9.3 Exploitation du petit gibier

Dans le contexte des débuts de l’agriculture, l’exploitation des oiseaux, ainsi que celle des petits ou moyens mammifères (carnivores, lièvre, certains rongeurs), avec tout l’investissement que cela suppose pour chacune des espèces (stratégies, techniques de capture, connaissances des comportements, etc.), n’était pas une activité négligeable mais une activité complémentaire, partie intégrante de l’ensemble du système d’acquisition alimentaire, au même titre que la chasse aux herbivores ou la collecte des céréales. Au regard de la grande diversité des taxons consommés, les oiseaux semblent avoir représenter une ressource importante, surtout durant la saison humide au moment de la venue des populations migratrices dans la vallée de l’Euphrate. A l’époque du Dryas récent (Natoufien final et Khiamien), ce sont les canards, et notamment les sarcelles, qui ont suscité le plus d’intérêt de la part des habitants de Mureybet. Au Mureybétien, les chasseurs se tourneront plutôt vers les espèces de plus grande taille et vivant dans les milieux ouverts de la plaine fluviale, comme les oies et les grues. Cela est bien observé à Jerf el Ahmar et la tendance est également perceptible à Mureybet au fil des occupations villageoises. Ces ressources saisonnières sont abondantes et concentrées entre novembre et mars. Nous ne savons pas quand avaient lieu précisément les captures les plus fréquentes mais l’automne devait être un période propice avec l’arrivée massive d’oiseaux un peu désorientés et rassemblés temporairement en de gros effectifs. De même, les premières crues à la fin de l’hiver étaient certainement une aubaine pour les chasseurs car cette situation devait attirer un grand nombre d’espèces migratrices de passage ou se préparant à retourner vers leurs quartiers estivaux (Hüe et Etchécopar, 1970). En revanche, au PPNB ancien, si l’on en juge par les données recueillies à Dja’de el Mughara, la composante saisonnière n’a apparemment plus la même importance du point de vue du petit gibier. Il est possible que l’exploitation de ce dernier fonctionnait sur un mode saisonnier mais on constate par rapport aux époques antérieures une proportion moindre des espèces migratrices parmi les assemblages aviaires. L’outarde barbue, qui s’apparente aux gazelles du fait de son comportement locomoteur, de son grégarisme et de sa préférence pour les environnements ouverts et steppiques, est l’oiseau le plus fréquemment chassé avec les gangas. Les gangas, totalement absents dans le cortège des animaux exploités à Jerf el Ahmar et très rares à Mureybet, se retrouvent en relative abondance à Dja’de el Mughara. La présence et la chasse de ces oiseaux grégaires et steppiques signent peut-être l’extension de la mise en culture des céréales à cette époque et le souci croissant de protéger les parcelles de la convoitise des animaux ravageurs comme les gangas. Ces changements survenus au PPNB ancien dans la chasse au petit gibier ne semblent pas être directement liés à une aridification progressive de l’environnement compte tenu que les oiseaux migrateurs tels que les oies, les canards et les grues, devaient continuer à régulièrement visiter la moyenne vallée de l’Euphrate. Il s’agit donc certainement d’une évolution dans les pratiques économiques et les préférences alimentaires, et non pas une adaptation induite par de nouvelles contraintes climatiques (Cauvin, 1994 ; Cauvin et al., 1998).

Concernant les techniques et les stratégies d’acquisition du petit gibier, la distinction entre une chasse communautaire sociale et un autre type de chasse n’est pas bien définie. Les procédés de capture des oiseaux sont très variés selon les taxons et les cultures. Des pièges passifs auraient pu être employés pour de nombreuses espèces comme les canards, les francolins et les perdrix, ainsi que pour des rapaces. De même, la chasse au filet a probablement été pratiquée sur la plupart des oiseaux, y compris les outardes, et sur les lièvres. Pour D. V. Campana et P. J. Crabtree (1990), une telle stratégie expliquerait la grande diversité des espèces exploitées dans le Natoufien du Levant sud. P. Rowley-Conwy (1983) rapporte ainsi que l’équipement des chasseurs-cueilleurs sédentaires, comme ceux de la côte ouest de l’Amérique du Nord, comprenait habituellement de grands filets pour capturer les oiseaux et autre petit gibier, même si les espèces migratrices ne représentaient qu’une importance secondaire dans leur économie. Il est probable aussi que le petit gibier était en partie chassé de manière individuelle et pas forcément par un groupe spécialisé de personnes.

Dans un domaine à part, la pêche jouait probablement un rôle d’appoint alimentaire non négligeable dans les premières occupations de la vallée, à Mureybet (phases IA et IB) mais semble peu à peu avoir été abandonnée. Une telle désaffection est surprenante car il n’y a aucune raison pour que des ressources halieutiques disponibles toute l’année aient fortement diminuer au cours du temps. Le phénomène semble avoir touché toute la région puisque cette activité est à peine visible dans les autres sites de la même période ou postérieurs installés sur les rives de l’Euphrate (Cheikh Hassan, Jerf el Ahmar, Dja’de el Mughara) 146 . Si l’on suit la proposition générale de L. R. Binford (1968), la pêche a pu constituer un facteur favorable à la sédentarisation des premières communautés natoufiennes dans la région, et son déclin au PPNA correspond probablement à un changement s’inscrivant dans le cadre d’une modification générale des stratégies alimentaires (Cauvin, 1977). D’un autre côté, ce changement peut être dû aussi à l’adoption de nouveaux procédés de stockage ou de préparation du poisson comme le prélèvement des filets pour le séchage ou bien la fabrication de farine de poisson, ce qui reste difficile à vérifier. Nous remarquons, cependant, que la nette diminution des restes de poissons dans les niveaux mureybétiens et les phases ultérieures coïncide avec celle que nous avons observée à propos du gibier aquatique (sarcelles et autres canards). Il se pourrait donc qu’un réel désintéressement vis-à-vis des ressources fluviatiles soit apparu à cette époque.

Notes
146.

Aucune mention explicite de restes de poissons à Abu Hureyra n’a été faite jusqu’à présent (Hillman et al. 2000). Pourtant, dans les niveaux épipaléolithiques (Abu Hureyra 1), plusieurs galets plats portant des encoches latérales ont été interprétés comme des poids ayant servi pour des techniques de pêche à la ligne (ibid., p. 176).