IX- Analyse des programmes de 1957

Nous ne notons aucune modification significative du contenu archéologique des réformes de 1945-1947. En effet, après la Libération, les textes officiels de sixième et cinquième en vigueur sont ceux de 1937-1938. Or, c’est à ces niveaux que l’on trouve les éléments archéologiques essentiels. Le découpage chronologique des programmes de quatrième, seconde et première ne change pas non plus. Celui des classes de troisième et de philosophie, dans lesquelles les élèves étudient l’histoire contemporaine, est légèrement modifié 190 .

Les programmes de 1957 font référence à plusieurs textes : la circulaire du 6 octobre 1952 sur les méthodes de l’enseignement du second degré, les Instructions du 10 décembre 1954, l’arrêté du 19 juillet 1957, et divers textes de L’Education Nationale du 12 mars 1953 et du 12 décembre 1957 sur le document dans l’enseignement.

Ceux de 1954-1955 marquent un tournant dans la conception des programmes. Ils entendent donner la primauté au document dans la conduite de la classe, ce qui permet de construire de la connaissance historique 191 . Nous constatons une plus grande ouverture des domaines étudiés, liée à l’évolution de l’Ecole des Annales : les faits économiques, sociaux, la description des civilisations et des cultures, l’évolution des techniques et les changements par rapport à l’histoire politique et diplomatique.

A la fin de la décennie précédente, une découverte importante marque l’archéologie du Proche-Orient : les manuscrits de la mer Morte en 1948 192 . Le livre Des dieux, des tombeaux, des savants de l’auteur allemand C.W. Ceram, de 1949, traduit en français et édité en 1952, devient un best-seller. C’est un très bon ouvrage de vulgarisation sur les découvertes archéologiques du Moyen-Orient, d’Europe, d’Amérique, sur les grandes civilisations, avec des illustrations de qualité.

Niveau Place de l’archéologie
dans les textes officiels
Commentaires
6e - « Notions générales de chronologie ». « Préhistoire et histoire ».
- « Notions sommaires sur les transformations et progrès de l’humanité au cours des temps préhistoriques ».
- « Ce que nous devons aux civilisations » de l’Orient méditerranéen : les « Egyptiens », les « Mésopotamiens », les « Hébreux », les « peuples de la mer (Crétois et Phéniciens) », les « Perses ».
- La Grèce : « La Grèce archaïque […] d’après les fouilles ». 
- « La Grèce du VIIIe au Ve s. » : « les cités grecques (exemple : Athènes), la religion grecque ».
- « La Grèce aux Ve et IVe s. » : « l’apogée de la civilisation grecque ».
- « La civilisation hellénistique ».
- « Ce que nous devons à la Grèce ancienne ».
- Voir programmes de 1937. Le contenu est désormais plus précis et fait référence aux divers sites et témoins archéologiques des transformations de l’homme : habitat, outil, cultures, objets, écriture.
- Ces chapitres sont des synthèses bâties autour des héritages des différentes civilisations. L’enseignant choisit des thèmes significatifs qui peuvent être abordés par des monuments, des sculptures, des objets de la vie quotidienne et artisanaux. Cela reprend l’essentiel des programmes de 1937 avec en plus l’étude des peuples crétois et phénicien.
5e - « les débuts de Rome (depuis sa naissance jusqu’à la fin de la royauté) ».
- « Le gouvernement, la société et la religion au IIIe s. ».
- « La conquête des pays méditerranéens et de la Gaule (IIIe au 1er s.) ». « ses conséquences matérielles […] politiques ».
- « La civilisation romaine sous le Haut-Empire ».
- « Les débuts du christianisme ».
- « Le Bas-Empire » : « la civilisation ».
- « Les Barbares et la fin de l’Empire ».
- « Ce que nous devons à Rome ».
- « Les Francs en Gaule ».
- « L’Empire et la civilisation de Byzance ».
- « L’Empire et la civilisation arabe ».
- « L’Empire et la civilisation carolingienne ».
- Voir programmes de 1925.
L’enseignant s’attache à montrer le monde romain sous ses aspects matériels au cours de son histoire totale.
Il dispose de nombreuses opportunités documentaires archéologiques de Gaule et de pays qui ont fait l’objet de recherches scientifiques. Il peut par exemple utiliser des photographies aériennes de cadastre (en Tunisie).





