Conclusion

A travers l’étude de la faune sur les deux millénaires couvrant les débuts de la néolithisation dans la région du Moyen Euphrate, nous avons pu mettre en évidence les principales stratégies alimentaires permettant d’assurer un mode de vie sédentaire à des époques précédant la pleine maîtrise des économies de production. L’analyse de l’évolution de la chasse et de la saisonnalité des activités d’acquisition ont permis d’appréhender plus précisément les options retenues et les changements survenus en même temps que le développement de l’agriculture. Dans le contexte des premiers pasteurs de la cuvette d’El Kowm, au milieu du 7e millénaire, le recueil et l’étude des divers indicateurs fauniques saisonniers ont confirmé en grande partie les interprétations préliminaires faites sur les différents modes d’occupation des implantations, à savoir la coexistence d’une société villageoise sédentaire à El Kowm 2 et de groupes de pasteurs nomades à Qdeir 1. Même si bien des questions demeurent sans réponses, nos réflexions, basées sur les modalités saisonnières du système de subsistance de ces communautés, ont en outre apporté des précisions sur les formes d’adaptation qui se sont mises en place pour résoudre les problèmes générés par les sévères contraintes climatiques et environnementales de cette région aride.

Il nous faut toutefois convenir que les résultats obtenus reposent sur des indices relativement fragiles et en effectif restreint. Cette fragilité est liée à deux paramètres inséparables : les limites imposées par les différentes méthodes appliquées, et la taille et la qualité des échantillons. A cela s’ajoute le fait que rechercher la saisonnalité implique forcément qu’on ne peut la trouver là elle n’existe pas. Nous ne nous sommes pas étendus sur les limites et les faiblesses des méthodes utilisées mais il est évident notamment que l’étude du cément dentaire devra être perfectionnée, autant qu’elle puisse l’être, et étendue à un plus grand nombre d’espèces comme les équidés et les bovins. Contrairement aux autres, cette méthode est onéreuse et seuls des appuis financiers et logistiques nous permettront de mieux la développer.

Par ailleurs, l’approche implicite qui encadre les interprétations de nos résultats pour un site donné est celle du « vase clos ». C’est un travers commun à la plupart des recherches archéologiques : la question des échanges intercommunautaires dans le domaine de la subsistance aurait pu être abordée puisque certains des éléments recherchés, comme les indicateurs saisonniers, n’appartiennent peut-être pas tous au groupe humain étudié. Malheureusement, il est difficile voire impossible de mesurer la part des éléments exogènes dans le matériel faunique. La comparaison des données obtenues dans chacun des sites étudiés, du moins ceux du Moyen Euphrate, indique néanmoins une certaine cohérence au regard des récurrences et des régularités observées.

Ce travail ne se veut donc pas exhaustif ; ce serait une entreprise ambitieuse et réalisable seulement grâce à la confrontation pluridisciplinaire de toutes les données archéologiques disponibles dans le domaine de la faune, de la botanique, de l’architecture, des technologies, de la micromorphologie des sédiments, etc. Notre objectif premier était d’initier une recherche à long terme sur le cycle économique annuel des sociétés préhistoriques et de proposer déjà quelques pistes de réflexions à partir des résultats livrés par l’analyse de quelques groupes taxonomiques. Les études que nous poursuivons sur la faune de Jerf el Ahmar, de Cheikh Hassan et de Dja’de el Mughara, et les données issues des fouilles récentes de Tell ‘Abr 3 et de Göbekli viendront assurément enrichir nos connaissances sur le PPNA et le PPNB ancien du Moyen Euphrate turc et syrien. Enfin, l’analyse des vestiges mis au jour sur le site de Qdeir 1 lors des dernières campagnes de fouilles permettra très probablement de répondre à un certain nombre de questions importantes sur les modes d’occupation des anciens pasteurs nomades de la steppe syrienne.