8.3 Calendrier économique et mode d’occupation

Le site de Qdeir n’a pas encore livré toutes les clés de compréhension dont nous aimerions disposer pour tenter de reconstituer les modes de fréquentation du site. Devant les données recueillies lors de la première campagne de fouilles, O. Aurenche et M.-C. Cauvin (1982) posaient la question suivante : « S’agirait-il alors d’un village permanent ou d’une installation à caractère saisonnier que ses habitants revenaient occuper à intervalles réguliers suivant un cycle de transhumance ? » (ibid., p. 58). Jusqu’à présent, les interprétations qui ont pu être formulées sur la présence de groupes nomades sur les lieux se fondent de manière plus ou moins explicite sur le pôle d’attraction qu’a représenté ces oasis pour la taille du silex et l’abreuvement du cheptel, sur la prédominance des activités de plein air (ateliers de taille, foyers, aires de boucherie, zones de parcage du cheptel, fabrication du plâtre, etc.) et sur l’existence de constructions légères et donc facilement transportables. Mais si le caractère temporaire de certains niveaux d’occupation est ainsi bien attesté, la découverte d’habitations bâties en dur dans d’autres niveaux suscite un certain nombre d’interrogations. Selon F. Abbès (2000, p. 7), « Deux modes de vie différents se sont bien succédés sur le site. Ils sont le fait, soit d’un même groupe éprouvant des besoins différents, soit de deux populations néolithiques de même tradition, mais vivant avec des habitudes différentes au sein d’un même écosystème ». Or, pour le moment, les niveaux d’occupations les mieux étudiés, grâce à des fouilles en extension, sont ceux qui ne comportent aucune architecture. Pour les autres contextes, O. Aurenche et M.-C. Cauvin (op. cit., p. 58) évoquaient la possibilité de « l’existence d’une sorte de petit poste fixe, occupé en permanence par des sédentaires autour duquel gravitaient, suivant les saisons, des groupes de nomades ou semi-nomades, attirés par la possibilité de s’approvisionner en outils de silex. » D’un autre côté, à propos des constructions en dur, D. Stordeur et A. Taha (1996, p. 94) notent qu’« Il peut simplement s’agir, pour une population toujours mobile, d’édifier un abri et un lieu de stockage », comme c’est encore observé nos jours dans la même région.

Les résultats de notre étude viennent apporter quelques informations sur les modes d’occupation. La faune examinée présente d’abord plusieurs points communs avec El Kowm 2, notamment du point de vue de sa composition et des fréquences relatives des taxons. Bien qu’il existe des variations entre les niveaux, les caprinés composent environ les trois-quarts des assemblages et la gazelle est l’espèce la plus chassée. On retrouve parmi les restes d’oiseaux l’abondance des gangas si caractéristique à El Kowm 2. Les profils de mortalité des gazelles établis pour les deux sites sont assez similaires et traduiraient une chasse de type opportuniste, et l’élevage des caprinés est également tourné vers une exploitation de la viande et du lait. Dans l’ensemble, l’économie de subsistance à Qdeir 1 est analogue à celle du site voisin sédentaire. Même si la taille du silex est destinée avant tout à la production de pointes de projectiles à Qdeir 1, il ne semble pas y avoir de corrélation directe entre cet objectif et les activités de chasses menées sur place.

Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, des divergences apparaissent. Ainsi, les types d’exploitation du petit bétail sont ici plus marqués en fonction des deux espèces, ce qui implique une forte complémentarité des troupeaux. Prises dans leur globalité, les dates d’abattage sont différentes de celles d’El Kowm 2 et plus variables. Selon l’hypothèse des naissances hivernales, deux périodes principales d’abattage, au début du printemps (de février à avril) puis en automne (de septembre à novembre), ont été mises en évidence, mais quelques animaux ont aussi été tués en hiver. D’autre part, les gazelles étaient chassées de préférence en automne, à partir de la fin de l’été, et parfois au printemps. De ce point de vue, les rythmes d’abattage des caprinés et des gazelles concordent parfaitement et l’analyse des saisons d’occupation que nous avons tentée pour certaines unités stratigraphiques à partir des divers indicateurs recueillis (restes d’oiseaux migrateurs compris) suggère une alternance des temps de fréquentation du site. En l’état actuel des résultats, nous pensons que les Néolithiques séjournaient à Qdeir 1 tantôt au printemps, tantôt en automne, de façon plus ou moins régulière, mais il est possible aussi que des occupations aient été de plus longue durée, de l’automne jusqu’au printemps par exemple. Quoi qu’il en soit, le site ne paraît pas avoir été habité en été, i.e. au cœur de la saison sèche. Ces propositions devront naturellement être vérifiées par l’étude du matériel archéologique et des contextes mis au jour lors des récentes campagnes de fouilles. En outre, celle-ci permettra peut-être d’établir des profils de mortalité pour les principales espèces exploitées et pour des niveaux d’occupation bien définis stratigraphiquement, afin de déterminer d’éventuels changements économiques au cours du temps ou des orientations différentes en fonction des saisons.