VI - Analyse des programmes de 1923/1925

Les programmes n’ont pas été rédigés dans le détail, cela afin de donner au professeur une plus grande liberté d’adaptation de son enseignement en fonction de ses goûts et des documents qu’il souhaite choisir et afin d’»  ouvrir des horizons nouveaux chez les élèves 157  ». Des «  exercices pratiques d’histoire et de géographie » sont institués, en section moderne seulement (sans latin et grec). C’est une forme d’innovation : l’enseignant recherche d’autres formes pédagogiques 158 . L’objectif est de « présenter une image complète du passé 159  ». L’actualité archéologique est marquée par la découverte du tombeau de Touthankhamon, en 1922-1924, par Howard Carter 160 .

L’arrêté du 3 juin 1925 publie les horaires et les programmes. Il fait référence à des textes plus anciens, dont celui du 3 décembre 1923. Le tableau ci-dessous concerne les élèves de toutes les sections.

Niveau Place de l’archéologie
dans les textes officiels
Commentaires
6e - « Notions très générales sur la préhistoire ».
- L’Egypte : « Sources de l’histoire (les monuments, l’égyptologie science française, Champollion et ses successeurs) ».
- « L’ancien empire » : « La religion primitive ».
- « Le nouvel empire » : « La civilisation égyptienne ». Les grands temples, Karnak et Louqsor, Culte des morts », « l’écriture ».
- « Les Chaldéens et les Assyriens » : « Sources d’information pour l’histoire de Chaldée et d’Assyrie ».
- « Cités sumériennes ». « Fondation de Babylone » ; « Ninive et les rois d’Assyrie » ; « Architecture et sculpture assyrienne ».
- « Les Hébreux » : « Le royaume de David et de Salomon » : « Jérusalem et le Temple ». « destruction des deux royaumes ».
- « Les Phéniciens » : « Sidon et Tyr ». « Les comptoirs commerciaux : Carthage ». « L’alphabet ».
- « Les Perses » : « Suse et Persépolis. L’art perse ». « Moeurs et coutumes ».
- « Le préhellénisme ». « Civilisations crétoise et mycénienne ».
- « Le culte des dieux olympiques. La guerre de Troie ».
- « La Grèce archaïque » : « Les villes grecques d’Asie ». « Colonies de la Grande-Grèce, de la Sicile, de l’Afrique et de la Gaule ».
- « Les institutions panhellénique ». « Le culte ; les sanctuaires : Délos, Delphes, Olympie, Epidaure ».
- « Suprématie d’Athènes » : « La démocratie athénienne ». « Le gouvernement de la cité […] les assemblées ».
- « Les arts, les débuts de l’art grec. L’Acropole, Phidias, le Parthénon ».
- « Le commerce » athénien.
- « L’expédition d’Alexandre le Grand. Conquête de l’empire perse ».
- « Diffusion de l’esprit grec en Orient, Alexandrie, Pergame ».
Les Instructions de 1925 insistent sur le rôle des sources d’informations, faire référence « aux fouilles faites en Egypte et en Assyrie, aux découvertes récentes qui ont ressuscité les civilisations crétoise et mycénienne ».
Voir programmes de 1902 (6e et 2nde A et B).









- Voir programmes de 1890.



- Voir programmes de 1880.



