Les programmes du 31 mai 1902 ne sont pas accompagnés d’Instructions. Le ministère a engagé une profonde réforme : l’enseignement du lycée est divisé en deux cycles : les élèves étudient en quatre ans ce qui était prévu en sept ans auparavant : l’Antiquité est traitée en un an au lieu de trois 148 . C. Seignobos est l’instigateur de cette réforme 149 .
Le Journal officiel du 31 mai 1902 modifie l’organisation des classes. Quatre sections sont créées dans le second cycle : les élèves choisissent des options : section A grec-latin, section B latin-langues vivantes, section C latin-sciences et, section D sciences langues vivantes. Tous reçoivent un enseignement d’histoire moderne de deux heures hebdomadaires (voir rubrique « toutes sections » dans le tableau). Ceux des sections A et B ont en plus deux heures d’histoire ancienne en seconde et première.
Nous avons déjà vu qu’il existait des publications archéologiques au XIXe s. La France a développé des actions en Europe, en Afrique, en Asie. Le souci de préserver les grands monuments historiques a été réaffirmé et les gouvernements investissent dans ce domaine.
Niveau |
Place de l’archéologie dans les textes officiels |
Commentaires |
6e | - L’Egypte : « Religion, moeurs, monuments, écriture ». - Chaldée et Assyrie : « Babylone, monuments, écriture ». - « Les Juifs » : « David et de Salomon. Le Temple ». - Les Phéniciens : « colonies ». - La Grèce. « Les fondations des colonies grecques ». - « La civilisation athénienne » : « La cité ». « Les monuments, les théâtres ». - « Religion romaine » : « Le culte ». - « La conquête romaine » : « Hannibal, les guerres puniques ». - « La vie romaine » : « L’habitation, le vêtement ». - « La société romaine » : « Le sénat, les comices ». - « La conquête des Gaules. Vercingétorix ». - « L’Empire » : « La défense des frontières, les monuments, les routes. Les moeurs, les spectacles, le cirque. Pompéi ». - « L’église primitive : les martyrs ». |
- Sarcophages, représentations de couronnes. Monuments : temples, pyramides, mastabas, hypogées, obélisques ; la civilisation peut être présentée grâce à de nombreux autres documents fresques, sculptures, objets archéologiques qui présentent la population. - Vestiges de monuments ou objets archéologiques, inscriptions. - Voir programmes de 1874. - Voir programmes de 1874. - Monuments et fouilles archéologiques de cités. Objets archéologiques (de commerce). - Monuments, sites archéologiques, objets archéologiques. - Monuments, autels. - Voir programmes de 1865. - Voir programmes de 1890. Un site archéologique de référence, Pompéi, peut être exploité. - Voir programmes de 1874. - Voir programmes de 1890. - Voir programmes de 1890. |
5e | - « Gaule ancienne » : « les moeurs ». - « Gaule romaine » : « Villes, monuments, routes. Le christianisme en Gaule ». - « Les Francs » : « Clovis. « Moeurs de l’époque mérovingienne ». - « Les invasions en Gaule ». - « Le monde musulman ». - « L’Empire franc » : « Charlemagne […] la cour ». - « Décomposition de l’Empire franc » : « Les invasions : les Normands ». - « La société au moyen âge » : « le château ». « Les villes ». - « La civilisation occidentale » : « Les monuments romans et gothiques. L’habitation ». |
- Voir programmes de 1890. Les programmes insistent sur les moeurs des Mérovingiens. - Elément flou pour présenter le monde musulman. - Voir programmes de 1880. - Forte influence des programmes de 1890. |
4e | - « La Renaissance » : « les monuments ». - « L’art français au XVIIe s. » : « les principaux monuments ». |
- Voir programmes de 1880 |
3e | - « Transformation de l’industrie et du commerce » : « La grande industrie ». « chemins de fer ». | - Anciens monuments de production. C’est la première fois que cela est étudié en troisième, en fin du premier cycle. |
2de sections A et B Histoire ancien-ne |
