D Le poème XLI, « Novembre »

Dans Les Orientales,nous trouvons l’épigraphe suivante de Sa’di en tête de « Novembre » qui est le dernier poème de ce recueil :

‘« Je lui dis : la rose du jardin,
comme tu sais, dure peu ; et la saison
des roses est bien vite écoulée 124  ». ’

Dans cette épigraphe, il est question de la durée éphémère de la rose et par conséquent de celle de la saison qui porte les roses. Or, nous retrouvons cette idée de l’éphémère tout au long de « Novembre » et également dans le titre. Dans les deux premiers vers, les verbes « abrégeant », « dévore », « éteint » et « glace » renvoient à la même idée :

‘« Quand l’Automne, abrégeant les jours qu’elle dévore,
Eteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore 125 … »
Entre autres, plus loin, cette idée de l’éphémère a été reprise avec les mots « frissonnent », « se tait », « brumeux » et « froid » : « […] les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
A ce soleil brumeux les Péris auraient froid 126 . »’

Comme nous pouvons le constater, Hugo développe l’esprit de l’extrait du Golestân de Sa’di dans « Novembre ». D’ailleurs, le choix de ce titre par Victor Hugo a un rapport avec l’épigraphe de Sa’di.

A la fin du poème, dans ce contexte où tout est éphémère, Hugo décide de raconter ses souvenirs à sa muse ingénue et ainsi de constituer un recueil durable. Un recueil « sur les feuilles duquel le vent d’automne n’étendra pas la main, et dont le printemps gracieux ne deviendra jamais sous la marche du temps un hiver stérile 127 . » Cette citation de Sa’di qui a été retirée de l’édition de 1829 et qui se trouve dans le manuscrit des Orientales reflète bien le but d’Hugo dans Les Feuilles d’automne. Dans l’introduction au Jardin des roses, nous lisons qu’au moment de quitter le jardin délicieux où se trouvent Sa’di et son ami et au moment où l’ami de Sa’di lui apporte des roses, une idée vient à Sa’di : « c’est de composer, sous le titre du Jardin des roses, un livre qui contienne les préceptes les plus utiles de la vie, d’y répandre toutes les fleurs d’une érudition agréable 128 . » Sa’di ajoute : « Si je puis remplir mon projet, ces fleurs n’auront point à craindre l’inclémence des saisons. Ni le souffle brûlant de l’été, ni les rigueurs de l’hiver ne pourront leur porter atteinte. Elles feront les délices des hommes studieux, et brilleront d’un éclat qui sera toujours durable 129 . »

Dans « Novembre », lorsqu’Hugo explique son projet à sa muse, il fait allusion à son enfance, son adolescence, ses parents, ses amis et ses amours. Nous trouvons le contenu de ce projet réalisé dans Les Feuilles d’automne. Et comme prévu, dans ce recueil, il commence d’abord par son enfance :

‘« Ce siècle avait deux ans […]
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi 130 . – »’

Donc, « Novembre » peut être considéré comme une transition entre Les Orientales et Les Feuilles d’automne. En effet, le titre de ce deuxième recueil renvoie à ce poème de transition. Comme nous l’avons expliqué, Hugo s’est inspiré de l’épigraphe de Sa’di pour choisir le titre de « Novembre ». Etant donné le lien entre « Novembre » et Les Feuilles d’automne, nous ne pouvons pas nier l’influence de Sa’di dans le choix d’Hugo pour choisir le titre des Feuilles d’automne.

Notes
124.

Ibid., p. 178.

125.

Ibid., p. 178.

126.

Ibid., p. 179.

127.

Œuvres complètes de Victor Hugo, éd. cit., p. 495.

128.

Le Jardin des roses, traduit du persan par J. Gaudin, éd. cit., p. 25.

129.

Ibid.

130.

Les Orientales, Les Feuilles d’automne, éd. cit., p. 191.