Introduction générale : la problématique et ses différents aspects

Avant d’exercer la profession d’enseignant d’histoire, nous avons été archéologue professionnel. Durant ces années, nous avons tenté de satisfaire des demandes qui nous ont été adressées d’interventions archéologiques en milieu pédagogique, parfois d’en proposer. Au cours de notre préparation à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres et au début de notre carrière de professeur, nous avons développé d’autres actions ainsi que plusieurs projets dans ce sens.

L’archéologie nous a apporté des éléments particuliers pour exercer notre métier d’enseignant en histoire-géographie. Cette discipline permet une autre lecture des faits historiques. Quand l’archéologue trouve des fragments d’amphores romaines, il essaye de les identifier pour déterminer leur région de fabrication en observant la nature de la pâte et la forme. Il peut préciser les échanges économiques à l’intérieur de l’Empire romain. L’historien, lui, travaille avec d’autres sources.

Précisons le champ de recherche de ces deux spécialistes. Les archéologues étaient appelés, à l’origine, des «  antiquaires 1  ». Car l’archéologie cherchait à connaître, aux XVIIe-XVIIIe siècles, les restes matériels de l’histoire humaine 2 . Elle a été pendant longtemps confondue avec la recherche et l’étude d’anciens objets. Cette conception est aujourd’hui largement dépassée.

C’est actuellement l’étude du passé de l’homme et de son environnement. Elle « vise à collecter, à conserver et à interpréter les témoignages de la culture matérielle » 3 des civilisations. Le mot « archê » signifie, en grec ancien, origine, commencement 4 . Les archéologues s’intéressent notamment aux habitats, aux monuments (entendus au sens patrimonial comme édifices remarquables «  pour leur intérêt archéologique, historique ou esthétique » 5 ), à l’alimentation, aux vêtements, au mobilier, aux coutumes, aux moeurs, aux techniques. La fouille est une des méthodes spécifiques, mais il en existe d’autres comme nous le montrerons. L’objectif n’est donc plus la quête de l’ancien objet. L’origine de la connaissance des civilisations varie en fonction de la période étudiée. Le préhistorien exploite les vestiges matériels, les témoignages non écrits comme l’archéologue du monde romain qui doit étudier les élévations antiques.

Comment présenter simplement l’histoire ? C’est «  la connaissance ou la relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (d’un groupe social, d’une activité humaine) qui sont dignes ou jugées dignes de mémoire ; les événements, les faits ainsi relatés » 6 . Son objet est donc l’homme dans la société. Un manuel d’histoire de sixième de 1970 7 présente clairement cette science aux élèves :» Tous ces souvenirs appartiennent à l’histoire qui veut être la mémoire des hommes depuis les temps les plus reculés. Elle [l’histoire] raconte donc des événements, mais elle veut aussi connaître et comprendre la vie des hommes qui nous ont précédés : c’est pourquoi elle décrit leurs moeurs, leurs religions, leurs techniques, leurs oeuvres d’art ».

Nous percevons ainsi très nettement la relation entre l’archéologie et l’histoire. Un spécialiste d’archéologie antique métropolitaine, Christian Goudineau, écrit à ce sujet que l’archéologie «  vise à écrire et à servir l’histoire 8  ». La différence est technique : l’archéologie «  met l’accent sur les sources non écrites, les traces matérielles, les restes des déchets des hommes qui nous ont précédés » 9 . Mais les frontières entre les deux ne sont pas étanches : l’historien utilise des sources archéologiques. L’archéologue se transforme en historien, lorsqu’il étudie des témoignages écrits : par exemple, l’égyptologue en exploite, le médiéviste doit également tenir compte des textes.

L’histoire, l’enseignement de cette science humaine et l’archéologie évoluent chacun à leur rythme. Nous notons un décalage évident entre les découvertes archéologiques et leur diffusion dans les manuels scolaires. Nous avons souhaité approfondir notre réflexion en réalisant un travail d’étude sur ce que l’archéologie apporte et ce que nous pouvons en attendre dans l'enseignement de l'histoire. Quels objectifs le système éducatif décide-t-il de lui attribuer ? Nous cherchons à mettre en évidence les enjeux de l’usage de l’archéologie dans l'enseignement de l'histoire.

Nous désirons participer au développement d’une dynamique commune aux enseignants d’une part et aux archéologues d’autre part, en agissant sur deux registres :

Nous présenterons l’analyse de l’évolution de la contribution de l’archéologie grâce à une étude épistémologique et didactique, qui s’étend sur une longue période, cent trente ans environ, de 1865 jusqu’à la fin du XXe siècle. Ce cadre chronologique est rythmé par les grandes réformes de l’enseignement de l’histoire.