- Voir programmes de 1865.
- Voir programmes de 1941.
- Souci d’expliquer les civilisations arabe et carolingienne avec les types de documents déjà cités.
4e - « La société féodale (Xe-XIIe s.) » : « Le système féodal », « l’église dans le monde féodal ».
- « L’art roman et les débuts de l’art gothique ».
- « L’épanouissement de la civilisation médiévale en Europe occidentale (XIIe-XIVe s.) » : « La vie économique ». « L’essor des villes. « Les arts (art gothique, arts musulman). »
- « L’héritage du Moyen Age ».
- Voir programmes de 1925 pour le Moyen Age.
3e - « La Renaissance artistique ».
- « Le règne personnel de Louis XIV » : la civilisation artistique.
Voir programmes de 1937.
2de
- « Les transformations économiques » en Europe de 1815 à 1848 et de 1848 à 1871. Voir programmes de 1902.
1re
- Evolution économique en France de 1871 à 1914. - Vestiges d’archéologie industrielle : anciennes usines, mines, appareil de production.
Philo. - « Le monde occidental » : « Fondements et évolution de sa civilisation (la tradition gréco-romaine, la tradition chrétienne et médiévale […] la révolution industrielle) ».
- Fondements des civilisations soviétique (chrétienne, byzantine), musulmane, d’Extrême-Orient et d’Afrique noire.
- Première mention de l’expression « la révolution industrielle » dans les programmes étudiés.


- Les élèves revoient les héritages présentés dans les niveaux précédents.

L’influence de Fernand Braudel à travers «  Les grandes civilisations de l’Orient méditerranéen » et dans les programmes de 6e et de 5e est très nette 193 . Les textes officiels sont formulés dans les termes suivants : « héritage », «épanouissement ». Les programmes sont bâtis autour du concept de civilisation, dont l’enseignant doit faire un bilan des apports. L’aspect politique et militaire représente quelques éléments servant à définir une civilisation. Tous les autres champs d’étude de l’historien, que nous avons définis dans la première partie, sont donc valorisés. Les archéologues ont un rôle fondamental à assumer, à nouveau renforcé grâce à cette réforme.

Les manuels changent de présentation, avec l’introduction de sources historiques recommandée par les I.O.. Le rapport de l’élève à l’objet historique évolue, il est placé dans une perspective de construction du savoir (il a toujours des repères, des éléments de mémoire collective et d’esprit critique) 194 . Les Instructions Officielles indiquent que « l’histoire ne peut s’écrire sans document » et ne peut être enseignée non plus sans document. Elles demandent ou proposent d’appliquer le principe ou «  la pédagogie de la redécouverte ». Les élèves sont amenés à découvrir et à redécouvrir par eux-mêmes les informations à leur portée, dont une partie est déjà acquise. Ils examinent, analysent, critiquent ces supports pédagogiques divers, pour une compréhension « plus vive et plus intime », en présentant si possible leur forme originale et en évitant de travailler avec des reprises de seconde ou troisième main. «  Certains enseignants s’efforcent alors de favoriser cette découverte directe du document et de reproduire le plus fidèlement possible les conditions de l’étonnement de l’historien ».

