4.2.2.1 Fréquences relatives des taxons

Natoufien (phase IA)

Initialement, l’étude de l’avifaune natoufienne de Mureybet par J. Pichon (1984) portait sur un total de 885 restes parmi lesquels 55 taxons avaient été identifiés au rang spécifique. A l’issue des corrections stratigraphiques et avec le nouveau matériel que nous avons étudié, l’assemblage comprend désormais 924 restes, dont 364 déjà déterminés par J. Pichon. Au moins 48 taxons y sont représentés (Tabl. 4.23).

La diversité de cette avifaune est remarquable et rend bien compte d’une économie dite « à large spectre » qui caractérise de façon générale les Natoufiens (e.g. Flannery, 1969 ; Bar-Yosef et Belfer-Cohen, 1989 ; Lieberman, 1993b) mais qui n’exclue pas le rôle prédominant de certains gibiers comme la gazelle et les équidés dans l’alimentation (supra). Nous verrons qu’elle n’est pas propre à cette période puisqu’une gamme de gibier aussi variée se manifeste au moins jusqu’au PPNB ancien. L’expression doit être également nuancée car beaucoup de taxons ne représentent qu’une part négligeable dans cet échantillon alors que des préférences économiques et culturelles se sont portées sur certaines catégories.

Ainsi, d’après les fréquences des principaux groupes taxinomiques (Tabl. 4.24 ; Fig. 4.22), les anatinés constituent plus de la moitié de l’assemblage en termes de NRD et de NMI (respectivement 63,5 et 50,0 %). Les espèces les plus abondantes sont les canards de surface de petite taille (Anas crecca et A. querquedula) et de grande taille (A. platyrhynchos). Les fuligules (genre Aythya) et les sarcelles marbrées (Anas angustirostris) complètent de façon conséquente la proportion de ces oiseaux aquatiques. Notons, parmi les 12 espèces d’anatinés identifiés dans cet assemblage, la présence – considérée comme exceptionnelle aujourd’hui – de la nette rousse (Netta rufina), du fuligule milouinan (Aythya marila), du garrot à œil d’or (Bucephala clangula) et du harle piette (Mergus albellus).

Les strigidés viennent en second rang d’importance (14,4 % en termes de NRD) après le groupe précédent. Ils comprennent le grand-duc (Bubo bubo), la chevêche (Athene noctua), et surtout le brachyote (Asio flammeus). D’après les observations que nous avons faites dans le chapitre « Oiseaux », la présence du moyen-duc (Asio otus) à Mureybet ne peut être certifiée, contrairement à ce que pensait J. Pichon (op. cit., 1985a). Il s’avère également que le coracoïde proximal attribué initialement par l’auteur à la chouette hulotte (Strix aluco) appartient en réalité au genre Asio. Au moins 10 espèces d’accipitridés ont été chassées (12,8 % en termes de NRD, 18,9 % en termes de NMI), parmi lesquelles la buse variable (Buteo buteo) est la plus commune. Les faucons sont plus rares mais sont tout de même représentés par trois espèces : le faucon crécerelle (Falco tinnunculus), le faucon crécerellette (F. naumanni) et le hobereau (F. subbuteo).

Le francolin noir (Francolinus francolinus) est le seul phasianidé identifié dans cet assemblage. Il ne constitue que 1,7 % des restes déterminés, ou 2,8 % du nombre minimum total d’individus, alors qu’il est beaucoup plus abondant dans les niveaux supérieurs de Mureybet. Aucun reste de perdrix chukar (Alectoris chukar) n’a été en fait trouvé dans les niveaux proprement natoufiens, contrairement aux affirmations de J. Pichon (1984, 1988).

Les autres taxons, à l’exception peut-être des pigeons (Columba) et des corvidés (Corvus frugilegus/corone), ne paraissent avoir été chassés que de manière occasionnelle. Il convient de remarquer, à côté des canards 123 et des oies, la présence ponctuelle d’autres espèces aquatiques comme le grèbe à cou noir (P. nigricollis), l’aigrette garzette (Egretta garzetta), le héron cendré (Ardea cinerea), la marouette ponctuée (Porzana porzana), le combattant varié (Philomachus pugnax), le chevalier gambette (Tringa totanus) et le chevalier aboyeur (T. nebularia).

D’après les fréquences relatives et la diversité des oiseaux chassés à cette période, il apparaît donc que les ressources fluviatiles étaient préférentiellement exploitées. D’autre part, l’intérêt prononcé pour les rapaces, qu’ils soient diurnes ou nocturnes, suscite la question de la motivation à l’origine de leur acquisition. Ces prédateurs ne peuvent en effet être considérés comme de simples ressources carnées car, à quelques exceptions près, ce sont des oiseaux dont la densité est généralement faible pour un territoire donné, comparée à celle des autres espèces qui ont été chassées. Cependant, lors des saisons de migrations les rassemblements de buse et de hibou des marais, les effectifs peuvent momentanément atteindre la centaine d’individus. Cela n’explique pas toutefois la diversité observée. Ces oiseaux, par leur comportement, sont porteurs de symboles à forte valeur hiérarchique (force, puissance, majesté) chez la plupart des sociétés humaines. La recherche de certains attributs comme les plumes pour l’armement, l’habillage ou la parure en général paraît être une motivation hautement vraisemblable. Nous verrons plus loin que l’étude taphonomique de leurs ossements permet de relever certaines caractéristiques qui les distinguent des autres taxons.

Notes
123.

Nous emploierons fréquemment le terme « canards » selon son sens commun pour désigner les anatinés, sans distinction des canards de surface, des fuligules ou des harles.