VIII - Analyse des programmes de 1937-1938

La réforme concerne uniquement le premier cycle de l’enseignement secondaire. Les textes datent du 30 août 1937, des 11 avril, 30 mai et 30 septembre 1938. Le ministère n’a pas publié ceux du second cycle faute de temps, en raison des événements politiques liés à la guerre.

Les textes affichent ou réaffirment certaines préoccupations pédagogiques : la prise en compte de l’élève, de son âge, de sa formation, de son travail, le primat des méthodes actives, la nécessité de poser des problèmes pour introduire la connaissance 175 .

Niveau Place de l’archéologie
dans les textes officiels
Commentaires
6e - Les « grandes périodes. Histoire et préhistoire ». « L’industrie de la pierre ».
- L’Egypte : « Connaissance de cette civilisation par les tombeaux et les temples ».
- Connaissances « des Assyriens par les palais des rois ».
- Grèce : « Les cités grecques ; exemple : Athènes ». « Les sanctuaires et les grands jeux ». « Le génie grec ; le siècle de Périclès. Les chefs d’oeuvres artistiques ».

- « Un grand conquérant : Alexandre ».
- Rome : « La vie du citoyen romain. « César, Auguste et la formation de l’Empire ». « La civilisation romaine sous l’Empire ».
- « La fin du monde antique. Le christianisme et les barbares ».
- Voir programmes de 1925. Insister sur l’évolution de la taille du silex.

- Voir programmes de 1925.


- Monuments, palais.

- Monuments et fouilles archéologiques de cités grecques. L’architecture, les céramiques, les sculptures. Approfondir la présentation d’Athènes : voir programme de 1925 (6e).
- Voir programme de 1925 (6e).

- Monuments, statues, sculptures, inscriptions, monnaies, nécropole, céramiques. Le programme laisse une grande marge d’autonomie à l’enseignant qui peut prendre des exemples archéologiques significatifs en Gaule (ou ailleurs) qui montrent une occupation, une destruction, des changements de mentalités et de religion.
5e - « L’Europe à la suite des invasions. Les Francs en Gaule ».
- « L’empire franc. Charlemagne ».
- « L’église et son rôle dans la société ».
- « La société féodale en France » : « Les seigneurs. Les paysans ».
- « L’épanouissement de la civilisation médiévale » : « La vie économique ; organisation et condition de travail ». « L’art roman et l’art gothique ».
- Voir programmes de 1865.

- Voir programmes de 1865.
- Pour le Moyen Age, voir programmes de 1925.
4e - « L’Humanisme et la Renaissance. L’art nouveau ».
- « La civilisation au dix-septième siècle » : « les arts ».
Voir programmes de 1880. Prendre des exemples en France, en Italie notamment.
3e - « L’essor de la civilisation scientifique et industrielle ». - Voir programmes de 1902

Les programmes et Instructions sont beaucoup moins précis que ceux de 1923/1925. D’ailleurs, ils sont bien moins développés. Les Instructions précisent «  que le libellé des programmes a été volontairement simplifié » pour donner aux professeurs «  la plus grande liberté » dans leur interprétation et leur aménagement. L’enseignant a une plus grande autonomie dans le choix des documents. Cela est particulièrement net en sixième, cinquième et quatrième.

Les Instructions de 1938 expliquent la réduction bien marquée des programmes : on ne veut pas les surcharger. «  L’enseignement du premier cycle ne retiendra donc que quelques grands événements, quelques personnages illustres ou représentatifs, quelques notions suggestives de civilisation, principalement de civilisation matérielle ». C’est un changement important, même si, déjà, les textes de 1890 cherchaient à atteindre ce but. Cela permet, en réduisant les détails, de se concentrer sur l’essentiel, sur un petit nombre de faits, de personnages, de scènes historiques. Ainsi, cela explique que l’Antiquité soit étudiée sur une année scolaire, alors qu’elle était traitée sur deux dans les programmes de 1923/1925. Nous soulignons que, à partir de cette réforme, l’enseignant n’est pas tenu d’expliquer les sources archéologiques de l’histoire. Le livre de 6e, consulté, 176 applique la réforme sur ce point.

Or cette réduction des programmes ne s’accompagne pas d’une baisse des illustrations archéologiques dans les manuels. Au contraire, ces derniers présentent autant, voire plus, de vues de mosaïques, d’édifices, de monnaies, de sculptures, de bas-reliefs, de plans sous différentes natures (gravures, dessins, photographies). Nous avons comparé les chapitres de l’Orient, de la Grèce et du Moyen Age des manuels de 6e et 4e conformes aux programmes de 1923/1925 à ceux de 6e et de 5e des programmes de 1937/1938 : cet examen montre un accroissement du nombre de ces illustrations : 71 de plus pour l’Orient et la Grèce ; le même nombre ou 12 de plus pour le Moyen Age 177 . Mais cela n’a qu’une valeur d’indice. L’enseignant dispose de nombreux supports pour rendre vivant son cours. Dans les chapitres sur les civilisations d’Orient (Egypte, Assyrie, Phénicie, Crête, Empire perse) du manuel de 1938, nous avons enregistré beaucoup plus de photographies de ruines de monuments, de bas-reliefs et de statues que dans celui de 1934 : 38 en 1938 et 14 en 1934 178 .

