Conclusion générale

Depuis le milieu du XIXe s., l’enseignement de l’histoire a subi de profondes mutations didactiques et s’est ouvert à une archéologie très diversifiée. Celle-ci occupe toujours une place relativement importante dans les programmes. Elle a connu un premier temps fort avec les réformes de 1880 à 1923-1925, qui faisaient appel à un grand nombre d’indications archéologiques. Mais les documents ont souvent une fonction illustrative.

Le concept de civilisation est devenu central dans les textes officiels. L’aspect politique a été atténué, alors que l’intérêt pour la culture matérielle s’est considérablement accru. L’archéologie est devenue de ce fait une source d’information indispensable pour comprendre le passé des hommes. Elle a pris de l’importance dès le mouvement amorcé par l’Ecole des Annales à la fin des années 1920 - années 1930 et s’est renforcée avec Fernand Braudel dans les années 1950 grâce au développement des méthodes actives. Les historiens ont donc leur responsabilité dans la diffusion de l’archéologie : les précurseurs, tels que Henri Berr, puis L’Ecole des Annales, qui a donné un statut important à la culture matérielle.

Un examen diachronique d’une série de manuels d’histoire du XXe s., en a montré plusieurs signes. Les supports archéologiques ont une part plus forte depuis la mise en place des programmes de 1937-1938. Ils sont actuellement d’une grande variété et font l’objet d’analyses approfondies. Les illustrations s’améliorent qualitativement dès la décennie de 1950. C’est un autre temps fort.

Depuis la réforme de 1985, la place de l’archéologie s’est encore développée dans les textes officiels. Les élèves étudient de nouveau son rôle. Les méthodes actives sont confirmées. La Nouvelle Histoire a beaucoup influencé l’enseignement et insiste encore sur la culture matérielle. Nous avons étudié, en examinant les programmes et les manuels scolaires des classes de sixième et de cinquième, la richesse documentaire des différents chapitres et, en particulier, des deux thèmes choisis, la maison romaine et le château médiéval. Les champs des données archéologiques et des sources textuelles sont, dans l’ensemble, complémentaires.

L’archéologue a beaucoup changé depuis le milieu du XIXe s.. Elle a tendance à se spécialiser, en particulier à se tourner vers les sciences de la vie et de la terre, vers des techniques modernes. Les pistes de recherche se sont multipliées. Les textes officiels doivent intégrer ces changements : les enseignants insistent davantage, depuis une quinzaine d’années, sur les différentes méthodes archéologiques, qui font partie des sources historiques. Notre première hypothèse de recherche est donc validée. Mais une autre étude serait nécessaire et apporterait des renseignements utiles : l’archéologie dans l’enseignement de l’histoire scolaire enseignée. Dans quelle mesure les professeurs traduisent-ils concrètement les volontés ministérielles dans leurs cours ?

La démarche historique/archéologique utilisée dans les expérimentations a permis, dans une large majorité des comparaisons entre classe-archéologie et classe-classique du même établissement, d’obtenir de meilleurs résultats que l’approche historique générale : 92 % des cas en sixième et 65 % en cinquième 537 , pour des raisons complexes et étroitement liées les unes aux autres 538 .

Les animations d’intervenants extérieurs au collège et les visites guidées de sites ou de monuments sont presque toujours bénéfiques, à condition d’être adaptées à la classe, bien préparées et exploitées. Elles mettent en place la stratégie de la compréhension par la confrontation. Elles brisent le cadre et la routine et stimulent ainsi la curiosité et l’action.

Les documents archéologiques sont souvent plus évocateurs et plus attrayants, voire signifiants, que ceux du livre ou de la démarche historique/générale. Ils sont plus variés que ceux du manuel et la motivation de l’apprenant s’en trouve renforcée. L’enseignant doit parfois en rechercher ailleurs que dans le manuel pour construire son cours. Les documents proposés par des revues de vulgarisation telles que Archéologia, sont bien présentés et plaisent en général au lecteur. Les belles photographies d’objets restaurés provenant de fouilles comme une monnaie, les restitutions d’un site, les vidéos bien conçues, captent mieux l’attention qu’un texte pour préparer un travail d’analyse, et le message didactique est souvent plus limpide, dans le cas où l’idée serait similaire. Le professeur parvient à établir une cohérence dans le choix des supports archéologiques, ce qui facilite l’apprentissage. Il crée ainsi des situations-problèmes ou des «  situations-énigmes », qui aident l’apprenant à faire évoluer ses représentations mentales des savoirs.