- « Temps préhistoriques » : « Les grandes périodes préhistoriques. Les races et les peuples ». - L’Egypte : « Description de l’Egypte ». « Les pyramides ». « Religion : dieux, culte des morts. Monuments : temples, tombeaux, arts, écriture ». « Découvertes archéologiques ». - Chaldée : « Villes anciennes ». « Les palais des rois assyriens. Babylone ». « Monuments ; bas-reliefs, inscriptions, écriture ». « Découvertes archéologiques ». - « Les juifs » : « Le culte ». - Phénicie : « Les villes ». « les colonies ; l’alphabet ». - « Les Perses » : « monuments ». « Découvertes archéologiques ». - Grèce : « Les anciens temps : Troie ». - « Les dieux ». - « La colonisation grecque » : « Les colonies d’Afrique, de Sicile, de Grande Grèce, de Gaule et d’Espagne ». - « La civilisation jusqu’au Ve s. » : « les arts ». « La religion : le culte, les grands sanctuaires. Les jeux ». - « La démocratie athénienne » : « Monuments ». « Théâtres. Assemblées ». « Le commerce d’Athènes ». - « Suprématie de la Macédoine » : « Alexandre, la conquête de l’Asie ». - « Fondation de royaumes helléniques » : « Alexandrie ». « La civilisation grecque en Orient ». |
- Outils en silex, céramiques, habitat (grotte, abri). - Voir programmes de 1880 (6e). - Voir programmes de 1890 (6e). les rédacteurs rajoutent l’écriture cunéiforme notamment. - Le Temple. - Voir programmes de 1880. - Voir programmes de 1880 (6e). - Monuments. Chantiers archéologiques du XIXe s. - Vestiges archéologiques de Troie. - Voir programmes de 1890 pour le reste. |
1re (rhéto-rique) sections A et B Histoire ancien-ne |
- « Description de l’Italie » : « Les Etrusques : tombeaux. religion ». - « La religion romaine » : « le culte ». - « Les voies romaines ». - « La conquête du bassin de la Méditerranée » : « Caractères de la politique et de la guerre » ; « Carthage […] Gaule méridionale ». - « Transformation des moeurs : habitation ». - « La vie politique » : « une séance au Sénat, les assemblées ». - César : « La conquête des Gaules ». - Auguste : « Les colonies. Les armées des frontières ». « Monuments. Commerce ». - « La civilisation romaine sous l’Empire » : « La vie romaine, Pompéi. Les spectacles […] les moeurs ». - « Le christianisme » : « L’église primitive, les persécutions ». - « Les Barbares » : « Conversion au christianisme. Clovis ». - Charlemagne. - « Les Arabes » : « L’Empire et la civilisation arabe ». |
- Une nouveauté qui est renseignée par l’archéologie funéraire et par des cités : les Etrusques. - Voir programmes de 1890. Mention explicite de Pompéi comme en sixième. - Changement dans l’intitulé : allusion aux nécropoles païennes et chrétiennes. - Voir programmes de 1890. |
2de toutes sections (histoi-re mo-derne) |
- « L’Eglise » : « Les couvents et le clergé ». - « La civilisation » : « L’art roman et l’art gothique ». - « La Renaissance » (XVIe s.) : « Les artistes […] en Italie, en France ». - « Mouvement intellectuel au XVIIe s. » : « arts ». |
- Voir programmes de 1890. - Voir programmes de 1865. |
1re toutes sections (histoi-re mo-derne) |
Aucun élément. | |
Philo. | (Histoire contemporaine 1815 - à nos jours) - « Transformation de l’industrie » : « La vapeur, l’électricité, la grande industrie ». « Les chemins de fer ». |
- Voir programmes de 1874 et tenir compte des progrès contemporains. |
Les programmes de 1902 marquent une rupture par rapport aux précédents. L’Antiquité y est traitée en un an au lieu de trois. L’histoire de l’Orient et de la Grèce a donc été réduite, ainsi que celle du Moyen Age. Les partisans d’un enseignement où les humanités classiques, c’est-à-dire le français, le latin, le grec, tiennent une place importante, ont donc critiqué la réforme de 1902. Ils rejettent la modernisation proposée par une pédagogie de l’activité accrue de l’élève, les exercices voulus par C. Seignobos, la réduction des programmes sur l’Antiquité en sixième. Les traditions restent fortes.
