e) La mort

‘Lahor : « […] Vague étincelle entre deux nuits,
Qu’est l’existence fugitive 285  ? »’ ‘Xayyâm : « Puisque la durée d’un jour n’est que de deux délais, […] tu ne retrouveras plus ton existence écoulée 286 . »’

Ailleurs :

‘Lahor : « Et maintenant, mon adorée,
Comprend-tu que tout est néant 287 … »’ ‘Xayyâm : « Sois attentive, amie, […] car ce royaume de grâces que tu possèdes ne durera pas toujours 288 … »’

Ou bien :

‘Lahor : « Au sein de l’Océan la goutte d’eau gémit ;
L’Océan lui répond : « S’il est quelque distance
Entre nous deux encor, c’est ton cœur qui la mit :
Meurs, et tu seras Dieu, rentrée en ma substance 289 . »’ ‘Xayyâm : « La goutte d’eau s’est mise à pleurer en se plaignant d’être séparée de l’Océan. L’Océan s’est mise à rire en lui disant : « C’est nous qui sommes tout ; en vérité, il n’y a point en dehors de nous d’autre Dieu, et si nous sommes séparés, ce n’est que par un simple point presque invisible 290 . » » ’

D’où l’idée du Panthéisme de Jean Lahor ; Nicolas rajoute en note de bas de page 3 : « Ce quatrain renferme le principe fondamental de la doctrine des soufis : ﻞﮐ ﺭﺪ ﻞﮐ, le tout dans le tout, ou ﺖﺪﺤﻮ ﺭﺪ ﺖﺭﺛﮐ ﻭ ﺖﺭﺛﮐ ﺭﺪ ﺖﺪﺤﻮ, l’unité dans la multiplicité, la multiplicité dans l’unité. Dieu est la puissance féconde, il est la vie, il est l’être qui contient tous les êtres. Toute beauté vient de lui, le reflète et retourne à lui. Visible dans tout et partout, il embrasse, il contient en lui l’univers, qui n’en est séparé que par un point imperceptible, lequel distingue le Créateur de la créature et la diversité des créatures entre elles. Ce point disparu, la multiplicité redevient unité. Les êtres, dit le poète, ne sont séparés de la Divinité que comme la goutte d’eau séparée de l’océan, auquel elle appartient, duquel elle sort, dans lequel elle rentre. Ce principe est exprimé par les soufis de mille manières différentes. » Nous constatons que Jean Lahor a épousé l’interprétation mystique de Nicolas dans tous les domaines. Au sujet du Panthéisme, nous rencontrons également un extrait dans La Gloire du néant. Jean Lahor prend de nouveau l’image de la « goutte d’eau » : « Quand tu seras plongé dans l’amour de ton Océan, pauvre goutte d’eau, auras-tu souci de toi-même 291  ? »

Dans le chapitre « La traduction des Quatrains d’Omar Xayyâm en France au XIXe siècle », nous avons étudié le problème de l’interprétation des Quatrains de Xayyâm. Les partisans de l’interprétation mystique, tel Nicolas, voient Xayyâm comme partageant les idées du soufisme. Gide et Renan considèrent pour leur part que Xayyâm est « Mystique en apparence, débauché en réalité, hypocrite consommé mêlant le blasphème à l’hymne mystique, le rire à l’incrédulité 292 . »

Contrairement à Gide et à Renan, Jean Lahor voit en Xayyâm un soufi : « [Aboû-Hâmid-Mohammed al-Ghazali] fut longtemps soufi, c’est-à-dire panthéiste, comme le fut Kheyam, le poète persan, son contemporain 293 . »

Notes
285.

Les Quatrains d’Al-Ghazali, éd. cit., p. 201.

286.

Les Quatrains de Khèyam, éd. cit., p. 10.

287.

Les Quatrains d’Al-Ghazali, éd. cit., p. 36.

288.

Les Quatrains de Khèyam, éd. cit., p. 214.

289.

Les Quatrains d’Al-Ghazali, éd. cit., p. 34.

290.

Les Quatrains de Khèyam, éd. cit., p. 180.

291.

P. 86.

292.

Journal Asiatique, juillet-août 1868, p.56, Renan.

293.

Les Quatrains d’Al-Ghazali, éd. cit., p. I de l’introduction.