IV - Analyse des programmes de 1890

La dynamique de protection du patrimoine monumental national s’amplifie à partir des années 1880, avec le premier texte législatif sur la protection des monuments historiques, du 30 mars 1887. En 1913 est adoptée la loi fondamentale du 31 décembre sur leur classement 138 .

C’est la première fois que les programmes, le 28 janvier 1890, sont accompagnés d’Instructions Officielles précises, publiées le 15 juillet de la même année 139 . L’histoire méthodique a inspiré les programmes sous la troisième République : ce courant, marqué par des positions anticléricales, est favorable à ce régime politique et montre l’ennemi du pays, l’Allemagne. Il cherche à valoriser les origines de la France. La première publication, en 1884, du manuel d’histoire, de géographie, et d’instruction civique, le «  Petit Lavisse », connaît un grand succès 140 .

Gabriel Monod affiche une volonté de neutralité de l’historien, en référence aux principes énoncés par L. Von Ranke. L’historien rend compte objectivement de l’histoire, il est neutre. Mais l’histoire méthodique est en contradiction avec ces principes : elle prend souvent parti dans ses idées et son enseignement. La Revue historique est exemplaire : elle critique l’Eglise catholique et les monarchies et favorise l’école laïque gratuite 141 .

Niveau Place de l’archéologie
dans les textes officiels
Commentaires
6e - Egypte : « Memphis et l’ancien empire ; Thèbes et Ramsès ». « Religion, monuments, moeurs. Découverte de Champollion. Les égyptologues français ».
- Chaldéens et Assyriens : « Ninive et Babylone ». « Ruine de Babylone. Moeurs coutumes monuments. Découvertes contemporaines ».
- « Les Israélites » : « Le royaume de David et de Salomon, le Temple. Destruction des deux royaumes ».


- Les Phéniciens : « Sidon et Tyr : […] les colonies. Fondation de Carthage. L’alphabet ».
- Les Mèdes et les Perses : « Monuments, religion, moeurs et coutumes ».
- Voir programmes de 1880.




- Voir programme de 1880.
Les programmes font référence aux fouilles archéologiques réalisées à cette époque.
- Voir programmes de 1874.
L’étude prend une autre dimension plus archéologique avec le rôle du Temple de Salomon et d’Hérode le Grand.
- Voir programmes de 1880.


- Voir programmes de 1880.
5e - « La race hellénique » : « la guerre de Troie » ; « les jeux ; Olympie, Delphes, Délos ».
- « Les Doriens et les Ioniens » : « Les villes grecques d’Asie. Les colonies de la Grande Grèce, de la Sicile et de l’Afrique. Premier développement des arts ».
- « Suprématie d’Athènes » : « Périclès ». « Le commerce athénien ».
- « Les arts […] à Athènes : « L’Acropole : Phidias ». « Le théâtre ». « L’assemblée du peuple ».
- Alexandre le Grand : « Conquête de l’Asie ».
- « Diffusion de l’esprit grec en Orient. Alexandrie, Pergame ».
- Voir programmes de 1880. Les rédacteurs ont ajouté trois sites archéologiques importants, trois cités, Olympie, Delphes et Délos. Ils s’intéressent au commerce grec et à celui qui donne la puissance à Athènes. Cette cité prend ainsi plus d’importance dans l’étude du monde grec.
4e - « Fondation de Rome » : « le sénat ». « Notions sommaires sur le culte ».
- « Une séance au sénat. Une assemblée du peuple. Le Forum ».
- « Les guerres puniques » : « Hamilcar et Annibal ». « Ruines de Carthage ».
- « Conquête du bassin de la Méditerranée. Caractère de la politique et de la guerre en Orient et en Occident ».
- César : « Conquête des Gaules. Vercingétorix ».
- Les « arts » : « Monuments commerce ; routes ».
- « Les Empereurs de la famille d’Auguste : conquête de la Bretagne ». « Ruine de Jérusalem ».
- « Les Antonins » : « Conquêtes de Trajan ». « Gouvernement des Antonins ».
- « Les Arts » : « Grands monuments à Rome et de la province. Les spectacles. La maison romaine ».

- « Le christianisme. Eglise primitive : catacombes ».
- Voir programmes de 1880.





