Nous cherchons donc à savoir comment le professeur d’histoire peut, grâce à l’approche archéologique, favoriser et améliorer l’acquisition des connaissances définies dans les textes officiels.

La démarche pédagogique réside dans l’exploitation de l’ensemble des moyens et des supports choisis par l’enseignant. L’élève étudie et travaille à partir d’une variété de supports, appelés pour la plupart « documents » par l’enseignant : des textes, des représentations de vêtements, d’oeuvres d’art, des objets, des cartes, des gravures, des photographies, des projections, des visites de monuments et de sites, de bibliothèques, de dépôts d’archives et de musées.

Rappelons au préalable que le « document » est fondamental dans l’enseignement de l’histoire. Il «  assure la relation entre la recherche de l’élève et le projet de l’enseignant. L’élève interroge, analyse et comprend les documents, construits à partir d’eux la problématique et la connaissance historique 10  ». Sa « place n’a cessé de croître […] et son usage pédagogique s’est à la fois renforcé et élargi 11  ». Il est conçu «  comme un auxiliaire du professeur, il donne vie à son cours, apporte la preuve de la véracité de ses dires, l’aide à rendre concret l’abstrait 12  ». Il a une valeur d’illustration et fait également l’objet d’une étude approfondie. Les Instructions des programmes de 1925 indiquent que le professeur, pour faire son cours, s’appuie sur le manuel, des cartes, des vues, des reproductions, des documents divers, les souvenirs et les observations des élèves.

Les supports utilisés peuvent être des sources historiques ou des éléments élaborés par les historiens à des fins didactiques. Ils peuvent être d’origine, ou transformés partiellement ou reformulés pour une meilleure exploitation. Des didacticiens aident les enseignants en publiant des revues qui proposent des documents variés, posent des interrogations et des pistes de réflexion 13 .

Un texte d’auteur acquiert le statut de document quand il est soumis à un questionnement scientifique 14 . Un événement politique peut être abordé par l’archéologie, par exemple une bataille par ses vestiges, la domination et l’occupation d’un territoire par un peuple étranger pour une période donnée interprétée par l’ensemble des établissements construits par ce même peuple, etc.

Nous avons choisi d’exploiter l’approche archéologique. Celle-ci se réfère à la définition actuelle du mot « archéologie ». Elle consiste à analyser des supports étudiés par l’archéologue, des sources de l’histoire non écrite, relatifs aux vestiges matériels, aux monuments du passé.

Le professeur exploite des photographies, des diapositives, des vidéos, des transparents à projeter, qu’il réalise notamment à partir de documents photographiques de revues de vulgarisation de l’archéologie, ou de livres spécialisés. Il analyse des vestiges de fouilles terrestres et d’anciennes élévations, des représentations d’éléments trouvés en fouille (monnaie, inscriptions épigraphiques, dessins de fresques ou de mosaïques …). Il organise des visites guidées de sites fouillés ou de monuments. Cette démarche comprend aussi des interventions de spécialistes considérées comme des leçons qui s’intègrent ainsi dans la programmation pédagogique. L’élève peut toucher ou manipuler des objets archéologiques apportés par l’archéologue ou son professeur.

Exemples d’applications :

Nous déterminons la place, l’évolution et les apports de l’archéologie dans l’enseignement en nous référant aux courants de l’histoire et de l’archéologie selon un plan chronologique. Nous avons choisi deux éléments présents dans tous les programmes pour approfondir notre étude : la maison romaine et le château médiéval. Nous souhaitons analyser ces deux thèmes pour savoir comment ils sont nourris, portés par les données archéologiques et par l’histoire textuelle, afin de savoir si les champs de ces deux sources d’informations sont complémentaires ou cumulatifs.

Notre étude des programmes officiels comprend les classes du lycée dont les noms ont pu changer selon les réformes, et qui, d’après le sens ancien, regroupaient les actuels niveaux du collège et du lycée général. La réforme de 1963 a attribué à ce dernier le second cycle de l’enseignement 15 . Or, pendant de nombreuses années, seule une minorité d’élèves allait au lycée et les études secondaires étaient «  conçues comme des études générales, visant à former l’esprit par la connaissance 16  ».

Nos documents de travail sont les programmes, les Instructions Officielles, les Compléments des grandes réformes de l’enseignement de l’histoire depuis 1865 17 . L’ensemble de ces écrits est publié en général, au Bulletin Officiel de l’Education Nationale ou au Journal Officiel 18 . Certains ont été édités par des centres de documentation pédagogique du ministère de l’Education Nationale.

