B - Davantage d’innovations 495

Ce terme couvre un champ très large de changements plus ou moins amples. Il a plusieurs sens. Cela peut être une substitution d’un élément, un remaniement, une adjonction, une élimination, un renforcement des processus 496 .

L’innovation se diffuse lentement à l’école. Elle demande des efforts de motivations bien marquées 497 . Elle n’est pas obligatoire. Mais nous pensons que les enseignants doivent continuer à affronter les difficultés de mise en place de projets innovants et ne pas se décourager. Innover, c’est travailler autrement. Ce désir « se heurte rapidement à l’organisation d’ensemble de l’établissement scolaire. […] L’innovation cherche à modifier les modes d’apprentissage, et donc de relations au quotidien dans la classe, dans un service, ou dans l’économie générale de l’établissement 498  ». Ce sont donc des situations paradoxales pour les enseignants.

Il est nécessaire de créer des dynamiques didactiques, avec les risques de difficultés et d’erreurs Des projets innovants doivent avoir pour objectif de stimuler le système éducatif, d’échapper à un unitarisme dangereux pour l’avenir du système, de changer les modes d’apprentissage, avec la condition que cela soit utile pour tous les élèves. Il est nécessaire de «  modifier les relations de savoir et de pouvoir, dépasser l’organisation pyramidale 499  ». M. Develay écrit que «  l’histoire-problème, les méthodes actives, la pédagogie de la découverte, la réflexion sur le système monde, pratiques sécrétées à la fois par l’explosion de la recherche en Histoire et par les travaux de la psychopédagogie, sont […] surtout profitables aux meilleurs élèves 500  ». Tentons d’éviter cet inconvénient, pour veiller à la démocratisation de l’école.

La mise en place d’innovations est parfois difficile, mais il est de notre devoir d’essayer. La salle de classe n’est pas toujours le lieu approprié. En revanche, le centre de documentation et d’information «  offre un espace réel pour l’innovation. C’est un outil transversal 501  ». C’est un lieu ressource, où les élèves peuvent s’épanouir, à condition qu’il soit bien équipé. Son espace est peut-être plus adapté à l’apprenant que la classe, marquée par sa disposition traditionnelle. L’élève peut s‘y révéler. Il a accès lui-même aux supports de la connaissance 502 . La documentaliste a un rôle-clef à assumer auprès de lui. C’est une médiatrice entre les professeurs, elle a une vision générale de ce qui se passe. Son point de vue est en général fort utile. De plus, il faut garder une certaine grille commune ou des objectifs communs dans les projets mis en oeuvre, pour éviter de creuser les écarts entre des établissements ou de les mettre en concurrence 503 .

L’institution doit donner une certaine liberté aux enseignants dans l’organisation des emplois du temps et avoir une souplesse, leur laisser créer des dispositifs ou des séquences d’apprentissage selon leur propre logique, en fonction des cheminements personnels de chacun et des circonstances locales. L’organisation ne doit pas reposer entièrement sur de grands programmes rationnels, comme l’indique C. Hadji, et laisser une part à des actions ponctuelles et conjoncturelles, pour que l’enseignement s’enrichisse, tout en se diversifiant 504 . M. Develay pense nécessaire d’encourager les enseignants à plus d’innovations et de considérer celles-ci, «  non pas comme marginales, mais fondatrices du métier d’enseignant 505  ».

Charles Hadji estime que l’innovation est un facteur de réussite à trois conditions 506 :

  • Elle doit « exister pendant un temps suffisant pour être repérée et identifiée comme pratique inventive et récréative ».
  • Elle doit se diffuser, se généraliser ou être partagée, même si elle perd de sa teneur. Elle est « ajustée aux pratiques habituelles et de ne pas exiger trop de temps et d’efforts pour être mise en oeuvre ».
  • Enfin, elle ne constitue qu’un moyen, car son objectif est d’aider les élèves à leur réussite scolaire.

Le projet «  archéologie, patrimoine, écriture » du collège suzien remplit les première et troisième conditions. Son équipe travaille actuellement avec le Principal, pour confirmer la seconde.

Enseigner autrement est un axe de conduite important, mais l’élève a besoin d’un cadre et de repères précis pour assurer son apprentissage. Et en même temps, l’enseignement doit « offrir à l’enfant […] des irrégularités, des perturbations sollicitant des conduites d’adaptation et d’accommodation de l’acquis et à la fluidité de l’intelligence 507  ».

Nos expérimentations, pour une partie innovante, sont évaluées par nos tests de connaissances. Mais il serait nécessaire de juger la démarche auprès de l’élève et d’étudier ce qu’elle lui a apporté en savoir-faire et savoir-être sur une longue période 508 . Nous ne pouvons répondre à cette question, mais avons constaté certains phénomènes. L’enseignante de Pierrelatte nous a relaté un fait très intéressant : son établissement participe à un échange scolaire avec la Hongrie au cours de l’année 2000/2001. Elle organise une visite du château de Rochefort-en-Valdaine. Elle demande à trois de ses élèves de quatrième, qui avaient étudié le lieu en classe de 5e archéologie l’année précédente, de guider leurs correspondants. Les explications archéologiques ont été très satisfaisantes, la visite historique s’est très bien passée, en particulier pour l’un d’eux en situation d’échec scolaire et ayant des difficultés familiales importantes. Tous trois se sont largement investis dans leur travail sur le site. Ils ont été autonomes sur place : ils se sont approprié l’histoire. C’est un effet du projet de cinquième.

