3.3.1 Détermination taxinomique des restes d’oiseaux

Les oiseaux forment aujourd’hui une classe de vertébrés extrêmement diversifiée du point de vue écologique, comportemental et anatomique. Il en existe près de 9000 espèces dans le monde, et plus de 300 fréquentent de façon permanente ou périodique le territoire syrien. Aussi, si l’étude des restes d’oiseaux continue à être considérée comme une spécialité à part entière à l’intérieur de la discipline archéozoologique, c’est probablement parce que le nombre d’espèces à prendre en compte semble requérir de vastes connaissances anatomiques. Dans la réalité, ce nombre est généralement réduit dans les sites archéologiques où l’apport de matériel osseux est essentiellement d’origine anthropique, les hommes, de tout temps, n’ayant jamais chassé la totalité des espèces qu’ils étaient susceptibles de rencontrer dans leur environnement. En écartant, comme nous l’avons fait ici, les petits Passeriformes qui sont souvent minoritaires dans les assemblages osseux et qui ne sont déterminables spécifiquement qu’à partir de certains de leurs éléments anatomiques (crâne, mandibule, coracoïdes ou humérus), le nombre de familles à examiner n’est plus aussi élevé qu’il n’y paraît.

La procédure d’identification des restes aviaires ne diffère pas de celle qui est employée pour les mammifères : étude comparative à l’aide de référentiels squelettiques ou de planches ostéologiques, étude biométrique. Il est nécessaire pour cela de disposer d’une collection de squelettes actuels qui puisse couvrir les espèces potentiellement présentes sur le site. Pour la comparaison ostéologique directe et le recueil des données biométriques, nous avons essentiellement consulté l’imposante collection rassemblée par C. Mourer-Chauviré au Département des Sciences de la Terre de l’Université Claude-Bernard (Lyon 1). Quelques espèces recherchées pour notre étude y étant absentes ou faiblement représentées (certains rapaces diurnes, des anatidés et des ptéroclidés), la collection Régalia de l’Institut de Paléontologie Humaine et la collection du Laboratoire d’Anatomie Comparée (Muséum national d’Histoire naturelle de Paris), ont été également consultées. D’autre part, des spécimens de ptéroclidés furent empruntés auprès du British Museum of Natural History (Tring) et du Museum of Zoology de l’Université du Michigan (Ann Arbor).

Pour l’avifaune européenne, il existe dans la littérature de nombreux travaux d’ostéologie comparée sur des groupes d’oiseaux (cf. liste in Stewart et Hernández Carrasquilla, 1997), dont la plupart sont des thèses publiées régulièrement par la Ludwig-Maximilians Universität de Munich. Plusieurs d’entre eux nous ont été d’une grande utilité, en particulier pour les corpus statistiques des données biométriques qu’ils fournissent. Ils seront cités au moment opportun lors de la présentation systématique des espèces étudiées.

De manière générale, les critères morphologiques ou biométriques qui permettent de déterminer une espèce sont rarement décrits dans les études d’assemblages aviaires lorsque la description ne constitue pas un point capital. Cela tient évidemment à la place qui n’est pas toujours disponible dans les publications et qui rendrait leur lecture indigeste au détriment de la problématique centrale. Par conséquent, les attributions taxinomiques sont souvent mises au crédit de l’auteur. Néanmoins, s’il existe entre les chercheurs un consensus plus ou moins implicite sur ces critères pour un grand nombre d’espèces, le « degré d’identification » (Uerpmann, 1973) de certaines est une question importante qui mérite d’être soulevée lorsque les difficultés rencontrées ne dépendent pas nécessairement de la compétence scientifique. Il en va ainsi des espèces appartenant au même genre et qui sont à la fois très proches morphologiquement et de taille comparable, telles que les milans (Milvus migrans et M. milvus), les lagopèdes (Lagopus mutus et L. lagopus), le pigeon biset (C. livia) et le pigeon colombin (C. oenas), etc. Concernant le squelette, on peut s’attendre à ce que l’évolution indépendante de ces espèces voisines ait généré au cours du temps quelques caractères morphologiques spécifiques que l’on pourrait retrouver au niveau des régions anatomiques les plus « plastiques », notamment celles qui sont étroitement liées à leurs comportements alimentaires comme le crâne ou l’extrémité des pattes. Comme le souligne A. Morales Muñiz (1989, 1993), il est en revanche illusoire de penser que les différences entre deux espèces peuvent s’exprimer sur tous les os par des détails anatomiques particuliers, et cette réflexion attire l’attention sur la prudence qu’il convient de garder vis-à-vis de certaines attributions. Les caractères discrets restent assurément les critères discriminants les plus utiles et les plus utilisés car l’archéozoologue a plus souvent pour matériel d’étude des restes fragmentés que des éléments complets, ce qui est tout à fait le cas pour les assemblages du Proche-Orient que nous avons examinés. L’ampleur de la variabilité intra- et interspécifique des caractères observés 69 permet de contrôler leur pertinence (Bochénski et Tomek, 1995), mais elle ne peut toujours être mesurée, faute de temps ou d’un nombre satisfaisant de squelettes de référence.