Nous n’avons pas fait le recensement de tous les documents officiels. Nous avons choisi de travailler uniquement sur les grandes réformes, pour définir et étudier leurs caractéristiques, leurs différences. Nous n’avons pas retenu les textes qui apportent très peu d’éléments originaux. Les principaux programmes et leurs instructions sont un bon outil pour déterminer les tendances de la contribution de l’archéologie à l’enseignement de l’histoire sur une longue période : préciser les niveaux de classe, déterminer les savoirs et les savoir-faire, dégager les objectifs des réformes. Nous exploitons aussi les manuels scolaires qui nous aident à déterminer ce que l’archéologie a pu apporter à l’enseignement de l’histoire.

Nous avons donc écarté de notre recherche l’histoire telle qu’elle est enseignée. En effet, les programmes nous informent très peu sur les situations d’enseignement. Nous n’avons ni pu, ni souhaité évaluer l’écart entre les programmes et instructions officiels et ce qu’enseignaient réellement les professeurs. Les sources sont différentes et ce n’est pas notre sujet. Cela concerne la formation des professeurs et leur environnement culturel.

Nous avons choisi de comparer la démarche historique/archéologique déjà présentée et utilisée dans la classe-archéologie à une autre, dite générale, exploitée dans la classe appelée par convention « classique ». Nous avons sélectionné dans les programmes officiels actuels, des éléments de connaissance qui peuvent être traités ou abordés de ces deux manières conformes aux Instructions Officielles, et qui ont fait l’objet de contrôles identiques par les professeurs des établissements participant au projet de recherche.

L’approche historique/générale met en oeuvre une variété de documents de différentes natures étudiés par l’historien, ce qui explique le qualificatif. Elle relève en grande partie du document écrit ou figuré. Le professeur travaille essentiellement avec le manuel d’histoire et exploite des textes, des cartes, des plans, des dessins de restitution de sites et de monuments, des croquis, des tableaux de peinture.

Exemples d’applications :

Cette hypothèse fait référence à l’aspect didactique de notre étude et sera soumise à nos principales expérimentations. Nous insistons sur les classes de sixième et de cinquième, où les références à l’archéologie sont nombreuses, nettement plus importantes qu’aux autres niveaux 19 . Cela représente un des pivots de notre recherche. Nous analysons les résultats de contrôles-témoins réalisées au cours des années scolaires 1998/1999 et 1999/2000 dans plusieurs collèges. Nos différentes évaluations et animations organisées dans des écoles primaires et dans un cadre extra-scolaire ont fait l’objet d’analyses moins importantes. Elles nous servent plutôt à justifier, illustrer des opinions, compléter et enrichir le débat pédagogique.

D’après les Instructions Officielles, les documents littéraires ou géographiques doivent être traités obligatoirement. Nous remarquons que ceux-ci sont réduits dans l’approche archéologique. Il en est de même pour les documents archéologiques dans l’autre démarche.

Nous étions conscient, dès le début de notre recherche, que les professeurs se trouvent confrontés, en plus des analyses documentaires obligatoires, à d’autres contraintes qui les empêchent d’appliquer les programmes tels qu’ils le souhaiteraient. L’accès direct des élèves aux vestiges matériels est parfois impossible à mettre en oeuvre. Organiser une sortie ou faire venir un spécialiste n’est pas toujours réalisable, pour différentes raisons, financières et pédagogiques.

Or il est parfois très difficile, voire impossible de se passer de documents archéologiques pour expliquer des points donnés ou des chapitres : par exemple pour l’Egypte ou la préhistoire. Des documents sont donc communs aux deux démarches. Le professeur réduit leur nombre autant que possible dans l’approche historique/générale, pour travailler avec un maximum de documents littéraires ou géographiques. Dans l’autre approche, il travaille avec un minimum de textes, de cartes, de plans, de dessins et de tableaux de peinture.

La distinction pédagogique entre ces deux approches dépend aussi du sens donné à la combinaison documentaire qui en est faite pour traiter les chapitres. Nous avons demandé à chacun des professeurs d’apporter des éléments spécifiques en fonction de ses possibilités et des ressources disponibles. Nous devons prendre en compte l’effet global de l’exploitation pédagogique des deux démarches historiques. L’enseignant, pour marquer encore plus la différence, explique l’origine et la nature des documents respectifs.

