Ce courant de pensée, né dans le derniers tiers du XIXe s., « veut imposer une recherche scientifique écartant toute spéculation philosophique et visant à l’objectivité dans le domaine de l’histoire ». Certains l’appellent positiviste, scientiste, mais nous garderons le nom de méthodique, qui lui convient mieux 67 . Cette école cherche à mener un travail rigoureux sur les sources, les documents. Mais, de facto, elle prend parti pour la république. Elle est favorable au nationalisme et prône le colonialisme 68 . N’oublions pas la défaite de la France face à la Prusse en 1870 et l’idée de revanche qu’entretient, au moins à ses débuts, cette école.
La Revue historique, fondée en 1876 par G. Monod et G. Fagniez, en est un instrument essentiel. Elle veut imposer une méthode scientifique, par laquelle les informations données doivent être fournies de manière certaine : travaux originaux et de première main 69 ; l’auteur renvoie aux sources qu’il cite. L’historien établit les faits humains, il cherche à « atteindre la connaissance la plus exacte possible du passé 70 ».
D’autres représentants, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, ont publié en 1898 l’Introduction aux études historiques (ainsi que des manuels scolaires de la 6e à la terminale). Ils privilégient les documents écrits tels que les archives, en particulier les chartes, les décrets, les correspondances, les manuscrits divers, et délaissent les documents non écrits comme les renseignements archéologiques 71 .
Un autre auteur représentatif est Ernest Lavisse. C’est un nationaliste. Il veut reconstituer le passé national de la France, marqué par la lourde défaite française de 1870. Il valorise l’unité du pays. Pour réaliser cet objectif, il exploite les éléments politiques, militaires, diplomatiques, et attribue moins d’importance aux documents ou aux faits économiques, sociaux et culturels 72 . Victor Duruy replace l’histoire de France, déjà renforcée depuis 1852 sous le ministère Salvandy, dans l’histoire universelle 73 . L’événement est privilégié dans le récit mis en oeuvre avec une causalité linéaire 74 . D’une manière générale, l’école « méthodique » développe essentiellement une histoire politique et diplomatique des XIXe et XXe s..
Dans le même temps, les Etats européens fondent au Proche-Orient, en Europe, des instituts de recherche, qui devenus célèbres par la suite, ont lancé de grands chantiers de fouilles. L’Allemagne ouvre la Deutsche Orient-Gesellschaft en 1898. La France crée l’Ecole française d’Athènes en 1846, puis celle de Rome en 1873 et celle du Caire en 1880 75 . Elle développe à la fin des années 1850 le Service des Antiquités de l’Egypte avec, comme premier directeur, Auguste Mariette 76 . Rappelons le contexte de lutte d’influence et de tensions entre la France et le Royaume-Uni dans ce pays depuis la fin du XVIIIe s. 77 . Des relations se tissent entre l’Egypte et la France, qui a fondé en 1798 l’Institut d’Egypte, formé de savants lors de l’expédition de Bonaparte. Cela contribue au développement des méthodes de philologie des langues d’Orient 78 .
L’archéologie n’est pas encore une discipline autonome. Elle le deviendra progressivement au XXe s. Elle est la part matérielle de la connaissance. Elle sert la philologie. A l’époque, l’objet est encore le principal centre d’intérêt des archéologues. Les musées d’Etat connaissent une grande ferveur. Les fouilles de Pompéi, d’Herculanum avaient commencé au XVIIIe s. avec le même état d’esprit.
L’archéologie est au service de la politique et du nationalisme, même si le désir de connaître les civilisations antiques est bien réel. Quand la France réalise des fouilles de tells (collines artificielles) à Khorsabad ou à Ninive entre 1842 et 1846 par le consul Paul Emile Botta (1802-1870), à Mossoul, c’est pour servir « l’expansion française au Proche-Orient, le prestige de la France » 79 . Les Français dirigent la fouille de Delphes en Grèce. Une sorte d’émulation scientifique caractérise les relations internationales d’un monde dominé par l’impérialisme européen, idée bien présente dans notre pays, surtout après la défaite face à la Prusse.
Les opérations de dégagement des villes, par exemple, ne sont pas réalisées dans un esprit scientifique, ni avec des préoccupations historiques bien marquées. Elles se font par décapage. Mais nous notons relativement tôt une évolution favorable des méthodes scientifiques. L’archéologue B. de Perthes en 1847, dans son oeuvre Antiquité celtiques et anté diluviennes, emprunte la méthode de la stratigraphie aux géologues français Cuvier et britannique Bucklandlien, en montrant la relation indissociable entre les animaux fossiles et les strates qui les contiennent. Le principe est posé ; la méthode devra être approfondie et mieux appliquée.
Ce souci de mémoire, qui consiste à enregistrer les données rigoureusement, est plus ancien. Legrand d’Aussy propose à l’Institut national, en 1799, de fouiller des monuments et plus seulement de les dégager. Dans son Mémoire sur les anciennes sépultures nationales, il écrit la même année que « ce ne sont pas seulement les minéralogistes qui ont intérêt à ouvrir et à fouiller la terre ». Il a une préoccupation de protection des sépultures et d’organisation d’un travail de fouille et d’étude 80 . La notion de strate géologique ou de couches de terrain superposées est citée par des auteurs comme Nus Steensen, le comte de Buffon aux XVIIe et XVIIIe s., mais ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe s. que la notion de stratigraphie va commencer à être appliquée, par exemple à Pompéi, par G. Fiorelli 81 .
Les progrès de diffusion de cette méthode sont importants à la fin du XIXe s. 82 . Mais elle reste encore peu développée. Elle se généralisera après la guerre de 1914-1918. Le concept de stratification est courant, rentré dans les habitudes depuis la seconde guerre mondiale, même si certains archéologues scandinaves l’utilisaient déjà 83 .
L’archéologie a finalement beaucoup progressé au XIXe et au XXe s., malgré des décalages chronologiques entre les pays. Les archéologues publient au XIXe s. des données de fouilles, d’architecture, les objets trouvés grâce à des revues, des catalogues des grands corpus documentaires 84 . Cela correspond à un souci historique. L’objet d’étude de l’archéologie change : au départ, les archéologues s’intéressaient aux antiquités. Il s’agissait plus d’une science des objets. Plus tard, elle deviendra la science des monuments et des sites.
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