Synthèse

L’avifaune de Jerf el Ahmar présente de nombreux points communs avec celle de l’occupation PPNA de Mureybet, essentiellement du point de vue de la saisonnalité et de la composition taxinomique. La chasse des migrateurs de passage et des hivernants semble en effet avoir été une activité importante de subsistance pour ces communautés néolithiques. Les ressources aviaires offertes par l’environnement de ces deux localités devaient être assez similaires et le cortège des espèces exploitées indique aussi une sélection comparable. La comparaison entre les assemblages de Mureybet et celui de Jerf el Ahmar paraît justifiée par l’étude taphonomique qui a montré de fortes similitudes au niveau de la conservation squelettique différentielle des oies, des canards, des rapaces et des gallinacés.

Cependant, nous avons constaté un certain nombre de divergences au niveau de l’intérêt cynégétique pour certains taxons, des divergences qui pourraient s’expliquer par des préférences culturelles particulières à chaque communauté ou bien par des différences locales dans la densité des populations d’oiseaux, quelques espèces ayant pu être plus communes autour de Jerf el Ahmar qu’à Mureybet. Cette question reste difficile à éclaircir étant donné qu’il ne semble pas y voir de grandes différences au niveau des habitats offerts respectivement par l’environnement de ces deux localités, mis à part peut-être dans la configuration de ces portions de vallée ou dans les précipitations moyennes annuelles. Les diverses interprétations qui pourraient être proposées s’articulent donc autour des choix humains ou des préférences particulières des oiseaux pour tel ou tel lieu d’accueil.

Les oiseaux ont représenté toute l’année, à Jerf el Ahmar, une source de nourriture et de produits dérivés importante du point de vue de la diversité si ce n’est de la quantité. Quelle que soit la période de l’année, il semble que la taille du gibier, autrement dit le rendement en poids de viande par individu, ait été un critère de choix pour les chasseurs, une tendance que nous avons vu apparaître à Mureybet à partir de la phase III. La chasse prenait toutefois plus d’ampleur durant la saison humide, au moment des grands rassemblements temporaires ou prolongés des migrateurs tels que les oies et les grues. De novembre à fin mars, les trois espèces d’oies identifiées (rieuse, naine et cendrée) devaient paître dans les terrains dégagés et herbeux de la plaine fluviale, et éventuellement dans les zones de la steppe qui pouvaient présenter un attrait alimentaire satisfaisant, notamment au début du printemps au moment du renouvellement du couvert végétal. Les troupes de grues cendrées arrivaient en octobre, déjà annoncées par le passage précoce des grues demoiselles dès le mois de septembre.

Les canards comme les limicoles ont fait l’objet d’une chasse occasionnelle, ce qui suggère que le fleuve n’ait pas été d’un grand intérêt cynégétique pour les habitants de Jerf el Ahmar. Cette observation traduit peut-être une tendance caractéristique de cet horizon chrono-culturel car nous avions déjà remarqué une diminution notable de la proportion du gibier d’eau dans la phase PPNA de Mureybet par rapport aux occupations précédentes.

Le francolin est l’oiseau le plus commun dans l’avifaune de Jerf el Ahmar. Cette espèce qui vivait dans la vallée a été largement exploitée, sans doute toute l’année. Des épisodes de chasse au printemps et en été ont été mis en évidence d’après la présence de restes d’immatures et d’os médullaire.

Enfin, les rapaces diurnes offrent une grande variété taxinomique dans l’assemblage, comme à Mureybet, mais la chasse a concerné tout spécialement le vautour fauve. L’abondance relative de cet oiseau, ses mœurs nécrophages, le traitement anthropique de sa carcasse ainsi que des représentations de grands rapaces sur du matériel mobilier, parmi lesquelles il pourrait être figuré, suggèrent que l’intérêt pour cet oiseau ait reposé avant tout sur des considérations de nature symbolique, par son caractère psychopompe, plutôt que sur de simples besoins alimentaires. Sa capture a pu s’inscrire dans un système de pratiques rituelles bien que l’étude archéozoologique ne permette pas directement d’en faire état. Le cas présenté pour Jerf el Ahmar vient en tout cas compléter les exemples de ce type de relation privilégiée de l’homme avec le vautour qui étaient déjà connus dans le Néolithique ancien du Proche-Orient et de l’Asie mineure, notamment à Çatal Höyük.