L’approche historique/archéologique apparaît plus bénéfique également, grâce à des supports originaux ou inhabituels : des vues d’objets peu courantes, des diapositives, des photographies ou des artefacts appartenant à l’enseignant, qui personnalise ainsi ses leçons, et les rend plus vivantes. La visite d’un monument médiéval comme une église, un château, les édifices d’une vieille ville, donne une dimension pédagogique différente de celle de l’analyse, par exemple, de photographies ou de plans édités dans le manuel, d’autant plus que les classes-archéologie travaillent particulièrement sur le patrimoine local, situé dans les communes voisines de l’établissement, ou régional. L’élève dispose ainsi des points d’appui importants. Présenter des documents originaux plutôt que de deuxième ou troisième main accroît son intérêt , mais il faut savoir les mettre en valeur, et utiliser les moyens didactiques appropriés. Le professeur doit donner les outils de compréhension et d’interprétation des vestiges d’un site ruiné, des éléments de lecture aux premier et au second degrés. Si cela n’est pas fait, la transmission cognitive risque d’aboutir à un échec.

Une autre raison tient à ce que l’approche historique/ archéologique propose des supports, liés à un projet interdisciplinaire dans lequel l’élève s’investit. Trois classes-témoins en 6e et en 5e sur huit sont constituées de volontaires à un atelier artistique proposé lors de l’inscription au collège, conformément à la législation 539 . Nous pensons aussi que leurs parents adhérent, pour la plupart, au projet de classe et aident leur enfant.

Les actions culturelles, les visites guidées de sites et de monuments sont efficaces pédagogiquement parce qu’elles mobilisent plus facilement la réflexion de l’élève, attirent son attention, dynamisent l’enseignement en lui donnant une dimension concrète et une proximité. Les professeurs ont noté aussi, dans ces classes qu’il a tendance à être plus curieux, plus attentif, plus réceptif à la pédagogie mise en oeuvre. La culture générale en archéologie est un facteur utile pour résoudre les tensions qui résultent des processus d’enseignement. Il peut procéder aux phases de contextualisation et de décontextualisation. Il possède des références culturelles sur lesquelles s’appuyer pour effectuer le travail demandé. Son attitude, plus positive, est favorable pour aborder l’acte d’apprentissage valorisé par l’enseignant, en raison des supports variés, originaux, attractifs, et des nombreux points d’appui. Notre deuxième hypothèse de recherche se trouve donc confirmée.

Mais nous ne pouvons nier l’influence des autres explications : la famille, les pré-requis, l’effet captivant du professeur, la mémoire, le travail à la maison, l’effectif des classes 540 , leur maturité, leur sensibilité, les causes psychologiques, l’origine sociale. Il faut relativiser la portée de l’étude. Nous ne prétendons pas imposer une démarche historique/archéologique, ni en sixième, ni en cinquième. Nous avons connu des échecs car il n’est pas toujours facile de la mettre en oeuvre. Il faut une documentation plus ou moins scientifique, que ne reçoivent pas les collèges. Des thèmes s’y prêtent facilement comme la préhistoire, l’Antiquité romaine, mais «  aucun profil d’action n’est universellement meilleur que tous les autres 541 . » L’enseignant dispose de multiples moyens pédagogiques pour enseigner l’histoire. Mais il est certain que, dans notre recherche, les variables liées à l’approche archéologique expliquent, dans l’ensemble, les meilleurs résultats obtenus aux contrôles-témoins.

Nous aurions souhaité travailler sur les savoir-faire et les savoir-être, qu’elle permet d’acquérir, sur ses effets à moyen terme. Mais c’est un autre sujet, intéressant à approfondir. Nous avons relevé seulement quelques indices positifs. Nous remarquons que les élèves bénéficient d’un contexte culturel et pédagogique favorable à un développement possible de l’archéologie, d’autant plus que ce patrimoine est très important en France et séduit le public. L’archéologie est devenue plus médiatique que l’histoire, écrit Alain Schnapp en 1990 542 . Ainsi, des sites ont pu être protégés dans des conditions plus faciles, contribuant à mieux sensibiliser l’opinion. Les nombreuses publications de vulgarisation et de livres pour enfants le montrent.

