C Farid-Ed-Din Attâr

Comme nous l’avons indiqué, Jean Lahor mentionne le nom de Farid-Ed-Din Attâr avec celui de Jâmi dans La Gloire du Néant page 61. Par conséquent, il aurait lu les œuvres d’Attâr traduites au XIXe siècle, du moins Le Langage des oiseaux traduit en prose par Garcin de Tassy et publié en 1857.Dans « L’Océan de l’âme divine », un poème de L’Illusion, Jean Lahor montre qu’il connaît le mythe connu en Perse « des papillons ». Attâr évoque ce mythe à plusieurs reprises dans Le Langage des oiseaux comme référence pour éclaircir d’autres sujets 301 .

En effet, l’anecdote sur les papillons évoque une réunion entre les papillons, désireux de s’unir à la bougie. Tous sont d’accord pour trouver quelqu’un parmi eux qui puisse leur donner des nouvelles de la bougie. Le premier volontaire va jusqu’à un château et à son retour raconte ce qu’il a vu. Mais le Sage prétend que le papillon en question ne connaît rien sur la bougie car la regarder ne suffit pas pour la connaître. Le deuxième volontaire touche la bougie de ses ailes mais de peur de se brûler par le feu, il s’éloigne d’elle et à son retour prétend savoir les secrets mais le sage dit que lui aussi ne connaît rien de la bougie. Un troisième papillon se jette dans les flammes, perd la vie et prend la couleur du feu. Ainsi il s’identifie à la bougie. Le Sage dit que celui-ci est le seul à connaître les secrets en question. Attâr ajoute plus loin que pour s’unir à l’objet de son amour, il importe d’ignorer son propre corps et son âme. Cela rejoint ce qui se passe à la fin du Langage des oiseaux : « [Les oiseaux voient] qu’eux et le Simor[q] ne form[ent] en réalité qu’un seul être 302 . » « Les oiseaux s’anéanti[ssent] en effet à la fin pour toujours dans le Simorq ; l’ombre se perd […] dans le soleil, et voilà tout 303 . » 304

Jean Lahor évoque le même sujet dans « L’Océan de l’âme divine » lorsqu’il dit que « la Mort » lui découvrira tout le secret de « son Maître » avec l’image du papillon qui vient le compléter ensuite. Voici le poème de L’Illusion :

‘L’OCEAN DE L’AME DIVINE
« Lorsque la Mort pour moi lèvera le rideau
Qui cache à l’univers le secret de son Maître,
Tout ce monde à mes yeux comme une goutte d’eau
Disparaîtra devant l’océan de ton être.

Et mon âme éperdue à tes pieds s’abîmant,
Allah, n’aspirera qu’à s’éteindre en ton âme,
Comme l’amante aspire à se perdre en l’amant,
Et le papillon vil à périr dans la flamme 305 . »’

Il serait nécessaire de préciser que dans la poésie persane, le papillon comme le rossignol sont des métaphores pour désigner « l’amoureux ». Le premier est amoureux de la bougie et le deuxième est amoureux des fleurs et de la nature. Dans ce poème, Jean Lahor a choisi le papillon.

Jean Lahor est le seul écrivain français qui se réfère de façon claire et constante à la poésie persane. Il est le seul à lui avoir emprunté non seulement des motifs, des thèmes, une philosophie, mais une forme : le quatrain. Ce qui est gênant, c’est qu’il n’a pas appris la langue et qu’il n’a une connaissance de la littérature persane que par des traductions.

Notes
301.

AttârFarid-ed-din. Le Langage des oiseaux, deuxième édition, préface de Mohammad Roŝan. Téhéran, Negâh, 1998, p. 231 (Discours allégorique de Majnun) ; pp. 231 et 232 (Fin de l’histoire des oiseaux.)

302.

Garcin de Tassy. ’Attar Le Langage des oiseaux (traduction), Paris, Sindbad, 1982, deuxième édition, p. 295.

303.

Ibid., p. 296.

304.

Des explications plus complètes sur Le Langage des oiseaux se trouvent dans l’appendice I, II, C.

305.

L’Illusion, éd. cit., p. 178.