7.3 Calendrier économique et mode d’occupation

Les premières analyses des données archéobotaniques et archéozoologiques d’El Kowm 2 avaient mis en évidence une économie de type agropastoral complétée par des activités cynégétiques tournées principalement vers les gazelles (de Moulins, 2000 ; Helmer, 2000b). Nos résultats montrent que les moutons et les chèvres étaient exploités de façon complémentaire et non exclusive pour la viande et pour le lait, mais nous n’avons constaté aucune évolution significative de ces orientations entre les niveaux inférieurs et supérieurs. Le mode de gestion du petit cheptel semble avoir reposé sur des stratégies relativement stables et bien maîtrisées tout au long de la séquence des occupations, avec des abattages ciblés sur certaines classes d’âge et régulièrement circonscrits dans le cycle annuel. Selon l’hypothèse d’une mise bas hivernale, qui a notre préférence pour les raisons que nous avons déjà exposées, les caprinés étaient sacrifiés à la fin du printemps, durant les mois qui précédent ou coïncident avec les moissons, et au début de l’hiver, de novembre à janvier.

Ces pratiques pastorales sont donc très stables en apparence. Si des années de grands froids ou de forte sécheresse ont pu occasionnellement provoquer des situations dramatiques pour les troupeaux et leurs éleveurs, comme cela est encore parfois observé dans les régions intérieures de la Syrie (e.g. Cahun, s.d., p. 139 ; Musil, 1928a, p. 153 et 176), leurs impacts sont passés inaperçus dans les assemblages que nous avons examinés. Aussi, selon nous, l’augmentation de la fréquence des restes d’animaux sauvages dans les niveaux supérieurs ne peut être mise directement en relation avec l’élevage. S’appuyant sur les données de D. Helmer (2000b), D. Stordeur (2000e) supposait que cette augmentation pouvait être le signe d’une orientation délibérée vers les ressources sauvages afin d’économiser le cheptel et faire face à des difficultés d’exploitation ressenties dans le domaine agricole, ajoutant que ces attitudes pouvaient « même trouver des analogies avec une volonté, remarquée dans plusieurs domaines, d’économiser la matière première et de recycler les objets cassés jusqu’aux limites du possible » (ibid., p. 308). Nous pensons qu’il ne faille pas chercher aussi loin des explications à cette variation des fréquences des taxons. La chasse a pu tenir une place relativement plus importante à certains moments qu’à d’autres, sans pour autant que les conditions d’exploitation des ressources domestiques aient été affectées initialement de manière négative. D’autres facteurs comme les biais d’échantillonnage (i.e. contextes stratigraphiques différents), l’accroissement de la population locale ou un renforcement de la défense des cultures contre les herbivores en sont peut-être la cause.

Sur ce dernier point, les résultats de nos recherches sur les profils de mortalité et les rythmes saisonniers d’abattage des gazelles suggèrent en effet que la chasse avait partie liée avec les pratiques agricoles, comme l’avait déjà proposé D. Helmer (op. cit.). Les très jeunes animaux étaient fréquemment capturés et une chasse de type opportuniste s’exerçait principalement au printemps, à l’époque de la récolte des céréales et des légumineuses (avril à juin), et parfois à d’autres moments de l’année, comme à la fin de l’été et au début de l’automne. Nous ne disposons malheureusement d’aucune information sur les équidés, qui semblent avoir suscité peu d’intérêt pour les habitants d’El Kowm 2 d’après leur faible taux de représentation dans les assemblages osseux. La présence importante des gangas parmi les restes d’oiseaux témoigne probablement aussi de la volonté de protéger les champs de la convoitise de certains animaux qui, comme de nos jours au Proche-Orient, peuvent faire des ravages en très peu de temps.

Les études des vestiges architecturaux et du matériel archéologique d’El Kowm 2 ne retracent qu’une partie, peut-être marginale, des implantations villageoises qui se sont succédées au PPNB dans cette localité. Les faits qui ont été rassemblés pour le domaine socio-économique (de Moulins, 2000 ; Helmer, 2000b ; Stordeur, 2000e) s’appliquent à un secteur particulier mais nous éclairent sans doute sur les grandes lignes du site en entier. Les fouilles du tell principal (El Kowm 1), si elles sont reprises à l’avenir, offriront les moyens d’en contrôler la pertinence. En attendant, suffisamment d’éléments laissent penser que le site a toujours été occupé de façon permanente durant le PPNB final, même si le village a pu être abandonné un temps au cours de son histoire. Le terrassement volontaire de la surface d’implantation, l’agrandissement progressif des maisons, la reprise des plans des anciennes constructions en ruines, les multiples réfections des sols des habitations, l’abondance des structures de stockage (cellules, caissons), pour ne citer que les éléments les plus significatifs, constituent un ensemble d’indicateurs favorables à la sédentarité.

Du point de vue de la subsistance, la combinaison de l’agriculture, de l’élevage et de la chasse forme un « équilibre qui […] a sans doute permis [aux Néolithiques] d’établir un village sédentaire organisé et stable, vivant en autarcie malgré l’isolement et les difficultés propres au milieu aride » (Stordeur, 2000e, p. 302). Le calendrier économique montre par ailleurs une complémentarité et un ajustement temporel des activités d’acquisition des ressources. A partir du mois d’avril et jusqu’au début de l’été, les villageois vivaient une période faste en termes de consommation de viande grâce à l’abattage des caprinés et à la chasse (gazelles, gangas, peut-être équidés). A la fin de cette période, la population devait être mobilisée pour les moissons et toutes les activités associées. Il est probable ensuite que l’été représentait une saison de repos où les déplacements et les travaux pénibles étaient limités. La rareté – voire l’absence – des indicateurs saisonniers pour cette période semble l’attester. Toutefois, encore récemment dans la région, le dépiquage absorbait toute l’activité estivale du paysan (Weulersse, 1946). Une partie des villageois, comme les bergers et leurs troupeaux, aurait pu gagner des secteurs plus cléments, près de la vallée de l’Euphrate par exemple, mais l’hypothèse reste difficile à vérifier d’autant que si la culture matérielle indique des contacts avec les communautés du Moyen Euphrate à cette époque, ils ne paraissent pas avoir été intenses ni continus. La chasse s’exerçait encore une fois sur les gazelles à la fin de l’été et en automne, peut-être au moment de la reprise du travail dans les champs (semailles), et la viande des moutons et des chèvres était consommée en hiver, durant les mois les plus froids de l’année. Enfin, à la fin de l’hiver et au début du printemps, la recherche de ressources carnées est moins directement perceptible dans les assemblages fauniques mais cette période correspond vraisemblablement à une forte activité en matière de collecte du lait des brebis et des chèvres et de préparation des produits laitiers. Selon l’hypothèse retenue, en effet, la traite démarrait en décembre et se prolongeait jusqu’en avril. Ainsi, grâce à la précocité de la mise bas des caprinés, qui serait donc pour la première fois identifiée dès le VIIème millénaire, et grâce à des orientations pastorales relativement stables, le cycle annuel des activités de subsistance mis en évidence à El Kowm 2 est un exemple d’adaptation réussi d’un mode de vie sédentaire dans les steppes arides.