- Les textes insistent sur quelques aspects de la civilisation matérielle : l’habitat, les spectacles dans l’Empire.
- L’étude du christianisme semble être limitée à ses débuts.
3e - « Civilisation romaine : monuments, moeurs. Exemples pris en Gaule. Comparaison de la Gaule avant et de la Gaule romaine ».


- « Les Barbares » : « Les invasions germaniques ».
- « Les Francs : Clovis ».
- « Empire romain d’orient » : « l’église Sainte Sophie ».

- « Les Arabes » : « La civilisation arabe ».
- « La Papauté » : « Monastères et missions en Occident ».
- « L’Empire franc » : « Les Normands en Europe ».
- « La féodalité ». « Le régime féodal » : « le fief, le château ».
- « Les croisades » : « Fondation du royaume de Jérusalem ». « Influence de la civilisation orientale en Occident ».
- « Les villes » : « Progrès des populations urbaines et rurales ».
- « Civilisation chrétienne et féodale » : « La croisade albigeoise ». « Les arts : un château, une église romane, une église gothique ».
- Voir programmes de 1880. Mais l’enseignant doit montrer précisément le mode de vie des Gaulois romanisés. Les différents domaines de l’archéologie fournissent beaucoup d’exemples.
- Voir programmes de 1880.

- Voir programmes de 1865.
- Nouveauté : la présentation de la basilique Saint-Sophie de Constantinople.
- Voir programmes de 1865 et de 1874. Tenir compte des progrès de l’archéologie médiévale qui devient plus importante avec la présentation de monuments typiques qui sont désormais nommés dans les textes : les monastères, des églises romane et gothique, les châteaux et leur sens politique, les villes et l’étude de la population. Le professeur doit présenter les héritages de l’Orient médiéval en Occident suite aux croisades. C’est un ensemble de progrès considérables.
2de - « La Renaissance ». « Châteaux et Palais ». - Présentation de types de monuments nommés. C’est encore un progrès.
1re
(rhéto-rique)
- « La société française » : « L’hôtel de Rambouillet ».
- « Le mouvement intellectuel » : (sous Louis XIV). « Le Brun. Mansart. Le Louvre, Versailles ». « Vauban ».
- Voir programmes de 1880. Trois monuments représentatifs et des artistes importants du XVIIe s. sont présentés.
Philo. (Histoire contemporaine 1789-1889)
- « Développement de l’érudition. Rénovation des connaissances sur l’Orient, l’Antiquité classique, le Moyen Age. L’archéologie et les grandes découvertes. L’histoire ».

Une réflexion profonde est engagée en classe sur les fondements antiques de la société contemporaine. Le professeur doit développer le rôle de l’archéologie et l’illustrer par des chantiers de fouilles, ou de restauration (comme en France). L’archéologie est nettement valorisée.

Les textes officiels donnent toujours la primauté à l’aspect politique de l’histoire. Le professeur doit choisir faits et personnages. Nous notons une évolution relative, qui peut favoriser l’étude matérielle des civilisations, même si cet aspect est limité. Les Instructions rappellent «  qu’il est bon de montrer (à l’élève) des représentations authentiques des hommes et des choses d’autrefois ». Elles émettent une réserve en disant que «  cet enseignement ne suffit pas », parce que peu d’élèves réussissent à interpréter des documents iconographiques. Elles mettent en garde contre une deuxième difficulté : des connaissances abstraites. L’enseignement doit être concret. Pour cela, il doit pratiquer la méthode « pittoresque », c’est-à-dire une démarche qui consiste à «  raisonner l’enseignement historique, le régler d’après certains principes » pour mieux le faire comprendre aux élèves, rendre accessible des connaissances trop abstraites, simplifier l’histoire. Cette méthode est préconisée dès les classes primaires, jusqu’en seconde en particulier. Elle suppose de raconter des histoires : des « portraits, des anecdotes, des descriptions, du pittoresque ». Les Instructions de 1890 demandent de « stimuler l’activité de l’enfant, éviter son inertie 142  ».

Les programmes de collège traitent beaucoup de l’Antiquité de la sixième à la quatrième, et très peu en troisième. Ils ont une réelle « vocation culturelle », non liée directement à une utilité professionnelle. Ils sont fondateurs. Les rédacteurs des Instructions veulent développer les explications de textes 143 .