Françoise Cros souligne que l’innovation est difficile à pérenniser, compte tenu du poids des contraintes et des stabilités de l’institution 509 . Les groupes innovateurs sont minoritaires et en quête de soutien, de caution autour d’eux ou auprès des instances de l’Education Nationale. Il semble qu’une volonté politique s’impose avec les itinéraires de découvertes proposés par le ministère en 2001/2002 en cinquième et quatrième. L’impulsion vient d’en haut. L’évolution est donc favorable aux innovateurs, qui pourront ainsi exprimer leur imagination pédagogique au bénéfice des élèves. Les professeurs d’histoire ont un rôle important à assurer dans ce cadre.

M. Develay pose une question de fond quand il constate le fort cloisonnement des disciplines. Des projets à thèmes transversaux, respectant les programmes de collège en particulier, n’ont pas duré, car «  aucun enseignant n’en était responsable et aucun horaire obligatoire ne figurait dans les emplois du temps 510  ». Sur la première raison, il est nécessaire de nuancer, et ne pas généraliser. Certes, l’absence de prise de responsabilité est réelle. Pour la deuxième raison, la question de l’obligation de l’élaboration de projets et l’interdisciplinarité mérite d’être posée. Il existe en général, chez les enseignants, un foisonnement d’idées, qu’il est souvent possible de concrétiser en projet. Nous pensons qu’ils doivent travailler de manière interdisciplinaire. Ils ont en commun la tâche d’éduquer les élèves. C’est très utile pour un enseignement de qualité et moderne. Mais l’imposer nous semble être une mauvaise méthode.

L’institution doit inciter leurs initiatives et trouver des moyens pour valoriser leur travail, pécuniairement, en décharge horaire. Pourquoi, également, ne pas compter dans le temps de service des enseignants volontaires les projets archéologiques qu’ils réalisent, au lieu de les payer en heures supplémentaires, comme c’est le cas avec les ateliers artistiques, des P.A.E. ? D’ailleurs, beaucoup sont contre le principe des heures supplémentaires.

Il est nécessaire que soit prise en considération et valorisée, sous une forme à déterminer, la différence entre un professeur qui fait un travail routinier et un autre qui essaie d’innover, d’imaginer des processus variés d’apprentissage pour un progrès maximum des élèves en termes de savoir, savoir-faire et savoir-être. Alors, l’institution doit, de son côté, aider son personnel à remplir cette mission. Nous avons en effet constaté parfois une insuffisance de professeurs, lorsque l’Education Nationale veut développer des projets basés sur le volontariat. C’est l’exemple de ce collège de la banlieue de Rouen 511 .

Face à des élèves peu motivés, dans un contexte d’enseignement parfois figé, il est nécessaire d‘avoir «  un vrai rapport au savoir, un rapport de plaisir, un accès à la culture vivante ; aidons-les à faire cette expérience-là, à vivre le plaisir de ce rapport-là, et peut-être seront-ils capables de réinvestir l’école, d’accepter l’effort, la contrainte, le travail nécessaire 512  ». Des erreurs didactiques ont été commises dans l’innovation. N’hésitons pas à nous remettre en cause et à nous améliorer encore.

Les parcours diversifiés, les travaux croisés et autres projets représentent des expériences à approfondir. Le collège est un lieu de grande diversité, que les enseignants doivent gérer. Maintenons une certaine marge de liberté et de création dans leur projet, en essayant d’éviter les écueils rencontrés dans le passé au cours d’expériences innovantes. Il nous semble nécessaire que les projets mis en place répondent à une sorte de cahier des charges ou respectent des obligations connues de tous, clairement affichées et nationales. Il faut profiter des richesses pédagogiques des enseignants. C’est un métier où la création est au bénéfice des élèves. Le patrimoine archéologique est très important en France. Ils ont de multiples façons de l’exploiter dans le cadre des programmes d’histoire et de donner aux élèves une ouverture culturelle.

Notes
495.

L’innovation est un des critères importants de réussite de l’élève. Bien d’autres sont à prendre en compte. LANGOUET 1988, 48-49.

496.

MARSOLLIER 1998, 15.

497.

MARSOLLIER 1998, 9 et 15.

498.

BEUDEZ 1997, 35-36.

499.

BEUDEZ 1997, 37.

500.

DEVELAY 1995 a, 160.

501.

BEUDEZ 1997, 36, et BOYE 1993, 34.

502.

BOYE 1993, 34.

503.

AVANZINI 1997, 48.

504.

HADJI 1991, 22.

505.

DEVELAY 1996, 19.

506.

HADJI 1991, 24-25.

507.

KERLAN 2000, 81.

508.

CROS 1993, 122.

509.

CROS 1993, 74.

510.

DEVELAY 1996, 27.

511.

DUPUIS 2000, 47.

512.

KERLAN 2000, 84.