L’Education Nationale a établi successivement depuis 1994 une série de cadres institutionnels favorables à la création de projets artistiques sous les formes de parcours diversifiés, de travaux croisés, de classes à projet artistique et culturel lancées en septembre 2001 à l’école primaire et pour la sixième. Ces projets sont des expériences pédagogiques à améliorer et à approfondir. Le collège est un lieu de grande diversité culturelle, que les professeurs doivent prendre en charge et gérer. Il doit constituer un espace de démocratisation de la culture. Maintenons une certaine marge de liberté et de création des enseignants dans leur projet, en essayant d’éviter les écueils rencontrés dans le passé au cours d’expériences innovantes. C’est le cas actuellement, des ateliers artistiques de Labastide Saint-Pierre et de Suze-la-Rousse, ou des itinéraires de découvertes pour les classes de 5e et de 4e. Il nous semble nécessaire que les projets mis en place répondent à une sorte de cahier des charges ou respectent un minimum d’obligations connues de tous, clairement affichées et nationales. Il faut profiter des richesses pédagogiques des enseignants. C’est un métier où la création s’effectue au bénéfice des élèves. Les professeurs participant à notre étude ont voulu agir dans ce sens.

L’enjeu est de proposer, grâce à l’archéologie, une autre diffusion des savoirs, s’adressant à tous. «  La vulgarisation, le transfert des connaissances depuis l’institution qui les élabore jusqu’à celles qui les utilisent, l’accès aux banques de données constituent de réels enjeux démocratiques 543 . ». L’enseignement de l’histoire contribue, au cours des réformes successives, à la construction du citoyen. La lettre du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts du 15 juillet 1890 demande de placer «  les faits intellectuels, les lettres et arts dans leurs milieux, c’est-à-dire dans la vie politique et sociale » en précisant qu’il sert à habituer «  l’esprit à discerner, à apprécier et à juger des faits, des personnes, des idées, des époques, des pays ». 544 La circulaire du 17 février 1908 précise qu’il a «  pour but non seulement l’acquisition de la connaissance matérielle des faits, mais encore la formation intellectuelle et morale des élèves » 545 . Enseigner l’histoire, c’est « enfin chercher à donner aux élèves une vision du monde […] et une mémoire », une représentation du passé des hommes. C’est un moyen pour «  constituer ce patrimoine qui permet à chacun de trouver son identité. Cette identité du citoyen éclairé repose sur l’appropriation d’une culture » 546 . Notre projet sur l’archéologie scolaire répond à ces objectifs. L’histoire enrichit la culture grâce à l’archéologie, elle permet de comprendre le monde 547 .»  Les compétences transmises et construites à l’école n’ont de sens que si elles échappent à l’école et à leur usage scolaire, si elles aident à comprendre le monde, à y vivre, y agir, à le construire et non le contempler » 548 .

Des remises en causes des différents acteurs du système sont donc nécessaires. P. Meirieu demande aux enseignants de reconnaître leur part de responsabilité dans l’échec scolaire. Il constate un écart entre ce qu’ils proposent et ce qu’ils font. Mais son message, qui valorise ce métier, reste optimiste. Il faut créer «  un espace libre et accessible, disposer d’outils qui permettent de se l’approprier et de s’y déployer pour partir à la rencontre des autres 549  ». C’est un défi pédagogique.

Les préparations sont indispensables pour nouer des contacts, rencontrer les intervenants en milieu scolaire. N’hésitons pas à dénoncer, quand il le faut, la lourdeur des programmes, qui interdit une certaine souplesse dans notre profession, à critiquer des tâches administratives pesantes, qui s’interposent dès que nous souhaitons entreprendre un projet conséquent. «  Le métier d’enseignant au collège […] est un métier qui s’exercera de moins en moins solitairement, et de plus en plus collégialement et collectivement 550 . » Cette démarche paraît obligatoire pour construire des projets, des actions archéologiques.

Le monde de l’archéologie doit aussi se réformer pour s’ouvrir davantage et développer plus de missions auprès du public scolaire. Les archéologues sont souvent indisponibles, en raison de contraintes professionnelles, mais également d’un manque de communication de leur part. Et pourtant leur métier fait rêver les enfants et suscite vivement leur imagination. Prenons un exemple : le musée de l’Arles antique et de la mission académique à l’action culturelle d’Aix-Marseille a réussi à rééditer pour la seconde fois en mai 2003 le forum de l’archéologie en milieu scolaire. Celui-ci réunit six classes de collège du département des Bouches-du-Rhône. La matinée est consacrée à la présentation des travaux scolaires au public par les élèves eux-mêmes. Des rencontres sont organisées pendant l’après-midi avec des archéologues professionnels 551 . Saluons cette initiative pédagogique ambitieuse, qui mériterait d’être multipliée et encouragée par l’administration.

Les archéologues ne valorisent pas assez leur métier auprès du public scolaire. Plus d’actions pourraient être réalisées afin de se faire connaître, de diffuser leurs compétences, en collaboration avec les services pédagogiques, les musées. Les associations représentent un autre vecteur non négligeable : par exemple, Archéo-Drôme cherche à développer ce volet de l’archéologie dans le sud de la Drôme en répondant aux demandes des enseignants, en mettant en oeuvre des animations en direction d’un public jeune.