L’autre méthode d’identification se base sur les dimensions des os. Elle ne peut se substituer à l’examen des caractères morphologiques pour l’attribution de la famille et du genre du taxon étudié, mais elle permet notamment de séparer immédiatement des espèces voisines de format différent. Elle s’avère quelquefois profitable lorsque la distinction entre deux espèces de taille et de morphologie comparables, comme celles que nous avons citées précédemment, ne réussit pas à l’aide de la première méthode. Il faut pour cela que l’os en question soit mesurable et disposer d’une série suffisante de valeurs biométriques de référence. S’il existe une légère différence de format entre ces deux espèces, seuls les individus les plus petits et les plus grands sont alors identifiables spécifiquement en utilisant les valeurs situées de part et d’autre de la zone de recouvrement. La principale critique que l’on pourrait formuler à l’encontre de cette méthode est que les dimensions moyennes d’une espèce varient selon les populations locales, les diverses sous-espèces, et probablement au cours du temps. Autrement dit, ces légères différences établies à partir de référentiels actuels d’origine géographique connue ne sont peut-être pas valables pour des populations d’une autre origine. C’est un problème délicat que l’on ne peut totalement écarter. De plus, la variation des mesures prises selon les auteurs est une source potentielle d’erreur. Il nous semble toutefois que l’avantage des référentiels biométriques sur les critères morphoscopiques est qu’ils sont généralement publiés et qu’ils peuvent donc être plus aisément partagés, voire contrôlés, par l’ensemble des chercheurs. Aussi, lors de la présentation des espèces étudiées, nous préciserons les méthodes que nous avons employées pour les déterminer.

Les dimensions des ossements ont été prises au dixième de millimètre près à l’aide d’un pied à coulisse (Fig. 3.3). La plupart des mesures employées correspondent à la nomenclature standard proposée par C. Mourer-Chauviré (1975) ou à celle de A. von den Driesch (1976) qui fait référence pour la commission I.C.A.Z. (International Council for Archaeozoology) et qui diffère peu de la première.

Notons que l’étude comparative des données biométriques des espèces identifiées sur les sites néolithiques avec celles des espèces actuelles présentent peu d’intérêt dans le cadre de notre recherche et nous ne l’avons donc pas traitée. Par rapport à des questions d’ordre évolutif, il est communément admis que la taille des oiseaux a peu varié au cours de l’Holocène. Cependant, comme il existe des clines liés à la latitude pour certaines espèces sédentaires telles que le grand duc (Bubo bubo) – la sous-espèce ascalaphus des régions désertiques du Proche-Orient étant plus petite que la sous-espèce interpositus des milieux plus tempérés –, l’étude des populations fossiles ferait éventuellement apparaître des particularismes locaux qui pourraient compléter les connaissances partielles que nous avons sur l’avifaune de cette région.

Enfin, nous avons tenté d’exploiter les restes qui n’ont pu être identifiés au rang spécifique, que ce soit pour les raisons développées ci-dessus ou à cause de leur mauvais état de conservation. Une partie de ces restes ont reçu une désignation générique et appartiennent vraisemblablement à des espèces déjà reconnues dans l’assemblage sans qu’il soit possible de préciser laquelle. Nous avons vérifié si ces attributions imparfaites pouvaient tout de même être utilisées comme indicateurs saisonniers à partir du statut phénologique déjà proposées pour les espèces correspondantes. Cela concerne les cigognes (Ciconia ciconia/nigra), les oies (Anser ssp.), certains canards (Anas ssp., Aythya ssp.), les busards (Circus ssp.), et les éperviers (Accipiter nisus/brevipes).

Notes
69.

Des présupposés essentialistes, issus directement de la tradition naturaliste, nous conduisent bien souvent à négliger la variabilité de ces caractères et à nous appuyer finalement sur des invariants qui parfois ne résistent pas à l’examen d’un plus large échantillon. Cette attitude inhérente à l’archéozoologie et à la paléontologie peut peut-être expliquer les différences constatées dans la précision des déterminations taxinomiques obtenues par certains chercheurs, outre les divers degrés de compétence accumulée ou les conditions différentielles d’accès aux collections de squelettes de comparaison (Morales Muñiz, 1993).