Un rapport du 15 mars 1902, présenté par l’architecte en chef des monuments historiques de l’Algérie, Albert Ballu, au gouverneur général de l’Algérie sur les travaux de fouilles et de consolidations exécutés aux monuments historiques 144 , donne des indications sur la manière de conduire des fouilles archéologiques menées à Cherchel, l’ancien Caesarea, en 1886-1889, par un professeur de lettres d’Alger, M. Waille. Il est écrit que les thermes de l’Ouest ont été «déblayés ». La méthode stratigraphique présente des lacunes, mais l’intérêt historique est certain.

Les programmes de 1890 apportent des changements significatifs. Premièrement, la part de l’archéologie s’accroît : l’enseignant présente les découvertes contemporaines du Moyen-Orient liées à des chantiers de fouilles qui se déroulent sur les territoires antiques de l’Egypte, de l’Assyrie et de Babylone, ainsi que les méthodes utilisées et ce que l’archéologie apporte à l’histoire. Nous retrouvons ces exigences jusque dans les programmes de 1923-1925. Les élèves des classes de philosophie, compte tenu de leur savoir et savoir-faire, sont donc en mesure d’organiser un travail de synthèse approfondie.

Deuxièmement, nous notons une diversité plus grande de l’histoire. Le caractère politique et militaire domine toujours, mais les rédacteurs demandent de traiter plus d’éléments sur la civilisation matérielle (moeurs, maisons, coutumes). Les programmes de cinquième valorisent davantage la notion de cité dans le monde grec, avec trois exemples qui font l’objet de fouilles importantes, et évoquent aussi l’idée de commerce. Pour les niveaux de quatrième et de troisième, les élèves devraient étudier les provinces romaines du point de vue politique et artistique. La Gaule représente donc un élément important et un exemple dans lequel le professeur peut trouver à la fois des thèmes archéologiques et des occasions de présenter du patrimoine archéologique à l’échelle nationale ou locale. Pour la première fois les programmes demandent de traiter précisément la maison romaine. Nous avons remarqué ce changement à travers la lecture de deux manuels de l’école primaire : dans le premier, l’auteur écrit que les Romains ont bâti «  des villes, embellies de monuments dont on admire encore les ruines en beaucoup d’endroits » et illustre la leçon avec une gravure des arènes de Nîmes 145 . Le second rappelle également «  les restes imposants » des villes gallo-romaines et publie une gravure d’une maison sans le commentaire 146 .

Le troisième changement concerne l’archéologie monumentale, qui occupe une plus grande place. Nous venons de le voir pour la période antique. Cela est surtout marqué pour les classes de troisième et de seconde, avec les bâtiments médiévaux religieux et laïcs : châteaux, villes, églises, monastères. Les programmes de 1890 sont les premiers à exiger du professeur de parler à ses élèves du château médiéval de pierre. Sur les trois manuels consultés, deux l’évoquaient en donnant une description vague, basée sur la position et les éléments de fortification, accompagnée d’une gravure d’édifice castral typique ou de celui de Carcassonne, sans mentionner l’existence des mottes 147 .

Les illustrations archéologiques deviennent plus nombreuses dans les ouvrages scolaires. Elles ne portent pas seulement sur les deux thèmes choisis. Il s’agit de gravures de monuments tels que les pyramides, les colonnes de style grec, le Parthénon, une colonne rostrale, le Colisée, l’Arc de triomphe d’Orange, des cathédrales (Strasbourg, Notre-Dame de Paris …), le palais des papes d’Avignon. Les ouvrages publient également des vues d’éléments archéologiques (poteries, bijoux gaulois, couronne dite de Charlemagne), des dessins de maisons occidentales des IXe et Xe s., de chevaliers, de boutique médiévale.

Quoique plus présente, l’archéologie a toujours valeur d’illustration. Beaucoup de documents de manuels ont uniquement un titre ou une légende et ne sont pas exploités dans le texte des leçons. Les documents littéraires restent primordiaux.

Notes
138.

BADY 1985, 12-13.

139.

DEVELAY 1995 a, 133.

140.

BOURDE 1997, 200.

141.

BOURDE 1997, 207-209.

142.

MARCHAND 2000, 555.

143.

AUDIGIER 1993, 171-172 et 181.

144.

Journal Officiel de la République du 24 mai 1902, p.3571.

145.

LAVISSE 1881, 7.

146.

VIATOR 1887, 144-145.

147.

LAVISSE 1881, 41-42, et VIATOR 1887, 198-199.