L’archéologie fournit quelques-uns de ces « matériaux variés », « de pierre ou de bois (monuments, sculptures), de terre (poteries), de métal (monnaies, médailles, armes, ustensiles) ». Ce sont « des témoins du passé », souvent incomplets, mais « irremplaçables ». Le programme de sixième demande de traiter «  la Grèce archaïque d’après les fouilles ». Les programmes et Instructions de 1957 sont traduits correctement dans les manuels, si l’on considère la part des documents archéologiques, considérable pour les périodes de l’Antiquité et le Moyen Age, avec des photographies de sites ou d’objets de fouilles en noir et blanc et également de plus en plus en couleur. L’enseignant dispose désormais d’un choix de supports qu’il peut trouver dans les manuels ou dans des publications pédagogiques, ou bien personnellement.

Nous notons trois changements importants dans la conception de l’histoire enseignée, à travers l’examen de manuels scolaires.

Le professeur peut s’appuyer sur des documents nettement plus nombreux. Les doubles pages des leçons ont tendance à être présentées presque systématiquement avec une page réservée au résumé et l’autre présentant uniquement des documents. C’est une grande nouveauté. Le phénomène semble apparaître à la fin des années 1950. L’exemple du livre consulté de 6e des éditions Belin est typique : une majorité de photographies d’objets ou de sites archéologiques, complétée par des cartes et des textes provenant d’auteurs antiques ou d’extraits de livres contemporains. Le manuel scolaire du cours d’histoire Jules Issac de 1958 contient un nombre considérable de phototographies d’éléments archéologiques (130) alors qu’il propose un nombre relativement réduit de dessins, de plans, de cartes (69) 195 .

La qualité des supports archéologiques s’est beaucoup améliorée : les photographies en couleur s’ajoutent à celles qui sont en noir et blanc. Les documents sont plus grands. C’est donc un progrès qui facilite le travail d’analyse.

Les manuels proposent, en conformité avec les Instructions Officielles, des exercices sur une partie des documents sous forme de questions. C’est une méthode active développée dans les ouvrages de l’école primaire 196 et du collège actuel. Prenons le thème du château médiéval, auquel une page entière est consacrée dans le livre de 5e de 1959. L’éditeur a choisi l’exemple de Nogent-le-Rotrou : une vue aérienne générale et une photographie du donjon, complétée par le dessin du bâtiment vu de profil. L’enseignant peut s’aider des questions proposées pour faire son cours : «  Il y a très peu d’ouvertures ; pourquoi ? », «  comment s’appelle le grand édifice à droite ? » 197 . Les manuels sont moins directifs aussi : ils donnent des pistes d’activité et de réflexion à l’élève, en lui demandant de noter « la persistance, aujourd’hui encore, des bois sur la butte ou de manière suivante, à l’impératif «  Remarquez le chemin de ronde, les mâchicoulis, les tours d’angle, les échauguettes et le donjon » du château de Fougères 198 . Cette démarche est d’autant plus facile que les documents sont plus lisibles par les élèves. Nous avons confirmé cet aspect pédagogique en examinant une publication de 1959, qui présente des fiches de travail. L’une d’elles nous intéresse particulièrement : celle du château fort : l’élève doit observer le plan de la forteresse de Château-Gaillard et dessiner le plan d’un autre château. L’auteur lui demande de dessiner le croquis de deux donjons, l’un en bois et l’autre en pierre. Il fait donc référence à l’évolution des édifices castraux au Moyen Age. Enfin, un dernier exercice consiste à reconnaître et à nommer les différentes parties des éléments de fortifications, au sommet du rempart 199 .

Les châteaux sont donc désormais présentés autrement dans les manuels scolaires, dans le sens d’une amélioration didactique. Ces exemples montrent que des études d’archéologie monumentale ont été menées à partir d’observations. L’archéologie est indispensable pour connaître l’évolution castrale. Elle fournit à l’enseignant de précieux documents. Les manuels de cinquième contiennent plus qu’auparavant des textes et des reproductions de miniatures, de tapisseries portant sur des sujets abordés par les supports archéologiques, tels que les actes politiques, la religion, l’économie. Nous pouvons dire que les données archéologiques de l’histoire complètent les autres sources d’information.

