullaire a été trouvé chez trois espèces : le francolin noir (Francolinus francolinus), le ganga cata (Pterocles alchata) et le pigeon ramier (Columba palumbus).

Notes
68.

Chez les espèces où l’intervalle ne dure qu’une journée, ces fluctuations ne sont pas considérables, mais l’épaisseur du dépôt n’est pas un critère très fiable pour estimer des moments précis du cycle de ponte (Rick, 1975).