- Voir programmes de 1880 et l’étude de grands sites archéologiques perses.
- Nouvel élément des programmes que l’archéologie peut renseigner par des fouilles de monuments.
- Pour le reste, voir programmes de 1890 et 1902 (2nde A et B). Premières mentions explicites de monuments archéologiques célèbres d’Athènes.
5e - « Descriptif de l’Italie » : « Les colonies grecques ».
- « La cité primitive » : « le sénat […] Servius Tullius ».
- « La religion romaine » : « le culte ».
- « Rome et Carthage » : les deux premières guerres puniques, « Hamilcar », « Hannibal et Scipion l’Africain ».
- « La vie politique à Rome » : « Le sénat ». « Les comices ». « Une assemblée du peuple. Le Forum ».
- « Conquête de la Méditerranée occidentale » : « Gaule méridionale ».
- « Les moeurs romaines » : « l’habitation […] les jeux, la vie dans les provinces ».
- César. « La conquête des Gaules. Vercingétorix ».
- Auguste : « La défense des frontières ».
- « Les arts au siècle d’Auguste ».
- « Le gouvernement et l’administration de l’Empire » : « les frontières du Rhin, du Danube ».
- « La vie romaine sous l’Empire » : « Les spectacles, le cirque, l’amphithéâtre, Pompéi ».
- « Le christianisme » : « l’église primitive ; les martyrs ».
- L’Empire aux IIIe et IVe s. : « Le christianisme triomphant ».
- « Le monde barbare » : « les invasions du troisième au cinquième siècle ».
- Vestiges des cités grecques d’Italie.
- Monuments, rempart, vestiges urbains.
- Voir programmes de 1890. Les rédacteurs insistent en plus sur l’aspect matériel de la civilisation au sujet de l’habitat, la vie des Romains dans les provinces de l’Empire renseigné par l’épigraphie, des inscriptions, etc.
Il développe l’étude de la période du bas-Empire (IIIe - Ve s. ap. J.-C.) avec les diverses phases d’invasions et la propagation du christianisme. L’enseignant peut trouver sans difficulté des documents archéologiques sur ces sujets et concernant la Gaule. Pour traiter l’histoire du christianisme de sa naissance jusqu’à son triomphe, l’enseignant peut se référer aux monuments religieux, aux mosaïques, aux nécropoles.
4e - « La Gaule, des origines à la fin du Ve s » : « Civilisation ».
- « L’Empire romain d’Orient » au sixième siècle : « L’église Sainte-Sophie ».
- Clovis. « Moeurs de l’époque mérovingienne ».
- « Les Arabes » : « La civilisation arabe ».
- Charlemagne : « Le Palais ».
- « La société féodale en France aux XIe et au XIIe s. : « La vie seigneuriale, le château ; l’art de la guerre ». « Origine et développement des villes ».
- « Les croisades » : « Fondation du Royaume de Jérusalem ».
- « La civilisation en Occident » aux XIIe et au XIIIe s. : « La civilisation matérielle. L’agriculture ». « Une ville, les remparts, les rues, les maisons. Les moeurs. » « L’art français, les grandes églises ».
- Voir programmes de 1890.

- Voir programmes de 1890.


- Voir programmes de 1902.

- Voir programmes de 1880.

- Voir programmes de 1865.
- Pour le Moyen Age, les programmes s’inspirent de ceux de 1890. Ils traduisent une aspiration récente de nouveaux historiens qui veulent insister sur les aspects concrets de la civilisation matérielle. Premières mentions explicites de l’agriculture, des remparts, des rues (la toponymie). Les documents archéologiques sont nombreux, présentés en classe ou in situ dans les villes modernes par des visites.
3e - « L’épanouissement artistique en Italie et en France » (XVe et XVIe s.) : « Les arts en France et l’influence italienne. Châteaux et palais ». - Voir programmes de 1865.
2de
toutes sections
- « La cour à Versailles ». « Vauban ». Voir programmes de 1880.
1re
toutes sections
Aucun élément.  
Philo. Aucun élément. Le thème des transformations économiques du XIXe s. n’est pas valorisé.

Le ministère de l’instruction publique innove. Il a prévu des séances complémentaires au cours, réalisées par le professeur d’histoire-géographie. Cette nouvelle démarche valorise l’archéologie pour une partie des élèves.

L’objectif est, d’après les Instructions de 1925, «  d’éveiller l’esprit de curiosité, développer les facultés, d’imagination, d’observation, de jugement, donner du sens aux réalités ». L’enseignant est libre de travailler selon ses goûts et ses préférences, à condition d’être « varié et vivant et d’ouvrir des horizons nouveaux » aux élèves. Les textes officiels lui suggèrent alors, en particulier au cours de ces séances complémentaires, d’étudier des exemples de l’histoire locale, de réaliser des visites de monuments, de musées.

Les exercices pratiques sont obligatoires pour la section moderne (B), ce qui fournit des éléments de culture sur l’histoire de l’Antiquité en particulier et permet d’approfondir le cours. Ils sont facultatifs pour les sections classiques (A et A’). La section A s’applique aux niveaux de la sixième jusqu’en première, avec six heures hebdomadaires de latin en 6e, en 5e, cinq heures de latin et trois heures de grec en 4e, et quatre heures de latin et trois heures de grec en 3e. Pour la seconde et la première, la section classique se subdivise en deux : A (avec grec) comportant quatre heures de latin et quatre de grec ; et A’ (sans grec) avec quatre heures de latin. L’enseignement de ces langues en sections classiques permet l’acquisition de la culture historique antique. Mais, si le législateur a interdit aux élèves de sixième et de cinquième de suivre les exercices pratiques, en raison d’une surcharge scolaire, il y autorise ceux de quatrième, troisième, seconde et première.

6e (une heure hebdomadaire) : Histoire : « l’Orient et la Grèce » : « arts et civilisation ». D’après les Instructions, les enseignants proposent des projections de vues sur des sites ou d’objets archéologiques remarquables : pyramides, temples, décors des tombeaux, bas-reliefs du palais de Ninive, Acropole avec le Parthénon et chefs d’oeuvre de Phidias, «  les ruines du théâtre de Dionysos, de la Pnyx, d’Olympie ».

