B - Pour une histoire totale

Dans Combat pour l’Histoire 102 , Francis Febvre lutte contre la place prise par l’histoire politique et diplomatique, contre l’histoire «  historisante », qui se base sur l’histoire événementielle. Cette tendance ancienne s’accentue avec la Nouvelle Histoire.

L’Ecole des Annales cherchait à écrire une histoire totale. La Nouvelle Histoire a souhaité réaliser cette ambition en élargissant le champ de l’histoire à de multiples domaines dès les années 1970, comme, par exemple, le climat, les mentalités, l’histoire sérielle, le corps, la sexualité 103 . Elle propose de nouvelles approches, de nouveaux objets, de nouveaux problèmes, pour reprendre les termes d’un ouvrage connu de J. Le Goff et de P. Nora 104 .

L’étude des mentalités et des représentations enrichit l’histoire, avec les oeuvres de Philippe Ariès L’Homme devant la mort 105 en 1977, ou de Georges Duby Histoire des mentalités  106 . L’anthropologie historique n’a pas de domaine spécifique, mais une démarche propre, liée à une résonance sociale et aux modifications de comportement. Elle fait appel à l’économie, à la démographie historique, à l’ethnologie. Elle intervient dans l’histoire de l’alimentation, le corps, les maladies, les moeurs, les comportements sexuels, la famille, les fêtes 107 . L’ouvrage Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 d’E. Le Roy Ladurie, édité 108 en 1975, en est un bon exemple. La Nouvelle Histoire a développé l’histoire sérielle à laquelle contribue l’archéologie. Le chercheur effectue des comptages, qui sont facilités et valorisés par le traitement informatique 109 .

L’histoire a beaucoup changé, s’est beaucoup diversifiée. Ses limites avec les autres champs de connaissances sont devenues moins nettes. «  De nouvelles conceptions de l’espace et du temps, de leurs rapports avec l’histoire et de leur place dans le renouvellement de la méthode historique » se sont élaborées. Il s’agit de diminuer les obstacles entre les sciences humaines et les sciences de la vie, d’utiliser la biologie pour faire de l’histoire, par exemple. Pour permettre les nombreuses études entreprises, l’historien collabore avec l’ethnologue, l’historien de l’art, l’archéologue. Les documents écrits ne suffisent plus et perdent leur prépondérance 110 . Les chercheurs utilisent des documents complémentaires iconographiques, archéologiques, des enquêtes orales. La Nouvelle Histoire exploite une multiplicité de sources, qu’elle utilise ou relit 111 . Elle «  apparaît donc désormais bien plus comme une nébuleuse que comme une véritable école 112  ». Se développe ainsi »  une histoire éclatée 113  », il n’y a pas une histoire, mais des histoires. Cet éclatement est toujours présent.

Au demeurant, l’ambition initialement affichée d’une histoire totale ne peut pas être atteinte : « la multiplication des objets nouveaux, la dilatation du territoire semblent autant de signes d’une bonne santé de l’histoire. Mais l’historien, à vouloir absorber toutes les sciences sociales, risque d’y perdre la spécificité et l’intérêt de son regard, c’est-à-dire sa capacité de synthèse, à laquelle il semble renoncer. […] Cet historien ne cherche plus à saisir la totalité du réel. […] Il y a bien dans ce domaine une rupture fondamentale avec les ambitions de Marc Bloch, Lucien Febvre ou Fernand Braudel 114 . »

La Nouvelle Histoire a connu une crise ou des bouleversements dans les années 1980-1990. Certains historiens contestent les orientations prises par ses dirigeants, pour affirmer des choix épistémologiques différents : c’est, par exemple, donner plus d’importance à l’événement, à l’histoire politique, au temps présent, à la biographie 115 . Nous ne développerons pas ce propos, car l’archéologie demeure bien insérée dans le sillage de la Nouvelle Histoire. Mais elle a pris ses marques. Elle propose de nombreuses publications, fait l’objet de travaux ou de programmes de recherche nationaux.

Notes
102.

FEBVRE 1995

103.

CLARY 1988, 168, et BOUCHERON 2003, 27.

104.

LE GOFF 1974.

105.

Ed. Le Seuil, 641 p., rééd. en 1985.

106.

L’histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961.

107.

LE GOFF 1988 a, 145-161.

108.

Ed. Gallimard, 642 p., rééd. en 1982.

109.

DELACROIX, 1999, 227.

110.

LE GOFF 1988 a, 58, 71 (citation) et 90.

111.

BOURDE 1997, 264.

112.

DEVELAY 1995 a, 139.

113.

DEVELAY 1995 a, 139.

114.

DELACROIX 1999, 223-224.

115.

DELACROIX 1999, 249, 253-257 ; COLLECTIF 1990 A, 100-102 ; DEVELAY 1995 a, 147.