Les élèves devraient trouver dans l’archéologie des raisons d’épanouissement personnel. C’est pour cela qu’on doit multiplier les projets s’adressant à des classes entières, à des groupes de volontaires et leur proposer des formes d’enseignement variées tels que des projets culturels, notamment. Cela peut être un système d’options à choisir, comme nous l’avons vu dans plusieurs collèges. Nous l’avons mis en place à Suze-la-Rousse en sixième et cinquième. L’établissement de Vallon-Pont-d’Arc propose de la 6e à la 3e, une option «  archéologie, patrimoine, environnement ». Il faut poursuivre encore les innovations. Plusieurs l’ont fait et continuent. Il est nécessaire de donner une certaine liberté aux élèves et d’éviter un enseignement strictement identique, même si une culture commune de base s’avère indispensable. La politique culturelle de l’Education Nationale en matière de projets artistiques et culturels offre une série de choix aux enseignants désireux de se lancer dans des actions avec leurs classes. Le collège doit s’adapter à l’élève, afin qu’il puisse trouver sa place. Des projets multiples peuvent être réalisés avec des moyens simples, locaux et, bien entendu, avec une volonté affirmée de se lancer dans un travail à court et moyen terme, avec le soutien de l’administration de l’Education Nationale et des collectivités locales. Il existe des ressources archéologiques relativement aisées à identifier dans des villes et des villages, avec l’aide d’érudits locaux, de centres de recherches, des associations. L’enseignant d’histoire a son rôle à assumer dans cette stratégie. Il a des compétences en archéologie à proposer aux élèves. Il peut avoir des contacts personnels, associatifs. Il est susceptible de faire appel à des intervenants, assez faciles à trouver. Son rôle est de contribuer à vulgariser les résultats des recherches scientifiques ou universitaires, liées aux programmes. Il lui faut maîtriser les contenus à enseigner mais, pour cela, il a besoin du soutien des spécialistes, lorsque les connaissances sont très techniques 552 , et de son administration.

Nous espérons que l’archéologie contribuera à lutter contre l’échec scolaire. Elle est un moyen de viser à l’autonomie des élèves. Elle peut aider «  celui qui sort de la classe en sachant ce dont il est désormais capable, celui qui échappe au regard du maître pour noter une chose qu’il a décidé de retenir, celui qui s’attache à un détail qu’il se promet de vérifier, celui qui tente d’utiliser ailleurs et autrement ce qu’on lui apprend là […] celui qui échappe au pouvoir absolu du maître 553  ». Elle peut être à l’origine de nombreuses opportunités pédagogiques, pour enrichir notre système éducatif.

Notes
537.

La démarche archéologique est intéressante car elle donne de meilleurs résultats aux contrôles-témoins en cinquième pour les chapitres de l’Empire byzantin, l’Empire carolingien (sauf dans un cas), l’Eglise, et dans une moindre mesure les mottes castrales, les villes. La tendance est moins nette pour les châteaux de pierre, et les paysans.

538.

La majorité des références bibliographiques de la conclusion provient d’idées formulées dans les deuxième et troisième parties, sauf mention contraire.

539.

Le Principal de Suze-la-Rousse avait exigé d’intégrer des élèves doublants dans toutes les classes de 6e, non volontaires en général, afin de les répartir équitablement.

540.

Nous avons vu que le nombre d’élève est une raison à relativiser. Une classe moins nombreuses n’obtient pas forcément de meilleurs résultats. Nous l’avons remarqué avec les classes de Suze-la-Rousse, de Pierrelatte.

541.

HOUSSAYE 1996, 114.

542.

COLLECTIF 1990 A. Certains points de l’histoire contemporaine sont aussi très médiatiques : nous pensons au procès Barbie à Lyon, à la guerre d’Algérie.

543.

DEVELAY 1996, 21.

544.

MARCHAND 2000, 546 et 710.

545.

MARCHAND 2000, 546 et 710 pour

546.

Texte des programmes officiels d’histoire et géographie de 6e de 1995.

547.

AUDIGIER 1993, 586.

548.

AUDIGIER 1993, 574.

549.

MEIRIEU 1995, 266-267.

550.

DEVELAY 1995 a, 13.

551.

ARKEOjunior, n°77, juillet-août 2001, p. 5. Un troisième forum est prévu en Arles à la fin de l’année scolaire 2002/2003.

552.

DEVELAY 1995 a, 12.

553.

MEIRIEU 1991 a, 100.