F - Limites de la place laissée à l’archéologie

Nous avons remarqué, dès le début de l’examen des textes officiels et des manuels, que les sources littéraires devaient être primordiales. Les documents archéologiques ont un statut d’illustration et ne font pas l’objet d’analyse, au moins jusqu’en 1890 (date difficile à préciser) pour les raisons suivantes. Bien que les Instructions Officielles recommandent le manuel pour compléter, illustrer ou approfondir le cours, il n’a pas toujours été utilisé par des élèves, qui ne l’ont pas toujours acheté, par mesure d’économie. D’après des témoignages d’élèves de 1933 à 1939 et 1937 à 1944 recueillis par E. Hery, des enseignants faisaient leurs leçons sans le livre 261 .Le cours magistral est la situation pédagogique la plus représentée jusqu’à la fin des années 1930. Il reste important dans les années 1950 262 . Cette remarque est à nuancer car même ainsi, la leçon peut être illustrée par des références archéologiques. Mais l’enseignement par l’image n’a pas toujours été très développé. L’Education nationale a connu des problèmes matériels liés au rationnement du pays et aux indemnités de guerre pendant le régime de Vichy.

Tous les textes officiels rappellent la liberté d’interprétation des programmes par le professeur, qui choisit les supports qui conviennent le mieux. Il dispose dans les manuels d’extraits de documents archéologiques qui correspondent, pour les premières décennies d’ouvrages consultés, à beaucoup de dessins et de gravures représentant des objets, des monuments en particulier. Il en ressort que, jusqu’aux années 1930, la documentation archéologique est réduite 263 .

Evelyne Hery note le poids important des traditions chez les enseignants et une certaine inertie ou « une relative fixité », face aux innovations. Les méthodes nouvelles intégrant des éléments concrets, des études locales, sont peu développées dans les cours. Elles font l’objet d’un traitement dans le cadre des exercices pratiques 264 . Leur effet est faible dans le secondaire au cours de la première moitié du XXe s. 265 .

La méthode de la redécouverte, rappelée dans les textes des années 1950 et déjà évoquée dans les années 1930, se heurte au problème de l’insuffisance de l’équipement des lycées en diapositives, en photocopie, en polycopie, indiqué par des témoignages de professeurs 266 . Il y a une contradiction entre la volonté ministérielle et la réalité pédagogique. Evelyne Hery a montré les difficultés des enseignants pour se doter de références documentaires, et constituer ce que l’on appelle aujourd’hui le cabinet d’histoire-géographie. Ce souci, déjà exprimé dans une circulaire ministérielle du 8 juin 1896, demande d’aménager un local spécifique pour l’enseignement de l’histoire et de la géographie et de le munir de matériel pédagogique. Une circulaire du 15 avril 1911 note une amélioration en ce sens et encourage l’achat d’éléments importants 267 .

Une autre difficulté est le financement des sorties et des entrées payantes dans les sites culturels. Cela est une contrainte pour les enseignants : monter un budget équilibré et respecter les règles en vigueur. Il est interdit de demander aux parents d’élèves d’une classe une participation financière pour les sorties obligatoires. Mais ceux qui désirent organiser des visites à l’extérieur de leur établissement peuvent rencontrer des problèmes supplémentaires :

  • Des classes trop chargées. Le professeur doit assurer la sécurité de son groupe et être disponible en même temps pour chacun de ses élèves qui requièrent de l’attention.
  • Avoir un nombre suffisant d’accompagnateurs pour organiser la visite.
  • Pouvoir négocier un aménagement horaire compatible avec les exigences de la sortie culturelle, par rapport aux différents emplois du temps des classes et des professeurs concernés.

Leur qualification est déterminante aussi pour accorder une place importante à l’archéologie. Ici, deux questions se posent : un minimum de compétence scientifique en archéologie est nécessaire pour enseigner l’histoire de cette manière. Elle peut être acquise dans sa formation initiale ou durant sa vie professionnelle. De plus, il faut maîtriser également la didactique, qui ne dépend pas de l’archéologie. Mais il est certain que celui qui en est passionné ou a reçu une formation dans ce domaine est a priori avantagé par rapport à celui qui serait sans connaissance ou moins intéressé.

Enfin, soulignons un manque d’innovation ou un retard dans les maisons d’édition de manuels, pour publier des documents archéologiques récents. Nous avons choisi l’exemple du château médiéval. La castellologie a fait beaucoup de progrès. Les centres de recherches, les maisons d’édition publient beaucoup d’ouvrages scientifiques et de vulgarisation. Les chantiers de fouilles et d’études d’élévation de châteaux sont nombreux.

Nous avons consulté dix-neuf manuels de la classe de cinquième de 1977 à 2001. Sur 54 photographies de châteaux, les monuments les plus représentés sont dans l’ordre décroissant Château-Gaillard (15 fois), le Krak des chevaliers (10 fois), Loches et Gisors (5 fois chacun), Bonaguil (4 fois), Puilaurens (2 fois). Les manuels ont un répertoire de site castraux relativement réduit. Or, la France compte beaucoup de châteaux.

De plus, afin de comprendre l’évolution de ces bâtiments du IXe au XIIe s., il est nécessaire d’analyser un document de motte. Le contraste est ici édifiant : les manuels de 1977 à 2001 en proposent uniquement sept photographies archéologiques, contre cinquante-quatre de château fort de pierre. Les éditeurs publient huit textes sur la construction de mottes castrales et sept reproductions de la tapisserie de Bayeux 268 . L’archéologie est une ressource peu exploitée pour comprendre la motte castrale, par rapport aux autres sources d’information.

Notes
261.

HERY 199, 172.

262.

HERY 199, 177 et 355.

263.

Nous sommes conscient de la valeur de cet examen qui mériterait d’être approfondi grâce à un corpus de manuel plus étoffé encore.

264.

HERY 199, 216, 219, 223, 407.

265.

HERY 199, 263.

266.

HERY 199, 346.

267.

MARCHAND 2000, 642 et 726.

268.

C’est la représentation de la motte de Dinan.