Nous lisons à la première ligne du poème « L’Enfant » : « Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil 111 . » Tout au long du poème, nous avons des images différentes qui confirment cette ruine. Ainsi Hugo compare l’île dévastée à « un sombre écueil » et plus loin, il la compare aux cheveux d’un Grec
‘« qui du fer n’ont pas subi l’affront,Dans l’introduction du Jardin des Roses, Sa’di évoque d’abord la prise de la ville de Širâz par les Turcs, ce qui a causé son exil, ensuite il compare cette ville dévastée aux cheveux d’un Ethiopien : « Daigne, ô mon Dieu, verser tes trésors de justice et de bienfaisance sur l’heureuse ville de Schiraz ! Maintiens-y la paix et l’abondance, jusqu’à la fin des siècles ! Hélas ! que je regrette le temps que j’ai passé loin de cet heureux séjour ! Mais la perfidie des Turcs m’a obligé de m’exiler dans une terre étrangère. Tout était alors en proie à la discorde, tout était brouillé et pêle-mêle comme les cheveux sur la tête d’un Ethiopien 113 . »
Il existe quelques points communs entre ces deux extraits, même si nous n’y trouvons pas exactement la même image. Dans les deux cas, les lieux ont été attaqués par les Turcs et dans les deux cas, la ruine qu’ils ont causée a été comparée aux cheveux d’un garçon. C’est dans ce poème qu’Hugo cite le nom de l’Iran :
‘« « Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,Ailleurs également, Hugo utilise l’image des cheveux non pour montrer une ville dévastée mais pour montrer un bateau en ruine :
‘« Qu’on n’y voit que des morts tombés de toutes parts,Dans « L’Enfant », la présentation de la ville en ruine est opposée à l’image paradisiaque de la fin du poème. Le décor présenté par Hugo au début du poème est « un grand ravage » où se trouve un enfant seul « près des murs noircis », un «pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux ». A la fin du poème, les images proposées par le poète pour calmer l’enfant sont « un bel oiseau des bois, qui chante avec un chant plus doux que le hautbois », la « fleur », le « beau fruit » et « l’oiseau merveilleux ». Ce sont des images qu’on trouve souvent chez les poètes persans, y compris Sa’di et Hâfez. Cela se trouve également chez mille auteurs différents mais l’image que l’on percevait de la poésie persane était avant tout une image stéréotypée de la nature à laquelle s’ajoutait parfois la présence de jeunes garçons, comme le confirme René Petitbon dans L’Influence de la poésie religieuse indienne dans le Romantisme et le Parnasse : « Les poètes persans ont leurs thèmes lyriques : la nature, les fleurs, les oiseaux, la nuit, le vin, l’amour, l’amour de Dieu, et leurs thèmes moraux qu’inspirent l’exemple des sages, les préceptes des fables, le respect du Coran 116 . »
Plus loin, dans cette même introduction de Sa’di où il était question de la ruine de la ville de Širâz par les Turcs, nous trouvons les éléments de la nature cités par Hugo dans « L’Enfant ». Nous trouvons des « oiseaux » et leur « chant » ou bien des « fleurs » et des « fruits » : « Mon ami me conduisit dans un de ses jardins, qui renfermait plusieurs belles prairies, et des plants d’arbres chargés de fruits et de fleurs. Un ruisseau coulait dans ce jardin ; l’eau en était agréable comme le nectar. Le verger était rempli d’oiseaux, dont le ramage était touchant, comme une belle musique sur des vers tendres 117 . »
Dans l’extrait suivant du chapitre II du Bustân 118 , Sa’di évoque le comportement que chacun doit avoir envers un orphelin d’où le titre de l’extrait :
‘L’orphelinL’enfant cité par Hugo dans le poème « L’Enfant » est devenu orphelin après la ruine de l’île causée par les Turcs. Hugo essaye de réconforter l’enfant qui « courbait sa tête humiliée » à l’exemple de « l’orphelin » cité par Sa’di« qui va, baissant la tête » pour qu’il retrouve la gaîté. Sa’di demande qu’on essuie les pleurs de l’orphelin et qu’on lui prouve ainsi sa compassion. Hugo répond à ce souhait en demandant à l’enfant ce qu’il veut « pour essuyer les pleurs de [s]es yeux bleus » et pour que « le vif éclair de la joie et des jeux » passe dans ses yeux.
Sa’di écrit : « S’il pleure, l’orphelin, qui songe à le calmer ? » Hugo écrit un vers qui ressemble à celui de Sa’di : « qui pourrait dissiper [s]es chagrins nébuleux ? »
Les Orientales, Les Feuilles d’automne, éd. cit., p. 101.
Ibid., p. 102.
Le Jardin des roses, éd. cit., préface de Sa’di, p. 19.
Les Orientales, Les Feuilles d’automne, éd. cit., p. 102.
Ibid., p. 41.
Petitbon René. L’Influence de la poésie religieuse indienne dans le Romantisme et le Parnasse, suivies de Les Sources Orientales de Jean Lahor. Paris, Nizet, 1962, thèse, p. 44.
Le Jardin des roses, éd. cit., préface de Sa’di, p. 24.
Bustân de Sa’di. Téhéran, éditions Amir Kabir, 1999, quatrième édition, chapitre II (de la bienfaisance), pp. 54 et 55.
SafâZ. Anthologie de la poésie persane (XI e - XX e siècle), textes traduits par Gilbert Lazard, R. Lescotet Henri Massé, Connaissance de l’Orient, Gallimard/Unesco, 1964, pp. 229 et 230.