Mais nous pouvons considérer que la part de l’archéologie demeure importante, grâce aux chantiers de fouilles qui se sont ouverts en France, en Europe et en Orient, avec une certaine concurrence politique entre les Etats, liée à la poussée des nationalismes. De plus, l’enseignement d’histoire ancienne des sections A et B du second cycle, en seconde et en première (rhétorique), permet d’approfondir les leçons sur l’Antiquité et, au moins, d’évoquer des documents archéologiques : apparition de la préhistoire dans les programmes, présentation de sites romains remarquables comme Pompéi.
Les programmes de 1902 confirment donc le développement de la part de l’archéologie dans l’histoire enseignée, amorcée dès la réforme de 1880, et la renforcent. Ainsi, les références sur l’habitation romaine sont plus nombreuses. Les textes précisent que l’enseignant doit en traiter dans le cadre de la vie romaine et de Pompéi en sixième et dans les sections A et B de rhétorique.
Quatre exemples de sites archéologiques contemporains illustrent ce point. Nous faisons à nouveau référence au rapport de synthèse de 1902 sur des fouilles en Algérie 150 , publié dans six pages de textes du Journal Officiel, sans aucune illustration, afin de présenter une analyse des dégagements archéologiques effectués à Cherchel, Ceasarea, en 1886-1889, à Timgad en 1900 et 1901. L’auteur fait « l’hypothèse d’un palais antique avec un perron de cinq marches ». Le bâtiment contient vingt salles autour d’un atrium de dimension de 7 fois 8,5 mètres, « qui est traversé par un caniveau recouvert de dalle régulière et communiquant avec une citerne » de 12 m3 en bon état. A Lambèse, Lambaesis, l’objectif de la fouille du praetorium (camp militaire) est de comprendre comment est disposée la partie centrale de la 3e légion romaine. A Timgad, l’auteur évoque une comparaison avec Timgad, Pompéi. Les découvertes concernent des îlots d’habitations, une grande habitation voisine du temple de Jupiter capitolin, un escalier et des constructions au sud-ouest du théâtre, des thermes à l’est de la basilique du forum, la partie orientale du Decumanus Maximus (l’un des deux grands axes fondateurs de la ville), une fontaine près de la porte de la ville, des voies, la basilique chrétienne, une nouvelle porte nord ainsi qu’une fraction de l’enceinte nord.
L’auteur dresse un inventaire avec une description intéressante des éléments trouvés, en céramique (notamment une lampe chrétienne avec un chrisme), en os, en bronze, en verre, en plomb, en pierre, en marbre, sans les localiser précisément, ni dans un lieu précis ni dans une couche stratigraphique. Il fait mention des monnaies, des inscriptions épigraphiques, parfois complètes, sur les personnages de la ville comme celle de Messalinus commandant de la IIIe légion et « patron de la colonie ». Cette absence de chronologie absolue (y compris pour les monnaies qui ne sont pas datées), et de chronologie relative est générale dans ce rapport officiel. Le mot fouille est peu fréquent ; l’auteur utilise par exemple le terme de « déblaiement », ce qui en dit long sur l’état des méthodes de l’archéologie.
Pour autant, les descriptions des vestiges architecturaux sont assez précises : « la cinquième voie, la voie du Musée, a été déblayée sur cinquante mètres de longueur et 6,10 m. de largeur ». Une petite colonne mesure 50 cm de hauteur et 27 cm de diamètre. Ces exemples indiquent le souci de conservation des vestiges sur place ou dans un musée. Cette remarque est valable pour les autres travaux effectués à Philippeville, à Bône.
Pompéi est une référence majeure en 1902. De multiples travaux ont déjà eu lieu. On découvre de nombreux artefacts. Les rois de Naples et d’Italie ont encouragé le dégagement de la ville à partir de 1770. Murat, au début du XIXe s., s’intéresse à l’amphithéâtre, à la basilique. Le changement important a lieu lorsque le roi Victoir-Emmanuel II, en 1860, nomme Fiorelli directeur des fouilles ; premier archéologue à caractère scientifique, il procède au nettoyage des rues, à la fouille de maisons. La célèbre mosaïque d’Alexandre à la bataille d’Issos est découverte en 1861 dans la maison du Faune.