Exemple de cas pratiques :

Rappelons que les deux approches se complètent et qu’elles ne sont pas contradictoires. Nous voulons mesurer les effets de chacune sur certains points du programme uniquement, sans porter de jugement de valeur sur le fond, ni sur les personnes qui les utilisent. Notre discours est positif et constructif. Nous voulons comprendre les aspects didactiques de l’enseignement de l’histoire, les réussites et les échecs de l’une et de l’autre approche. L’élève est au centre de nos préoccupations. Comment pouvons-nous l’aider en remettant en cause notre métier par un travail de réflexion et en améliorant les conditions pédagogiques ?

Nous sommes conscient des multiples variables qui entrent dans les processus d’apprentissage des savoirs chez les élèves (leurs pré-requis, leur vécu, les savoir-être, l’influence du professeur, l’environnement, etc.). Il est nécessaire de relativiser notre analyse, parce que les résultats obtenus sont complexes. Un effet peut avoir de multiples causes. Une évaluation dépend de plusieurs facteurs, qu’il est assez difficile d’identifier avec certitude et d’isoler.

Le premier aspect de notre étude montre la place de l’archéologie dans le système éducatif français depuis 1865 selon une présentation épistémologique. Nous donnons des éléments de référence choisis dans les écoles historiques, les programmes et les instructions, les manuels scolaires, pour comprendre l’archéologie actuelle et son évolution. Cette analyse permet de dégager les idées clés et de préciser les limites.

Notre étude aboutit à la dernière grande réforme de 1995-1998. Par souci de clarté, nous proposons des exemples d’applications possibles dans des situations d’enseignement, en tenant compte du cadre épistémologique contemporain. Nous illustrons les programmes actuels par des exemples exploités dans des animations archéologiques scolaires évoquées dans le cadre de notre travail.

Le deuxième aspect de cette recherche consiste à démontrer que les élèves des classes de 6e et de 5e ont de meilleurs résultats avec l’approche historique/archéologique par rapport à l’approche historique/générale.La présentation des classes-témoins et des établissements du projet fournit les éléments nécessaires à l’analyse et à la comparaison des nombreuses évaluations. Nous dressons une synthèse des résultats de l’étude didactique en déterminant les intérêts et les limites.

Enfin, la proposition d’un modèle didactique archéologique s’inscrit dans le prolongement des deux premières parties. Nous présentons les différents projets menés auprès des publics scolaires et les partenaires archéologiques, qu’ils soient institutionnels, comme le Service Régional de l’Archéologie, ou spécialisés, comme les associations, les musées. Nous expliquons comment les enseignants ont organisé leurs animations, préparé et géré leur projet.

Nous dépassons l’échelle des expérimentations réalisées en classe de sixième et de cinquième pour essayer d’approfondir la réflexion : ouvrir le débat, faire part de suggestions élaborées à partir des animations diverses menées dans des écoles primaires et les collèges, proposer des éléments de modèle pédagogique basés sur l’archéologie. C’est une contribution à une autre conception de l’enseignement de l’histoire, particulièrement au collège.

L’intérêt de cette partie est d’exprimer des critiques, des remarques personnelles ou formulées lors de discussions avec des enseignants sur le système éducatif actuel et de son environnement, d’apprécier l’organisation pédagogique, le rôle des différents acteurs, les interactions entre les partenaires.

Notes
1.

SCHNAPP 1993, 334.

2.

SCHNAPP 1993, 276.

3.

PESEZ 1997, 18 : Axis Univers documentaire , 1995, Hachette, Dossiers 1 p.314.

4.

JOCKEY 1999,11.

5.

Le petit Robert.

6.

Le petit Robert.

7.

MILZA, 1970, p. 6.

8.

GOUDINEAU 1989, 15.

9.

Axis Univers documentaire , 1995, Hachette, Dossiers 1 p.314.

10.

CORNU 1992, 91. Les Instructions Officielles des programmes de 6e de 1995 et du cycle central (5e et 4e) de 1997 rappellent clairement la place centrale des documents dans l’enseignement.

11.

LEDUC 1994, 46.

12.

LEDUC 1994, 47.

13.

CORNU 1992, 91.

14.

AUDIGIER 1993, 289.

15.

HERY 1999, 15. Les références bibliographiques comprennent le nom de l’auteur, la date de l’édition et le numéro de page. bibliographie à la fin du tome pour plus de détail.

16.

HERY 1999, 17.

17.

LEDUC 1994, 18.

18.

Abréviation : I.O., B.O.E.N. ou J.O..

19.

Cf. tableau pp. 168-173.