IX - Analyse des programmes de 1941

Le B.O.E.N. n’est pas paru sous le régime de l’Etat français. Les programmes sont publiés dans le Journal officiel de l’Etat français et définis par les arrêtés du 22 septembre 1941 et du 23 décembre 1941 ¹⁸⁴ . Ils rentrent en application le 1er octobre 1942 pour ceux de la 6e et la 5e, le 1er octobre 1943 pour ceux de 4e et progressivement pour les autres.

Les textes officiels concernant l’enseignement sont liés à l’histoire de Vichy : l’occupation allemande, le contrôle étroit de la population, la propagande, le rationnement. Nous avons noté, en les examinant rapidement, deux éléments :

• La rétrogradation du ministère de l’instruction publique et des Beaux-Arts en secrétariat en septembre 1940. Mais celui-ci change de nom le 2 mars 1941 et devient le secrétaire d’Etat à l’Education Nationale et à la Jeunesse jusqu’en avril 1942 ¹⁸⁵ .
• Des thèmes récurrents : mutations de personnels, révocations d’enseignants ou des reclassements, contrôle de la formation, interdiction de manuels scolaires d’histoire (et autres aussi) des cycles primaire et secondaire. L’enseignement public est réorganisé en 1941.

Le secrétaire d’Etat à l’Education Nationale et à la Jeunesse est, en 1941, Jérôme Carcopino, éminent historien, titulaire de la chaire d’histoire romaine à la Sorbonne de 1920 à 1937, puis directeur de l’Ecole française de Rome de 1937 à 1940.

Les programmes d’histoire subissent de nets changements par rapports à ceux de 1937-1938 ou de 1931. Ils s’inspirent fortement de la réforme de 1923-1925, dont les Instructions sont appliquées. J. Carcopino décide en 1941 de ne pas modifier les programmes de géographie contrairement à ceux de l’histoire, ce qui montre une volonté de changement politique dans cet enseignement. Les tableaux en annexes 3 et 4 montrent que la part de l’archéologie s’accroît considérablement. Nous proposons cinq explications.

Le nouveau découpage des programmes favorise cette discipline ¹⁸⁶ . En effet, les élèves de sixième travaillent sur la préhistoire, l’Orient, la Grèce. Les chapitres sur Rome sont désormais examinés en cinquième. L’étude du Moyen Age est décalée en classe de quatrième. La Grèce, Rome, la civilisation chrétienne médiévale sont les thèmes obligatoires en seconde. Cela rappelle la réforme de 1902, qui prévoyait que les élèves des sections anciennes A et B de ce niveau apprenaient la préhistoire, l’Orient et la Grèce. Ils ont donc, au cours de leur scolarité dans le cycle secondaire, quatre années marquées par l’étude de chapitres avec de nombreuses références archéologiques, au lieu de deux en 1937-1938.

Les programmes sont conçus autour de la notion d’héritage de la civilisation française. Ils sont plus développés que ceux de la décennie de 1930. L’administration fournit davantage de détails. Mais le professeur doit savoir aller à l’essentiel, de façon à traiter entièrement son programme. Il bénéficie de la liberté pédagogique «  de choisir pour chaque peuple les traits caractéristiques de son histoire » en sixième.

Les éléments archéologiques sont considérables dans les textes de 1941 : onze ou quinze de plus, par rapport aux réformes de 1931 et de 1937/1938 respectivement. Nous notons un net approfondissement des éléments développés : vingt-trois en 1941 et neuf en 1937. Car les programmes sont plus précis. Des sites à analyser sont mentionnés : pour la première fois ; Ostie, Marseille et son empire à l’époque hellénistique, Antioche, et d’autres déjà connus dans les textes ; Pergame, Delphes etc. Le professeur doit expliquer la vie rurale romaine et médiévale, donner des points de repères choisis dans la Gaule romanisée comme «  foyers de civilisation ». Il peut utiliser dans son cours des vues de monuments. Nous remarquons donc une continuité dans la conception des programmes, dans le sens d’un accroissement et non d’une rupture.

L’histoire romaine prend une plus grande importance : huit éléments archéologiques évoqués ou développés dans la réforme de 1937 et 17 dans celle de 1941 ¹⁸⁷ étudiés en un an au lieu d’un trimestre approximativement auparavant. Cela s’explique par la formation et la volonté du secrétaire d’Etat Jérôme Carcopino, un spécialiste de cette histoire. Les élèves passent plus de temps à comprendre les héritages romains de la France.

Il faut relier cet aspect pédagogique à une loi fondamentale fortement influencée aussi par sa personnalité : la première loi sur l’archéologie date du 27 septembre 1941. Elle porte sur la réglementation des fouilles archéologiques ¹⁸⁸ et est complétée par la création du service des Antiquités nationales. Elle est restée en vigueur après la Libération, validée par l’ordonnance du 13 septembre 1945.

Nous avons retenu trois points de cette loi. L’autorisation de fouilles archéologiques délivrée par l’Etat est obligatoire pour effectuer des recherches archéologiques, même dans un terrain dont nous sommes propriétaires (article 1). «  L’Etat est autorisé à procéder d’office à l’exécution de fouilles ou de sondages pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire […] ou l’archéologie sur les terrains ne lui appartenant pas » (article 9). En cas de découverte fortuite de « monuments, ruines, substructions, mosaïques, éléments de canalisation antique, vestiges d’habitation ou de sépultures anciennes » d’» inscriptions ou généralement des objets pouvant la préhistoire, l’histoire, l’art, l’archéologie ou la numismatique », l’inventeur de ces vestiges doit en faire une déclaration en mairie ainsi, que le propriétaire de la parcelle où ils ont été trouvés. L’Etat se charge ensuite de leur conservation (articles 14 et 16). La loi française s’attache à protéger le patrimoine archéologique, qui s’enrichit grâce aux opérations de fouilles programmées, aux découvertes fortuites.

Enfin, les instructions de l’arrêté du 22 septembre 1941 ¹⁸⁹ demandent à l’enseignant de bâtir son cours à partir de faits précis, d’être concret c’est-à-dire utiliser un exemple et une image pour l’étude des civilisations. L’histoire locale est encouragée, comme le montre l’exemple de Marseille en classe de sixième. Le professeur peut exploiter des vestiges archéologiques régionales pour illustrer les leçons.