Parallèlement, nous n’avons pas remarqué de changement important dans la façon de traiter la maison romaine. Cela tient certainement à ce que, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, les archéologues ont diffusé plus tôt leurs connaissances. Les fouilles de sites antiques ont commencé à partir de la fin du XIXe s.. Elles ont permis de valoriser l’aspect matériel de la civilisation romaine dans les manuels plus précisément qu’en ce qui concerne le Moyen Age.

Comme pour les programmes de 1923/25 et 1937/38, l’enseignant est incité, lorsque cela est possible, à «  organiser des visites guidées de monuments et de musées locaux ». Des «  collections d’outils préhistoriques, de monnaies, de médailles, d’armes, de poterie, d’objets mobiliers » peuvent être exploités et constituent des documents attrayants. Il utilise des documents provenant de l’histoire générale, mais son enseignement est valorisé, plus vivant s’il emprunte des documents à l’histoire locale et régionale, dans laquelle l’archéologie joue un rôle actif. Prenons l’exemple d’une ville gallo-romaine : Vaison-la-Romaine. Le chanoine Sautel a entrepris des fouilles dans cette cité de 1907 jusqu’à sa mort, en 1955, sauf pendant la période des guerres. Il a accompli un travail impressionnant, même si ses techniques de fouille sont contestables et contestées 200 . Vaison-la-Romaine est une référence culturelle qu’un enseignant peut faire connaître à ses élèves. Cet exemple archéologique permet d’expliquer la romanisation d’une région gauloise, comme les changements politiques, économiques et sociaux d’une population.

Le professeur peut utiliser des documents produits par des instituts pédagogiques, des livres, des articles de journaux, des documents d’origine personnelle (photographies, notes, etc.). Des sorties pédagogiques peuvent aussi être organisées. Elles reposent essentiellement sur l’histoire locale et permet d’observer les vestiges historiques des monuments de la commune de l’établissementnotamment 201 . Cela s’explique par des raisons matérielles. Les services éducatifs sont insuffisants pendant cette période. Un des intérêts de cet enseignement, d’après les Instructions, est de promouvoir les musées et de valoriser le patrimoine historique dans la quête du passé pour mieux «  comprendre les temps présents ».

Notes
190.

Textes consultés : arrêtés du 21/9/1944 et du 15/9/1945. L’arrêté du 15/9/1945 définit les programmes du second degré pour l’année 1945-1946. Les programmes datent de 1945-1947. HERY 1999, 315-316 ; LEDUC 1994, 18 et 21. Les auteurs de ce dernier ouvrage confirment notre propos : après 1945, les programmes « restent sensiblement identiques » à ceux de l’avant-guerre (décennie 1930). Les modifications importantes sont apportées avec ceux de 1957.

Programme de troisième : de 1789 au bilan de la guerre 1914-1918. Programme de philosophie-mathématiques : époque contemporaine 1848-1939.

191.

AUDIGIER 1993, 299-300.

192.

PARROT 1976, 12.

193.

DEVELAY 1995 a, 142.

194.

DEVELAY 1995 a, 143.

195.

PHILIPPE 1960. DEZ 1958.

196.

PERSONNE 1955 a et PERSONNE 1955 b.

197.

BONIFACIO 1959, 56. Un autre exemple concerne Château-Gaillard p. 98.

198.

BONIFACIO 1959, 56 et PERSONNE 1958, 62.

199.

PELICIER (L.), ROUABLE (M.), Croquis et travaux pratiques d’histoire cycle d’observation classe de 5e, Paris, Nathan, 1959, 32 fiches, n° 22. Le n° 12 porte sur la civilisation romaine et un exercice concerne la maison.

200.

KISCH (Y. de), « Redécouvrir Vaison-la-Romaine », in Archéologia, mars 1981, n° 152, p.9.

201.

HERY 199, 342-343.