Distribution squelettique différentielle

La conservation d’un os est avant tout liée à ses caractéristiques physiques. De nombreuses études ont été menées sur la densité osseuse (e.g. Behrensmeyer, 1975 ; Binford et Bertram, 1977 ; Brain, 1981 ; Lyman, 1984 ; Lyman et al., 1992 ; Higgins, 1999). L’analyse de Lyman (1984) sur des squelettes de cerf a ainsi montré que la densité réelle d’un élément (i.e. poids/volume du solide) était faiblement corrélée avec sa probabilité de survie tandis que sa densité globale ou « volumique » (i.e. poids/volume extérieur) l’était beaucoup plus. Les os d’oiseaux ont justement la particularité d’avoir une paroi corticale proportionnellement plus fine que celle des os de mammifères. Par conséquent, à des degrés différents selon leur nature, ils sont sensiblement plus affectés par les facteurs d’altération mécanique (fracturation, piétinement, fouille, nettoyage, etc.) 73 .

L’étude des ossements d’oiseaux morts naturellement sans l’intervention de prédateurs, comme ceux qui habitent dans les parois des grottes ou des abris sous roche et dont les cadavres se sont accumulés dans les remplissages préhistoriques, montre une représentation relativement uniforme des principaux os longs (Mourer-Chauviré, 1983). On pourrait en déduire qu’il n’y a pas de différences notables au niveau de la capacité de conservation des os longs chez les oiseaux et que s’il existe dans un assemblage des écarts importants entre les fréquences de certains éléments, ils seront essentiellement le produit des événements survenus avant enfouissement, parmi lesquels certains comportements anthropiques déjà présentés. Toutefois, en l’état actuel des connaissances, ces observations ne concernent qu’un nombre limité d’espèces telles que le grand corbeau (Corvus corax), le chocard (Pyrrhocorax graculus), le crave à bec rouge (P. pyrrhocorax) et le pigeon biset (Columba livia). Elles ne sont donc peut-être pas généralisables à toutes les espèces, d’autant que les résultats des expériences menées par J. Higgins (1999) sur des squelettes de grèbes et d’anatidés (Anas et Aythya) indiquent que la densité osseuse volumique peut varier fortement selon les éléments et selon les taxons.

Au cours de l’analyse des restes aviaires néolithiques, nous avons examiné la conservation différentielle de plusieurs espèces à partir de la fréquence de leurs éléments squelettiques. Cette fréquence est calculée à partir du nombre minimum d’éléments (NME) qui est basé sur le même principe que le NMI : il s’agit d’estimer « le nombre d’une partie anatomique, quel que soit l’âge, le sexe et le côté » (Brugal et al., 1994, p. 145), en tenant compte de la fragmentation afin d’éviter autant que possible de recompter plusieurs fois le même élément. A titre d’exemple, sur un ensemble d’humérus, 2 extrémités proximales gauches, 4 extrémités proximales droites, 5 extrémités distales gauches et 1 extrémité distale droite donneront les valeurs suivantes : NMEhum = 9 (4 + 5), NMIhum = 5. On peut utiliser pour cela une méthode de classification des fragments osseux selon le volume conservé (épiphyse proximale ou distale, portion de diaphyse) comme celle que nous avions déjà proposée pour les oiseaux (Gourichon, 1994 ; cf. aussi Eastham, 1998 ; Laroulandie, 2000), ou celles proposées pour les mammifères par J. P. N. Watson (1979) ou A. Morales Muñiz (1988).

Pour obtenir la distribution squelettique d’une espèce, nous n’avons sélectionné que certains éléments qui correspondent aux principaux segments du corps de l’oiseau, en omettant les éléments les plus rarement rencontrés dans les assemblages ou les plus difficiles à déterminer d’un point de vue taxinomique (os crâniens, côtes, vertèbres, os coxaux, sternum). Les catégories étudiées sont les suivantes :

  • CS (ceinture scapulaire) : NME le plus élevé entre le coracoïde, la scapula et la furcula ;
  • HUM : NME de l’humérus ;
  • U/R : NME le plus élevé entre l’ulna et le radius ;
  • CMC : NME du carpométacarpe ;
  • PhA : NME le plus élevé entre toutes les phalanges antérieures ;
  • FEM : NME du fémur ;
  • TIB : NME du tibiotarse ;
  • TMT : NME du tarsométatarse ;
  • PhP : NME le plus élevé entre toutes les phalanges postérieures.

Les valeurs sont converties en pourcentages puis portées sur un histogramme. Pour déterminer si les écarts observés entre les fréquences sont statistiquement significatifs, nous avons ajouté sur le graphique même les limites inférieure et supérieure de l’intervalle de fluctuation autour du pourcentage théorique attendu pour chaque segment (soit 100 divisé par 9). Si une fréquence calculée sort de cet intervalle, cela signifie que l’écart par rapport à la fréquence théorique est significatif (test de l’écart-réduit) et que la distribution squelettique n’est pas uniforme (sur-représentation ou déficit relatifs de certains éléments). Il est préférable d’appliquer cette procédure aux taxons les plus abondants car plus la taille de l’échantillon examiné est réduite, plus l’intervalle de fluctuation s’élargit et ne permet donc plus de mesurer la pertinence des différences observées (Schwartz, 1993). L’uniformité de la distribution peut être aussi testée par le calcul du ² sur les valeurs du NME, à la condition que ces valeurs soient égales ou supérieures à 5, ce qui n’est pas toujours le cas.

D’un autre côté, l’effectif brut de chaque élément correspondant (i.e. NR) est converti en pourcentage et porté sur l’histogramme avec les fréquences basées sur le NME, de manière à évaluer globalement le taux de fragmentation 74 . L’étude de la fragmentation osseuse par elle-même n’est pas abordée dans le cadre de cette recherche, le matériel étant en général très affecté par des cassures récentes survenues en cours de fouille.

Notes
73.

Aussi, la comparaison directe entre un assemblage mammalien et un assemblage aviaire en termes d’abondance relative peut être sujette à caution.

74.

La relation entre le NR d’un élément et le NME pose les mêmes problèmes méthodologiques que ceux dont nous avons discutés à propos de la relation entre le NR et le NMI.