4.2.1.1 Composition de la faune mammalienne

Avec trois taxons, la famille des canidés est la mieux représentée des carnivores. La présence du genre Canis n’est attestée que par de très rares ossements. Un crâne et de deux hémi-mandibules découverts dans les niveaux khiamiens (phase IIA) appartient vraisemblablement à un chien possédant une denture un peu forte (Gourichon et Helmer, sous presse a). La présence de cet animal domestique est, d’autre part, indirectement signalée dès les premiers niveaux d’occupation par les traces de digestion partielle observées sur des restes de faune. Les deux autres canidés appartiennent au groupe des renards. Le plus grand se réfère à Vulpes vulpes, le renard commun, et le second correspondrait plus, par ses exigences écologiques, au renard de Blanford (V. cana), qu’au renard de Rüppel (V. ruepelli). Nous l’avons attribué à Vulpes format cana (ibid.). D’un point de vue stratigraphique, ces deux renards semblent diminuer en taille du Natoufien final au Mureybétien, ce qui, d’après la loi de Bergman, refléterait l’augmentation de température attendue entre le Dryas III et le Préboréal.

Les mustélidés sont représentés par le blaireau (Meles meles), et le putois marbré (Vormela peregusna). Parmi les autres carnivores, le chat sauvage (Felis catus cf. silvestris) et surtout le chat des marais (F. chaus), animal des zones humides, ont été chassés.

Les équidés de Mureybet, comme ceux des autres sites archéologiques de la région, posent encore de nombreux problèmes d’identification et mériteraient une recherche en soi. Rappelons que le nombre d’espèces potentielles (Equus ferus, E. hydruntinus, E. africanus et E. hemionus) est relativement élevé et que le problème principal, pour le Proche-Orient notamment, tient à la fois à leur taille très voisine et au manque de connaissances de leur variabilité morphologique. Aussi, considérant en plus la rareté des données sur les populations proche-orientales qui ont été totalement décimées au cours des deux derniers siècles, l’étude des équidés qui furent chassés dans la région aux époques préhistoriques demeure complexe. L’analyse que nous avons menée sur leur détermination taxinomique s’appuie sur les critères morphologiques et biométriques des radius distaux, des talus, des métapodes, et des dents jugales définitives (ibid.). En résumé, nous avons observé, d’une part, quelques rares os de grande taille (3 talus, 1 radius), et d’autre part, des os de plus faible format qui ont pu être séparés en deux grands types morphologiques selon qu’ils s’apparentent à l’hémione (E. hemionus) ou à l’âne sauvage (E. africanus). Il n’y aurait qu’un seul groupe chez les éléments à caractère hémionoïde, et deux groupes chez les asinoïdes. Le métatarse complet étudié par P. Ducos (1975b, 1986) a été attribué à un asinien, et le métacarpe entier que nous avons trouvé dans les niveaux khiamiens appartiendrait à un hydruntin. Parmi les séries dentaires, des maxillaires à morphologie caballine ont été regroupées avec les os de grande taille, des mandibules et maxillaires présentent des caractères hémioniens, d’autres des caractères asiniens, et enfin quelques séries des caractères hydruntins (ibid.). Cette association de plusieurs espèces d’équidés sauvages (E. caballus, E. africanus, E. hemionus et probablement E. hydruntinus) peut surprendre de prime abord mais elle a déjà été reconnue dans des sites néolithiques d’Iran (Mashkour, 2001) et de Turquie (Buitenhuis, 1996).

Les sangliers (Sus scrofa) sont de taille assez forte, leur taille au garrot équivalant à celles de leurs homologues de Göbekli Tepe ou de Grèce du nord (Gourichon et Helmer, op. cit.). Aucune évolution physionomique n’est perceptible entre les populations du Khiamien et celles du PPNA..

La famille des cervidés est représentée par deux espèces de taille voisine : le cerf (Cervus elaphus) et le daim de Mésopotamie (Dama mesopotamica). Leur détermination a été réalisée à partir des critères morphologique et l’étude biométrique (ibid.). Le cerf est très rare à Mureybet mais avait déjà été signalée par P. Ducos (1978) dans le matériel issu des fouilles de M. van Loon.

Les os des bovins des niveaux natoufiens, khiamiens et mureybétiens ont des dimensions comparables à celles des aurochs (Bos primigenius) eurasiatiques et qui ne semblent pas avoir changé au cours des occupations successives (Gourichon et Helmer, op. cit.). Le statut des bovins présents dans les phases IVA et IVB est plus problématique compte tenu du fait que la domestication du bœuf apparaît au PPNB ancien dans le Moyen Euphrate (Helmer et al., sous presse a). Les mesures disponibles sont peu nombreuses mais indiquent des animaux de petite taille, de l’ordre de celle des bovins de certains sites du PPNB moyen de la région où la domestication est tout à fait attestée (Halula, Bouqras, Ras Shamra). Nous avons donc considéré qu’il pouvait s’agir de bœufs, leur coexistence avec des aurochs étant néanmoins fort probable.

L’étude de D. Helmer (2000a) a permis de préciser l’existence d’une seule espèce de gazelle dans le Moyen Euphrate à l’époque néolithique, la gazelle à goitre (G. subgutturosa). La détermination spécifique a été réalisée ici à partir de la morphologie des chevilles osseuses. D’après ces critères et leur taille, les gazelles de Mureybet appartiennent à la petite sous-espèce marica, comme celles d’El Kowm et de Qdeir dans la Palmyrène, et sont plus petites que celles de Jerf el Ahmar situé à quelques dizaines de kilomètres en amont de l’Euphrate. Aucun changement de taille n’a pu être mis en évidence entre la base et la sommet de la séquence. Les données archéozoologiques et archéobotaniques indique pour Mureybet une steppe plus sèche que celle environnant les sites de Jerf el Ahmar et de Dja’de el Mughara au PPNA et au PPNB ancien (Helmer et al., 1998).

Pris globalement, les mouflons (Ovis orientalis) du Mureybétien et du Khiamien ont une taille très forte, et semblent être les plus grands spécimens de la région en l’état actuel des études disponibles (Gourichon et Helmer, op. cit.). Les ovins du PPNB ancien ne sont représentés que par quelques os, la plupart non mesurables, mais paraissent de taille plus petite que ceux des phases antérieures (ibid.). Pour la phase IVB, une cheville osseuse à section triangulaire, à courbure forte et à torsion homonyme forte, caractéristique des moutons, indique la présence de bêtes domestiques. Rappelons que les moutons domestiques sont régulièrement signalés dans le PPNB moyen de la région (Peters et al., 1999, sous presse). La chèvre (Capra), quant à elle, n’a été trouvée que dans le sondage IVB. Sur les deux restes identifiés, un humérus distal de petites dimensions la rattache au format domestique (Gourichon et Helmer, op. cit.).

D’après l’étude biométrique (Helmer, 1998), les lièvres (Lepus cf. capensis) de Mureybet sont de taille intermédiaire entre les lièvres de Cafer Höyük, sur l’Euphrate anatolien, et ceux d’El Kowm 2 dans le désert syrien, et appartiennent à la sous-espèce syriacus. L’existence d’un cline variant du nord au sud en fonction de l’aridité (Tohmé et Tohmé, 1985 ; Harrison et Bates, 1991) fait de cet animal un bon marqueur climatique. Aucune variation de taille n’a pu être cependant observée le long de la séquence stratigraphique (Gourichon et Helmer, op. cit.). Le passage du Dryas III froid au début de l’Holocène n’est donc pas manifeste à travers des restes des lièvres.