La qualité des documents archéologiques est maintenue : beaucoup de clichés de qualité. Les leçons sur la Grèce sont enrichies de nombreuses photographies de monuments (en particulier une vue aérienne de l’Acropole) et de bustes, des dessins de décors de poteries accompagnés de cartes pour une meilleure compréhension. L’auteur présente peu de textes sur la Grèce et Rome. La vie privée des Romains est abordée uniquement par des représentations d’objets ou de sites archéologiques. Aucun texte antique n’est intégré. C’est un point important à souligner. Dans l’ouvrage examiné, les élèves étudient une riche maison de Pompéi à partir des données de fouilles : des dessins, l’un en coupe, l’autre sur l’intérieur avec un effet de perspective, des photographies du péristyle, d’une mosaïque (avec la fameuse inscription « cave canem »), d’une fresque, d’objets trouvés dans cette ville : trépied, une table, et une sculpture d’un berceau 179 . Tous ces éléments archéologiques enrichissent les connaissances historiques sur la maison romaine. Cela est renforcé par une des parties des leçons sur la société romaine sous l’Empire au sujet des constructions, traitées uniquement à partir de nombreuses photographies archéologiques de monuments typiques déjà cités précédemment et situés en Gaule ou en Italie.

Le thème du château médiéval n’est pas évoqué dans les textes, mais il est sous-entendu dans l’expression de «  société féodale ». Nous notons une ressemblance et deux changements dans la présentation à travers les manuels, par rapport à la période de 1923-1925 180 . Le nombre de pages consacré est identique dans chacun des ouvrages : trois sur l’évolution des châteaux et deux autres sur la vie des nobles. Les commentaires sur les changements entre le Xe et XIIe s. sont plus précis. Les auteurs citent le nom de motte ou en font une description correcte avec les éléments constitutifs de cet édifice castral (palissade …). L’étude de la vie au château intègre des éléments de confort plus précis que ceux que fournit l’archéologie monumentale au sujet des ouvertures, des cheminées, de la forme des pièces.Il semblerait que les références documentaires changent : il était fréquent de voir auparavant uniquement un document d’un château fort typique. Les deux manuels consultés s’appuient sur l’exemple de la forteresse de Coucy.

Nous avions déjà noté des références à la culture matérielle dans les programmes de 1923/25. L’archéologie s’enrichit grâce à des découvertes remarquables, comme celle des tombes royales d’Ur, en 1927-1929, par l’archéologue anglais C. Leonard Wooley 181 . Quelques années plus tard, en 1936, André Parrot publie un ouvrage important Mari, une ville perdue … et retrouvée par l’archéologie française.

En 1937/1938, il est dit dans les Instructions que l’enseignant «  présentera sous la forme la plus concrète » le programme d’histoire. L’archéologie est donc un moyen privilégié pour répondre à cette attente officielle, toujours encouragée par l’Ecole des Annales, évidente dans la présentation des programmes. Il est demandé au professeur de conduire le cours le plus vivant possible, le plus pittoresque, afin de faire appel à l’imagination des enfants. L’enseignement de l’histoire passe par «  la reconstitution d’un certain décor, d’un certain milieu historique », pour que les «  élèves aient l’impression de vivre et de se retrouver » dans la période étudiée. Les Instructions valorisent les ressources locales de l’établissement et incitent à s’appuyer sur l’histoire locale pour faire comprendre l’histoire générale. Elles précisent que l’enseignant doit utiliser «  les souvenirs particuliers que la ville ou la région peuvent évoquer, exploiter les traditions vivaces » laissées par l’histoire locale et «  les témoignages matériels que les élèves sont appelés à retrouver presque journellement sous leurs yeux ». Le texte officiel ne mentionne pas le terme de visite ou de sortie, mais cette idée est sous-jacente. Elle est cohérente avec l’esprit des Instructions.

Si l’on considère le point de vue de l’histoire enseignée, cette évolution est à relativiser. Les explications de textes ou de documents sont marginales dans les cours. L’histoire locale et régionale, qui peut fournir des exemples attrayants à analyser pour les élèves, représente un fond documentaire. Elle ne serait utilisée qu’au cours des exercices pratiques. Cela nécessite du temps, plus qu’un cours magistral. Les enseignants reçoivent la consigne impérative de clore les programmes. L’histoire locale et régionale est donc parfois survolée. Les textes officiels privilégient l’histoire nationale, pour mettre en place la démarche inductive et exploiter des exemples locaux pour traiter un aspect de celle-ci 182 .

E. Hery rappelle qu’en 1938 les images ont un rôle illustratif. Elles ne sont pas encore considérées comme une source dans la méthode historique. Nous pouvons donc penser que les explications magistrales sont toujours importantes. Marc Bloch, avec certains de ses confrères et d’autres universitaires, se bat contre «  la sclérose de l’enseignement historique ». Le mouvement des Annales a une influence relativement faible auprès des professeurs de lycée 183 . Mais il faut rappeler les progrès dans la conception de l’enseignement de l’histoire. L’archéologie antique, en particulier romaine, progresse depuis le XIXe s.. Elle influence la présentation des manuels, qui intègrent des documents remarquables et des données de fouilles intéressantes. Cette influence est nettement moins marquée pour le thème du château médiéval.

Notes
175.

AUDIGIER 1993, 185.

176.

DEZ 1938.

177.

Orient/Grèce (programme de 6e) : AIMOND 1924 : 47 illustrations ; DEZ 1938 : 118. Le Moyen Age : AIMOND 1925 (programme de 4e) : 51 illustrations ; BOSSUAT 1938 (programme de 5e) : 63 et HALLYNCK 1938 : 51.

178.

AIMOND 1934 et DEZ 1938.

179.

DEZ 1938, 217-219.

180.

HALLYNCK 1938, 125-129. BOSSUAT 1938, 140-143.

181.

PARROT 1976, 10 et 12.

182.

HERY 1999, 127, 134.

183.

HERY 1999, 135-137.