B Une traduction littérale et fiable ?

Dans André Gide et la littérature persane, au chapitre I, Hassan Honarmandi étudie l’influence de Xayyâm sur Gide et à la page 7 écrit : « André Gide se refuse à voir en Khayyâm un mystique. C’est la cause pour laquelle il ne recommande pas la traduction de Nicolas qui « est littérale » ». Cette appréciation est juste et lorsque le traducteur est obligé de s’éloigner du texte, cette pratique semble le gêner. Il le signale alors par une note de bas de page comme la note numéro 1 du quatrain 393 où il explique : « Le texte dit : « Tu déchires sur moi la chemise de la joie », expression figurée et singulière que nous croyons avoir exactement traduite, quant au sens, par la périphrase que nous avons employée [Tu paralyses en moi le germe de la joie]. »

Malgré cette volonté de clarté certains quatrains ont posé à Nicolas des problèmes qu’il n’a pas pu résoudre mais cela ne remet pas en cause le sens général de l’œuvre. Nous pouvons citer une erreur de compréhension dans le quatrain 44 pour la traduction de « Personne (pas même en esprit) ne peut y pénétrer » car le poète voulait dire que [Personne n’est au courant de l’ordonnance de l’univers comme l’âme que personne ne peut connaître 31 ] 32  :

‘ﻨﻴﺴﺖﺁﮔﻪﻛﺴﻰﺠﺎﻦﭽﻮﻦﺘﻌﺒﯿﻪﺰﯿﻦﻧﯿﺴﺖﺮﻩﺮﺍﻛﺴﯽﺍﺴﺮﺍﺮﭙﺮﺩﻩﺩﺮ »
« ﻧﯿﺴﺖﻛﻮﺗﻪ ﻫﻢ ﻔﺴﺎﻧﻪ ﺍﻳﻦ ﻛﻪ ﺍﻔﺴﻮﺱ ﻧﯿﺴﺖﻤﻧﺰﻠﮔﻪ ﻫﻳﭻ ﺨﺎﻚ ﺪﻞ ﺪﺮ ﺠﺰ’ ‘« Personne n’a accès derrière le rideau mystérieux des secrets de Dieu, personne (pas même en esprit) ne peut y pénétrer ; nous n’avons point d’autre demeure que le sein de la terre. O regret ! car c’est là aussi une énigme non moins difficile à saisir. »’

En note de bas de page, il a été ajouté au sujet du même hémistiche : « puisqu’il n’est donné à l’âme même de personne d’y pénétrer », ce qui en est une deuxième version qui est également une erreur.

Dans le troisième hémistiche du quatrain 93, le traducteur a remplacé [comme j’ai su que le vin était l’ennemi de la religion] par « Mais pour cette raison même, maintenant que je me tiens pour adversaire de la foi », ce qui malgré les apparences ne veut par dire la même chose ; Xayyâm veut éliminer un ennemi de la religion comme cela est prescrit dans le Coran 33 . Voici son texte :

‘ﺍﻋﺪﺍﺴﺖ ﺪﻴﻧﺭﺍ ﮐﻪ ﻤﯽ ﺗﻮ ﻤﺨﻮﺭ ﮔﻮﻴﻧﺪ ﺭﺍﺴﺖ ﻮ ﭽﭗ ﺍﺰ ﻤﺨﺎﻠﻔﺎﻦ ﻮ ﺨﻮﺭﻢ ﻤﻰ ﻤﻦ»
« ﺮﻮﺍﺴﺖ ﻛﻪ ﺮﺍ ﻋﺪﻮ ﺧﻮﻦ ﺑﺧﻮﺮﻢ ﻮﺍﷲ ﺪﯿﻧﺴﺖ ﻋﺪﻮﻯ ﻤﻰ ﻛﻪ ﺪﺍﻧﺴﺘﻢ  ﭼﻮﻦ’ ‘« Je bois du vin, et ceux qui sont contraires viennent de gauche et de droite pour m’engager à m’en abstenir, parce que, disent-ils, le vin est l’ennemi de la religion. Mais pour cette raison même, maintenant que je me tiens pour adversaire de la foi, je veux, par Dieu, en boire, car il est permis de boire le sang de son ennemi. »’

Nous pourrions citer de nombreux quatrains dans lesquels nous retrouvons des erreurs de traduction 34 . Toutefois à la lecture de cette traduction des quatrains, étant donné le faible taux d’erreur par rapport à l’ensemble de l’œuvre il apparaît avec évidence que Nicolas avait une bonne maîtrise du persan même si dans la préface il déclare avoir été aidé par « Hassan-Ali-Khan, ministre plénipotentiaire de Perse près la cour des Tuileries ». Le style oral du texte original proche du persan actuel a également été bien rendu.

Notes
31.

A cause de la limite de nos sens.

32.

Notre traduction. Dans ce qui suit, les passages entre crochets sont toujours notre propre traduction et celle qui suit le texte persan est de Nicolas.

33.

Verset 187, Sourate la vache, p. 51, note numéro 5.

34.

Q. 275: Dans le troisième hémistiche, le poète au sujet de «ﺮﻮ ﺴﻔﻳﺩ » veut dire qu’[il n’a pas honte], qu’[il sera fier] ou qu’[il n’a à rougir de rien] mais pas « rendant mon visage blanc ».

Q. 284: Dans le quatrième hémistiche, « ﻤﺤﺩﺚ » ne veut pas dire « moderne » mais [avec un début] qui fait allusion à une philosophie qui dit que le monde est créé à partir d’une date (ﻤﺤﺩﺚ ) contrairement à Dieu qui existait depuis toujours et qui existera toujours (ﻗﺩﻳﻢ).