Une ville voisine, Herculanum, a été dégagée partiellement au XVIIIe s.. Les travaux reprennent dans le deuxième du XIXe s. : les maisons du Génie et d’Argus sont mises à jour entre 1828 et 1865. Fiorelli reprend les fouilles en 1869 mais la population de la ville de Résina, bâtie sur la cité antique, fait pression pour qu’on les arrête en 1875. Les fouilles systématiques ont lieu au XXe s.. 151
Le dernier exemple est celui de Vaison-la-Romaine. Joseph-Marie de Suarès en est l’évêque de 1634 à 1666. Il réalise un gigantesque travail de collecte et de traduction d’inscriptions et d’observations écrites des ruines. Des érudits publient au XVIIIe s. des Mémoires et des Histoires résultats de leurs observations. Des commissions de recherches et de fouilles sont créées en 1821 et 1837. Elles produisent quantité de rapports, de dessins, fournissent des renseignements, font des fouilles dans le théâtre, les thermes du Nord jusqu’à en 1870 152 .
Toutes ces données sur la maison romaine et les sites fouillés, mis en relation avec les programmes d’histoire de 1902, montrent un début de changement dans la présentation de l’histoire enseignée : la valeur illustrative de l’archéologie s’accroît car, pour étudier les points obligatoires du programme au sujet de la civilisation matérielle (les villes, Pompéi, l’habitation romaine), les archéologues fournissent des informations nécessaires et indispensables 153 . Certes, l’enseignant peut exploiter les lettres de Pline le Jeune à Tacite pour évoquer Pompéi. Mais ce n’est plus suffisant.
Nous n’avons pas trouvé de gravure sur des maisons dans les manuels consultés 154 . Ces derniers expliquent la romanisation de la Gaule par les monuments (arènes, arc de triomphe, temples, théâtres) en prenant des exemples dans des villes du sud de la France en particulier. L’un des ouvrages est très intéressant, car il montre aux élèves des sections A et B de rhétorique le plan de la Rome antique, des gravures ou des dessins de vestiges de sites ou de bâtiments ruinés, tels que l’arc de Titus, les forums romains ou de Trajan etc.
Le thème du château médiéval est développé dans un court résumé de neuf lignes, illustré par deux gravures d’une porte fortifiée et d’une reconstitution d’un « château féodal ». Aucune allusion à la motte castrale 155 .
Les programmes de 1902 présentent l’avantage d’aborder les découvertes archéologiques du Moyen-Orient. L’enseignant explique par conséquent le rôle de l’archéologie. Il peut évoquer les méthodes utilisées d’une manière naturelle dans son cours, mais n’y est pas tenu par les textes de le faire. Dans aucun manuel de cette période, il n’en est fait mention. D’après le rapport déjà cité sur les fouilles en Algérie, la méthode de la stratigraphie n’est pas employée. Or, si l’on prend le site de Timgad, elle pourrait l’être : de nombreux objets sont trouvés dans un contexte architectural assez riche.
Cela traduit un débat au sein des historiens. La recherche répond aux attentes des programmes en 6e et en 5e. C. Seignobos a développé le sens critique des sources historiques et considère que l’enseignement contribue à montrer comment on fait l’histoire. Au contraire, d’autres, tels que Monod, veulent insister sur les résultats. Ce désaccord illustre tout à fait la volonté que « la recherche historique donne à l’histoire enseignée la caution de la science 156 ». Ajoutons que les méthodes de l’archéologie ne sont pas encore au point en 1902. Le souci de la conservation, de la part des responsables des fouilles, c’est de montrer au public les sites, par exemple le théâtre de Timgad, et de constituer des musées d’éléments lapidaires ; d’autres types s’affirment.
Cf. annexes 1 et 2.
HERY 1999, 86.
Journal Officiel de la République du 24 mai 1902, p.3571, 3574, 3577.
Pompéi, Herculanum, le Vésuve, Florence, 1994, 128 p., p.86.
GOUDINEAU (C.) KISCH (Y. de), Vaison-la-Romaine, guide archéologique de la France, Vaison-la-Romaine, 1984, 96 p., p.9. ; KISCH (Y. de), « Redécouvrir Vaison-la-Romaine », in Archéologia, n° 152, mars 1981, pp.6-21, p.9.
BURNAND 1996, 6.
BERNARD 1902, 90 à 141. DUCOUDRAY 1902, 7.
DUCOUDRAY 1902, 21 et 35.
HERY 1999, 50 et 100.