5e (une heure hebdomadaire) : Histoire : Rome : « arts et civilisation ». Ainsi, les enseignants montrent plus en détail Pompéi, Timgad ; ils expliquent l’aspect politique du forum à Rome. Des exemples monumentaux romains permettent de montrer la vie romaine et la puissance de l’Empire : l’amphithéâtre de Nîmes, «  le pont du Gard, la Porte noire de Trêves ».

4e (une heure hebdomadaire) : Histoire : «  Byzance, Arabes, Occident (Moyen Age) : arts et civilisation ». L’enseignant étudie principalement les arts arabe et byzantin. Il travaille sur les arts roman et gothique, si les conditions le permettent surtout « devant les monuments ». Il cherchera à organiser des visites dans la ville ou aux alentours, et à grouper plusieurs de ses heures. Il insiste sur l’architecture interne et externe des édifices

1ere (trente minutes hebdomadaires) : Histoire : «  notions complémentaires sur les civilisations grecque et romaine, dans leurs rapports avec la civilisation contemporaine ». Les Instructions sont beaucoup moins suggestives que pour les classes précédentes. Le contenu est laissé à l’appréciation du professeur, qui doit «  donner de l’intelligence à la vie antique ». Il s’appuie sur des textes et/ou sur des données archéologiques de l’époque, qui montrent les aspects contradictoires de la société (« des complications de luxe et de confort »).

La part de l’archéologie tend à s’y accroître en 6e, 5e, et 4e. L’Antiquité est étudiée sur deux années au lieu d’une, comme dans la réforme de 1902. L’Antiquité et le Moyen Age ne sont plus étudiés en seconde et en première. Le professeur doit présenter en 6e les sources d’information des civilisations de l’Egyptienne et de la Mésopotamie. D’après la lecture des manuels consultés, il dispose de textes extraits de livres ou de traduction d’inscriptions anciennes. L’archéologie occupe donc une place importante.

Cela se mesure de deux manières. D’abord, les documents archéologiques des manuels sont plus nombreux que dans ceux du même niveau de la fin du XIXe s.. Les éditeurs ont bien respecté les Instructions officielles, car on dispose à la fois de textes, de gravures, de dessins, de photographies.

Ensuite, les documents archéologiques sont d’une qualité meilleure. Les manuels de l’école primaire des années 1899, 1907 et 1909 illustrent les leçons uniquement avec des cartes, des dessins et des gravures Ceux de 6e et de 4e de 1924 et 1926 sont différents : ils présentent de belles photographies en noir et blanc, en nombre remarquable, sur des monuments tels que les pyramides, des bas-reliefs assyriens conservés au musée du Louvre, l’Acropole d’Athènes, des bustes d’hommes politiques grecs, des poteries grecques, la mosaïque de la bataille d’Issos, des monuments romains de Gaule etc. 162 . C’est un élément pédagogique à souligner, que l’on peut expliquer très probablement par les progrès réalisés par l’imprimerie dans les techniques de reproduction des photographies.

L’archéologie s’accroît dans les programmes de 1923/1925 pour d’autres raisons, liées aux textes. Les éditeurs réservent une place plus importante qu’auparavant aux leçons basées sur l’archéologie. Ch. Aimond consacre quatre pages aux découvertes archéologiques à propos des Chaldéens et Assyriens, pour conclure à une nouvelle science, l’assyriologie 163 . Les fouilles de Suse sont expliquées dans les pages 107 et 108. L’auteur cherche à décrire la civilisation matérielle gallo‑romaine des pages 20 à 24. Le thème du château médiéval en occupe trois. Ces exemples suffisent à montrer que l’archéologie est désormais développée sur plusieurs pages dans les manuels, avec des documents expliqués, alors qu’auparavant ils faisaient l’objet de courts paragraphes, illustrés fréquemment de gravures à peine légendées.

Les textes des leçons d’archéologie changent. Ils deviennent plus précis et intègrent des données sur l’aspect matériel. Prenons quelques exemples. Les manuels de 1899, 1907 et 1909 présentent, comme les autres du XIXe s., la civilisation gallo-romaine avec ses monuments publics sous forme de gravures et de commentaires assez courts. Dans son édition de 1924, Aimond décrit les villas de la Gaule romaine d’une manière peu courante : il écrit qu’elles sont décorées de portiques, de peintures, ont parfois le chauffage central, de « belles statues ». Il évoque le «  luxe des mosaïques », dont on a «  retrouvé une centaine en France représentant des scènes de la mythologie ou champêtres, des combats, des scènes de théâtres » 164 . L’archéologie peut fournir ces renseignements contrairement à l’histoire textuelle. Nous observons un phénomène similaire avec le thème du château médiéval.

