5.1.2 Architecture

Modes et types de construction

Les matériaux et les techniques de base employés dans la construction des architectures restent inchangés sur toute la séquence. Les maisons à caractère domestique sont bâties de plain-pied ou sont légèrement enterrées. Leurs murs sont constitués de terre mêlée à un dégraissant végétal (essentiellement de la balle de céréales) et armés d’assises de pierres en calcaire tendre (craie) taillées en forme de cigare (Brenet et al., 2002), comme à Mureybet et à Cheikh Hassan. La terre est utilisée à la fois comme enduit et mortier. Des éléments de mouture recyclés (meules, mollettes) y sont parfois mêlés. Une assise de moellons bruts en calcaire détritique dur, doublée dans certains cas, sert de soubassements. A partir du niveau III/E, l’espace peut être subdivisé à l’aide de murs de refend bâtis selon la même technique que pour les murs extérieurs mais relativement moins larges. Les sols intérieurs, en terre battue, sont souvent disposés sur des radiers de galets, de gravillons calcaires ou de fragments de pierres en cigare. D’après les fragments de couverture qui ont été retrouvés, les toits devaient être plats et la charpente formée par des solives et des poutres en bois recouvertes de terre. Les équipements intérieurs nous sont connus que par la fouille de certaines structures incendiées ou particulièrement bien conservées. Ainsi, l’une des pièces de l’une des maisons du niveau II/W (str. 10) contenait deux meules fixées sur des supports en argile, trois bassins en calcaires, deux plateaux circulaires en pierre polie et un foyer, le tout dans un espace réduit (vraisemblablement une cuisine). Néanmoins, l’intérieur des maisons est rarement pourvu d’un foyer alors que, à l’instar de Mureybet, les fosses-foyers sont omniprésentes dans les cours extérieures.

D’autres types de structures se démarquent de la majorité des maisons que nous venons de décrire. Ils ont en commun d’être enterrés et de contour curviligne, et manifestent tous un caractère monumental par leurs dimensions, leur situation au sein de l’espace villageois et l’investissement porté à leur réalisation. Ce sont des bâtiments communautaires dont l’étude a permis de distinguer deux types différents : les bâtiments polyvalents et les bâtiments spécialisés (Stordeur et al., 2001).

Le premier est clairement représenté par la structure EA30 (niveau II/W). Il s’agit d’un énorme bâtiment ovale, enterré sur près de 2 mètres de profondeur et de 8 à 9 mètres de diamètre (Fig. 5.1). A l’exception du toit qui s’est effondré, tous les éléments de construction ont été retrouvés en place, grâce à un incendie intentionnel qui a détruit ce bâtiment au cours de sa deuxième phase d’occupation. Le mur de soutènement de la fosse est constitué d’un double parement de pierres renforcé par quatorze poteaux de bois en partie conservés, et se prolonge à l’air libre d’au moins 0,60 mètre. L’espace intérieur est subdivisé par deux murs porteurs massifs et des murets qui délimitent 6 cellules aux dimensions exiguës. Une double banquette fait face à ces dernières. Le plan d’ensemble forme une figure géométrique rayonnante qui répond à une symétrie bilatérale et qui, de façon frappante, est très proche de celle de la structure 47 de Mureybet (supra). Pour accéder aux cellules, de petits escaliers ont été aménagés, et l’une d’entre elles comporte un hublot donnant sur la pièce centrale.

Pour D. Stordeur et F. Abbès (2002), ce bâtiment particulier devait avoir une fonction multiple : « stockage dans les cellules, réunion suggérée par la banquette et l’espace central, enfin rituels [présence des restes humains] » (ibid., p. 576). Un autre bâtiment au plan quasi identique (EA7), mais moins bien préservé, a été retrouvé dans le niveau I/E.

L’autre type de bâtiment communautaire correspond à la structure EA53 du niveau -I/E. C’est une grande construction incendiée presque circulaire, enterrée sur 2 mètres de profondeur et de 7 mètres de diamètre. Comme dans EA30, le mur de soutènement est armé de poteaux régulièrement espacés et se prolonge de 0,50 mètre environ au-dessus du bord de la fosse. La différence essentielle avec la structure précédente est l’absence de subdivision intérieure. L’espace est libre et équipé seulement d’une banquette de 1 mètre de large environ qui court tout le long de la paroi de la fosse. Cette banquette est ornée sur le devant de grandes dalles rectangulaires taillées dans le calcaire tendre et posées de chant, dont le plan dessine un hexagone équilatéral de 2,5 mètres de côté. De gros poteaux plantés à chaque angle servaient à soutenir la toiture. Sur leur bordure supérieure, les dalles sont décorées d’une frise de triangles gravés et surmontés d’une cannelure horizontale profonde. L’ornementation se poursuit sans interruption au niveau de la base des poteaux qui est enduite de terre et elle-même décorée. Le bois utilisé pour les piliers centraux semble avoir été importé (G. Willcox, communication personnelle).

Pour D. Stordeur, ce bâtiment avait pour fonction primordiale la réunion des personnes comme l’indique sa configuration générale et les traces d’usure répétée observées au bord des dalles (Stordeur et Abbès, 2002). Le caractère solennel suggéré par la richesse des décors et le soin porté à la réalisation est également renforcé par la découverte de dépôts d’omoplates d’aurochs à l’intérieur de la banquette et d’une cache de lames de silex.

L’autre structure qui semble apparentée à ce type de bâtiment « spécialisé » est celle dont une petite partie seulement avait été dégagée lors de la toute dernière campagne de démontage (EA100, niveau I ou 0/W). De grandes dalles posées de chant sur le devant d’une banquette portaient des décors sous forme de frise de chevrons ou de supposés corps humains acéphales et aux bras coupés. L’une de ces dalles était encadrée par deux stèles verticales sculptées en forme de têtes de rapaces diurnes (peut-être des vautours d’après nous) à leur extrémité supérieure. Le plan d’ensemble nous est malheureusement inconnu.