4.1.2 Architecture et organisation de l’espace

La séquence considérable de Mureybet offre la possibilité de suivre des changements progressifs dans les traditions architecturales (Cauvin, 1977, 1980 ; Stordeur, à paraître), depuis les maisons rondes des premières occupations jusqu’au développement des bâtiments rectangulaires dans les niveaux récents. Ces descriptions sommaires sont utiles car elles permettent de mesurer l’investissement porté à l’implantation des groupes humains à chaque époque, l’un des premiers aspects archéologiques qui a conduit à les considérer comme des sociétés sédentaires (Cauvin, 1972, 1973, 1977).

Aucun mur n’a été mis au jour dans la phase IA, mais des lambeaux de sols intérieurs en argile rapportée ainsi que différents types de structures de combustion (foyer surélevé avec margelle de pierres, fosses-foyers creusées et remplies de charbons et de galets brûlés et éclatés) témoignent de l’existence d’un habitat construit. Sa nature et son extension ne peuvent être malheureusement estimées.

La plus ancienne maison du tell appartient à la phase IB, au tout début du Khiamien. C’est une structure circulaire de moins de 6 mètres de diamètre, creusée en fosse sur 0,50 mètre. Les murs sont constitués d’une palissade de poteaux en bois englobée dans de la terre à bâtir 112 et devaient supporter un toit en matériaux légers compte tenu de sa surface et l’absence de piliers centraux (Cauvin, 1977). Cette habitation (structure 37) est surmontée par trois niveaux de construction datant de la phase II. Dans d’autres secteurs, sept petites maisons ont été complètement ou partiellement dégagées pour cette période. Il s’agit toujours de constructions circulaires ne dépassant pas 4 mètres de diamètre. Certaines sont soit semi-enterrées comme la précédente, soit établies de plein pied. Elles sont généralement monocellulaires et isolées les unes des autres, comme celles que l’on connaît dans le Natoufien à Abu Hureyra ou à Mallaha, bien qu’un cas de deux cellules circulaires agglutinées ait été aussi reporté. Les murs sont simplement en terre ou bien armés par des assises de pierres plates et posés sur un soubassement de pierres calcaires ou de meules recyclées. Une tentative unique de diviser la maison ronde par une cloison légère préfigure déjà les adaptations architecturales qui se développeront dans le PPNA (Cauvin, 1980). Les sols sont en terre battue et peuvent surmonter un lit de pierres plates ou de gravier qui sert à en assurer le drainage (radier), un procédé largement utilisé au Proche-Orient jusque dans le PPNB. Des fosses-foyers analogues à celles du Natoufien sont installées dans l’espace extérieur et parfois jointes à la paroi des maisons.

Dans la phase III, plusieurs niveaux de constructions ont été mis au jour. Les structures sont circulaires et de dimensions variables (3,5 à 6 mètres de diamètre), la majorité étant en partie ou complètement enterrées. La paroi de la fosse est armée de poteaux de peupliers ou simplement renforcée par de l’argile. D’un autre côté, les murs élevés en surface sont constitués de rangées de pierres plates de calcaire tendre, taillées à l’herminette en forme de parallélépipèdes allongés (cf. Brenet et al., 2002) et communément appelées « pierres à cigares ». La terre à bâtir sert à la fois de mortier et d’enduit intérieur et extérieur. Comme dans les périodes précédentes, les sols sont en terre battue et parfois aménagés sur des radiers de pierres plates ou de galets, et les réfections y sont fréquentes.

L’une des constructions les mieux conservées à Mureybet est la « Maison 47 », une grande structure ronde de 6 mètres de diamètre enterrée sur près de 2 mètres (Aurenche, 1980). Des divisions intérieures matérialisés par des murets bas orthogonaux délimitent sept cellules ouvertes ou fermées autour d’une pièce centrale (Fig. 4.2). Le toit retrouvé effondré à l’intérieur était plat et reposait sur des solives en peuplier, elles-mêmes soutenues au centre et à la périphérie de la fosse par de gros poteaux de peuplier ou de chêne. Ce bâtiment montre de fortes similitudes avec certains de ceux qui furent récemment découverts à Jerf el Ahmar, tant par sa conception géométrique que par la complexité de sa construction (Stordeur et al., 2001). L’aménagement de banquettes et de petites cellules qui ont pu servir au stockage des denrées (Lebreton, 2003), ainsi que la présence d’éléments à forte connotation symbolique (statuettes féminines, chevilles osseuses d’aurochs), suggèrent un lieu collectif et plurifonctionnel qui mérite le terme de « bâtiment communautaire polyvalent » proposé par D. Stordeur (Stordeur et al., 2001 ; Stordeur et Abbès, 2002). Dans une autre habitation circulaire de la phase III (Structure 42), mais probablement postérieure à la précédente, les murs étaient ornés d’une fresque géométrique avec triangles noirs sur fond blanc, « première éclosion au Proche-Orient d’un art intégré à l’architecture » (Cauvin, 1997, p. 64). On assiste donc à cette période à une diversité des styles architecturaux qui contraste nettement avec les phases antérieures. Concernant l’organisation de l’espace villageois, les structures sont fréquemment contiguës, quelque peu étagées, et agencées autour d’aires extérieures qui comportent de nombreuses fosses-foyers. Des structures de combustion sont également présentes à l’intérieur de certaines habitations.

Dans les dernières occupations mureybétiennes n’ont été dégagées que des maisons circulaires semi-enterrées, de dimensions moyennes et non divisées. Dans les niveaux équivalents fouillés par M. van Loon (1968), cependant, une structure pluricellulaire de type rectangulaire avait été signalée (chaque cellule occupant seulement 2 mètres carrés environ de surface). L’apparition de ce nouveau mode de construction au cours de cette période, en association avec des habitations circulaires, a été confirmée par la suite à Cheikh Hassan et à Jerf el Ahmar.

Le sondage AD34 n’a livré aucun vestige architectural pour la phase IVA. On sait toutefois qu’à partir du PPNB ancien, dans d’autres sites précéramiques du Moyen Euphrate (Abu Hureyra, Cheikh Hassan, Dja’de el Mughara, etc.), le module rectangulaire se substitue complètement au module circulaire pour les habitations. Ainsi, dans le PPNB moyen de Mureybet (phase IVB), une grande maison rectangulaire a été partiellement fouillée. Elle est composée de plusieurs cellules allongées et délimitées par des murs de terre parallèles et rectilignes.

Le long de cette séquence, on assiste donc à un investissement de plus en plus poussé dans le domaine de l’architecture avec l’expérimentation et le développement de nouvelles manières d’organiser l’espace intérieur et l’espace villageois à partir des mêmes matériaux de base. Même si les documents disponibles sont inégalement répartis selon les secteurs et les niveaux fouillés, la phase III se distingue nettement des occupations plus anciennes par la construction de maisons plus substantielles et variées et par des projets collectifs (taille des pierres à cigares, grands bâtiments pluricellulaires). Si cela n’exclut pas pour autant un certain degré de mobilité de la part des communautés concernées, cette transformation de l’habitat reflète en tout cas un stade plus avancé de l’ancrage territorial et de la sédentarisation.

Notes
112.

Le terme « terre à bâtir » désigne un mélange dosé de terre et de dégraissant végétal (paille, etc.). Il est préféré à celui de « pisé » qui a été souvent employé dans la littérature archéologique mais qui fait plutôt référence à une technique de construction (Aurenche, 1977). A noter également que le terme « maison » ne préjuge pas ici de la fonction des structures d’assez grande taille auxquelles il se rapporte (habitation domestique, bâtiment communautaire ou structures de stockage).