Ce dernier est toujours décrit de manière militaire avec ses défenses. C’est le cas du manuel de 1899 165 . Aulard présente en 1907 une gravure légendée d’un exemple typique de motte castrale du Xe s. 166 . C’est peu fréquent. Viator donne une description classique du château de pierre. Il rajoute que la «  famille du seigneur se réunissait dans de grandes chambres pavées de dalles, ornées de cheminées » 167 . Aimond, en 1925, présente une leçon sur les châteaux entre le Xe s. et le XIVe s. en proposant une évolution de la forme castrale, des éléments de fortification en s’appuyant sur le site du Krak des Chevaliers de Palestine. Il indique dans son résumé l’existence de quelques éléments constitutifs du logis seigneurial : tapis, tapisserie, sièges, carrelages, cheminées complétés par un dessin d’une chambre d’un château au Moyen Age 168 . Les programmes demandent de traiter ou d’évoquer deux éléments nouveaux sur la ville : les remparts et la rue. C’est un changement dans l’enseignement de l’histoire scolaire, qui intègre davantage de données archéologiques provenant d’observations de l’intérieur du bâti, même si celles-ci peuvent être erronées.

Les exercices pratiques permettent également de présenter d’une manière satisfaisante des thèmes de l’archéologie antique et médiévale, qu’elle soit terrestre ou monumentale. Beaucoup de ces sujets sont célèbres. Ce sont des grands sites, par exemple l’Acropole d’Athènes, ou les forums romains, Pompéi.

Le ministère demande de vulgariser l’archéologie auprès des élèves des sections modernes et classiques (voir les conditions pédagogiques ci-dessus) avec des sites ou du patrimoine local ou régional. L’enseignant est invité à sortir avec ses élèves ; faire son cours devant le monument lorsqu’il en a la possibilité. Les occasions de visites archéologiques sont encouragées. La culture matérielle s’accroît dans l’enseignement, grâce à une plus grande vulgarisation de l’archéologie, ce qui entraîne une évolution épistémologique de l’histoire. La revue de l’Ecole des Annales apparaîtra peu de temps après, en 1929. Pour les élèves des sections A, en sixième et en cinquième, qui ne suivent pas les exercices pratiques, le cours d’histoire contient déjà beaucoup d’archéologie. Le professeur de latin, pendant ses six heures de cours hebdomadaires, a aussi la possibilité d’évoquer très concrètement l’Antiquité, en mentionnant par exemple l’existence de vestiges de monuments et d’habitats gallo-romains en France lorsqu’il étudie la civilisation romaine. Il dispose de sources littéraires 169 qui donnent des indications archéologiques sur la maison urbaine (Vitruve, Martial), sur le repas (Satiricon), la fondation de Carthage (Virgile) etc.

Le ministère de l’instruction publique est conscient des limites financières imposées aux sorties pédagogiques. C’est pour cela qu’il lance une politique d’acquisition de matériel iconographique de reproductions d’oeuvres d’art. Il veut développer les projections collectives, considérées comme un moyen efficace. Il cherche à constituer des dépôts régionaux de clichés 170 . «  L’enseignement doit cesser d’être livresque pour devenir de plus en plus concret » 171 .

D’une façon globale, nous pouvons affirmer que les programmes de 1925 prennent en compte la diffusion des progrès réalisés par l’archéologie depuis plusieurs décennies. C’est une ouverture patrimoniale engagée par l’institution, dans laquelle les enseignants sont encouragés à valoriser une démarche archéologique.

Notes
157.

MEN 1960, 670.

158.

AUDIGIER 1993, 183.

159.

AUDIGIER 1993, 339.

160.

PARROT 1976, 12.

161.

D’après les textes officiels.

162.

ROGIE 1899 ; AULARD 1907 et VIATOR 1909. AIMOND 1924 et AIMOND 1925.

163.

AIMOND 1924, 46-49.

164.

AIMOND 1924, 20-22.

165.

ROGIE 1899, 25-26.

166.

AULARD 1904, 24.

167.

VIATOR 1909, 47.

168.

AIMOND 1925, 199-200 et 202.

169.

Nous citons quelques éléments : sur la maison : Martial, Epigrammes, IV, 64 et XII, 18-25. Vitruve, Traité d’architecture, II, 8. Valère Maxime, Faits et dits mémorables, IV, 7 ; sur le repas : Pétrone, Satiricon, XXXVI, XLVII ; Sur la fondation de Carthage : Virgile, Enéide, I. HOMO (L.), Rome impériale et l’urbanisme dans l’antiquité, Paris, éd. A. Michel, 1971, 477-518.

170.

HERY 1999, 123-125.

171.

J.O., 1925, n°206, p. 8665.