B - Les apports de Fernand Braudel

Des représentants de générations plus jeunes influencent considérablement à leur tour l’Ecole des Annales : Fernand Braudel, ou Pierre Goubert, avec leur thèse 89 .

Dans la continuité de Febvre et Bloch, Braudel veut construire une histoire totale. Il est favorable à l’unité des sciences humaines. Il dirige seul pendant un temps la Revue des Annales, et préside la sixième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes 90 .

Il a beaucoup marqué la pratique de l’histoire, avec le concept de civilisation, très utilisé en archéologie. Un concept est une construction intellectuelle, formé d’attributs regroupés selon un principe de classification 91 . Une civilisation se définit par plusieurs éléments :

  • L’aire géographique en tant qu’espace défini par des données physiques et culturelles.

La question du temps. Braudel divise le temps en trois : le temps long ou géographique, le temps social ou intermédiaire, le temps court ou individuel ou événementiel : « en surface, une histoire événementielle, qui s’inscrit dans le temps court […] ; à mi-pente, une histoire conjoncturelle, qui suit un rythme plus lent […] ; en profondeur, une histoire, de longue durée, qui met en cause des siècles ». Malgré l'échelle chronologique commune aux trois temps, l'auteur souligne »  la multiplicité, la valeur, la notion d'équilibre » du temps long, qu'il oppose au temps court. Il le privilégie en raison des réalités de longue durée, de la persistance des héritages historiques. Ce temps occupe une place particulière, dominante dans l'histoire des civilisations, des événements, des héros. On le compte différemment, par siècle. Les civilisations sont liées au long terme, parce qu'elles sont immortelles 92 .

  • Le type d'organisation sociale. F. Braudel a développé également ce point, car il a voulu unir l'histoire aux autres sciences sociales. Les sociétés sont constituées de caractères propres, d'héritages, d'emprunts, d'échanges, réalisés entre elles. Mais la civilisation dépasse les limites sociales.
  • Les structures et l'organisation économiques. L’auteur pense qu'une civilisation matérielle est vivante, marquée par des mouvements, et modelée par des échanges, des chocs économiques. Les populations sont créatrices de richesses. Il prend l'exemple de la Grèce, qu'il qualifie de « thalassocratie », en raison du rôle primordial de la mer.
  • L'organisation politique. C'est un autre critère fondamental de définition, qui contient une notion de défi. Par exemple, les Phocéens de Massalia ont dû s'entendre avec les différents peuples celto-ligures du sud de la Gaule, lors de leur expansion territoriale.
  • Les sciences et les techniques. C'est un aspect important, comprenant également les arts.
  • Les valeurs culturelles et religieuses. La religion, qui est au coeur des civilisations à la fois passées et présentes, est essentielle.
  • Les mentalités.
  • La vie quotidienne. Elle comporte beaucoup d’aspects : l’habitation, la nourriture, le logement, les vêtements, les métiers, etc.
  • La fin d'une civilisation. Fernand Braudel fait remarquer que, pour comprendre une civilisation plus ou moins complexe, il ne faut pas raisonner comme une personne ; son évolution n'est pas linéaire. Des chocs violents peuvent apparaître au contact de diverses civilisations. Une civilisation se transforme en se « partageant », par le refus ou l'accueil d'éléments étrangers, qui peuvent être tragiques, si le « défi » n’est pas atteint, c'est-à-dire si la possibilité d’évoluer tout en conservant ses caractères, n'est pas réussie. Elle peut alors disparaître 93 .

Cette histoire marque les programmes scolaires dès les années 1950.

Notes
89.

BRAUDEL 1949 et GOUBERT 1960 ; BOURDE 1997, 215.

90.

BOURDE 1997, 233.

91.

BARTH 1987, 21.

92.

J. Leduc critique cette position : Braudela privilégié « le déterminisme de la longue durée. Le temps existe aussi dans les structures des cultures, des idées, des choix individuels ». Il varie en nature et complexité. (cf. LEDUC 1994, 69-70).

93.

Nous avons largement utilisé les deux ouvrages de F. BRAUDEL Ecrits sur l’histoire, 1969, et Grammaire des civilisations, 1987. Les références sont très nombreuses. Il serait trop long et exhaustif de citer tous les numéros de pages.