C Le Manichéisme

Le dialogue entre le corbeau et l’homme ailé dans le poème « Le Corbeau » (Dieu) est consacré à la religion de Zoroastre et à la guerre entre le bien et le mal. Hugo fait allusion à l’ancienne religion de la Perse et au combat permanent que mène Ahurâ Mazdâ ou Ormozd, le représentant du bien contre Ahriman, l’incarnation du mal.

Le corbeau décrit à l’homme ailé, les dieux de la religion de Zoroastre :

‘« Ils sont deux ! Zoroastre.
L’un est l’esprit de vie, au vol d’aigle, aux yeux d’astre,
Qui rayonne, crée, aime, illumine, construit ;
Et l’autre est l’araignée énorme de la nuit.
Ils sont deux ; l’un est l’hymne et l’autre est la huée208. »’

Et plus loin, le corbeau lui explique le combat entre le bien et le mal sur la terre :

‘« Ils sont deux combattants. Le combat, c’est le monde209. » ’

Ailleurs il ajoute :

‘« Ainsi luttent, hélas ! ces deux égaux puissants ;
L’un, roi de l’esprit ; l’autre, empoisonneur des sens ;
Les choses à leur souffle expirent ou végètent.
Rien n’est au-dessus d’eux. Ils sont seuls. Ils se jettent
L’hiver et le printemps, l’éclair et le rayon ;
Ils sont l’effrayant duel de la création.
Tout est leur guerre. Ils sont dans la flamme, dans l’onde,
Dans le terre où les monts fument, dans l’air qui gronde ;
Leurs chocs font tressaillir les firmaments, et font
Trembler les soleils d’or à ce sombre plafond ;
Et le nid, dans la mousse, et leur champ de bataille 210 … »’

Dans ce poème, outre le thème du bien et du mal, Hugo évoque « le bœuf », qui, dans la religion de Zoroastre, « est à l’origine de tous les animaux utiles de la terre 211 . »

Dans la traduction des Quatrains de Khèyam, dansune note de bas de page, J. B. Nicolas explique au sujet du bœuf : « la légende persane […] dit que le globe terrestre repose sur la corne d’un taureau, lequel se trouve posé sur un énorme poisson qui nage dans la grande mer qui entoure la terre. Lorsque ce taureau est fatigué de porter le monde sur l’une de ses cornes, il le lance légèrement dans l’espace pour le recevoir sur son autre corne. De là les tremblements de terre 212 . » Il serait nécessaire de préciser que le mot «گاو » (ou «ﮔﻮ »), cité dans le quatrain concerné est le seul mot en persan qui désigne à la fois la vache, le bœuf et le taureau. Nicolas, dans sa traduction, a choisi le taureau, terme qui est employé en astrologie.

A la fin de « Le Corbeau », Hugo compare « l’immensité » à un « bœuf laissé dans un champ ténébreux ». Dans la mesure où il est question du Zoroastrisme dans ce poème, nous pouvons penser qu’Hugo fait allusion à cet animal sacré dans cette religion. En l’occurrence, la terre ne repose plus sur la corne du bœuf mais elle est labourée par celui-ci :

‘« L’immensité, pareille au bœuf qu’un laboureur
A laissé dans un champ ténébreux, et qui beugle,
O nuit, s’éveillera le lendemain aveugle,
Et, dans l’espace affreux sous la brume enfoui,
L’astre éteint cherchera le monde évanoui !- » 213
Notes
208.

La Fin de Satan, Dieu, éd. cit., pp. 409 et 410.

209.

Ibid., p. 410.

210.

Ibid., pp. 412 et 413.

211.

Amuzgâr Žâle et Tafazzoli Ahmad. [le Mythe de la vie de Zoroastre]. Téhéran, édition Našr Cešme, 1996, p. 35.

212.

Nicolas J. B. Les Quatrains de Khèyam (traduction). Paris, Imprimerie Impériale, 1867, note n°2 du quatrain 338, pp. 168 et 169.

213.

La Fin de Satan, Dieu, éd. cit., p. 414.