B La rencontre de Judith Gautier avec Mohsen Xân

L’intérêt pour l’Orient s’est probablement révélé très tôt chez Judith Gautier. Il s’enracine à tel point que plus tard, elle est persuadée d’y être allée 308 . Elle prétend pouvoir donner tous les détails de ce voyage imaginaire qui, selon elle, sont exacts par extraordinaire. Elle ajoute que « la cause de cette bizarrerie est sans doute très explicable, mais [qu’]elle [lui] échappe complètement 309 . »

Dans Le Second rang du collier,Judith Gautier fait le récit de sa rencontre amoureuse avec un oriental, Son Excellence le Général Mohsen Xân, chargé, par sa Majesté le Šâh de Perse, d’une mission extraordinaire. Elle admire le talent poétique de ce Général qui imite avec succès Omar Xayyâm. Grâce à celui-ci, elle découvre la poésie persane à laquelle elle prend goût. Elle dit à ce sujet à son père : « D’ailleurs, depuis quelque temps, j’ai une préférence pour une sorte de poésie, toute spéciale, et plus difficile que toute autre, à ce qu’il me semble. C’est Mohsin-Khan qui m’a donné ce goût nouveau, en me récitant des vers de Kheyam, d’Hafiz ou de Saadi… C’est tout court, ces poèmes persans : un distique, un quatrain ; mais c’est parfait et complet, comme une perle ou un diamant. Même à travers la prose et la gaucherie du mot à mot, on comprend ce que cela doit être 310 . »

Plus tard, en 1886, elle publie Iskender qu’elle dédie à Mohsen Xân. La rencontre amoureuse entre Judith Gautier et Mohsen Xân et celle de Rouscheneck et Bithekoum dans Iskender ont peut-être certains points communs.

Bithekoum, l’envoyé d’Eskender, en contemplant pour la première fois Rouscheneck, la fille du roi, se dit : « Voici une fleur […] qui a été dérobée au jardin d’Ormuz 311 . » Cette phrase ressemble à celle qui est adressée par le Général Mohsen Xân à Judith Gautier dans Le Second rang du collier : « Vous êtes comme une plante née par hasard dans un sol étranger 312 … »

Bithekoum rencontre Rouscheneck lors de sa promenade le long du fleuve tout comme Mohsen Xân rencontre Judith Gautier lors de sa promenade sur l’eau.

Mohsen Xân provoque l’indignation de Judith Gautier en lui envoyant un baiser du bout des doigts. Plus tard, cette colère disparaît et se transforme en sentiment amoureux : « Je sentais s’évaporer ma fâcherie, pas très sérieuse, contre un personnage aussi singulier et qui m’était, au fond, très sympathique. Cela m’amusait, maintenant, qu’il y eût un secret entre lui et moi 313 . »

Bithekoum, en entrant sans permission sous la tente de Rouscheneck, agresse l’intimité de la fille du roi Dârâ, d’où la colère de celle-ci. Mais, cette indignation disparaît et Rouscheneck tombe amoureuse de Bithekoum :

‘« Et une langueur inconnue l’envahissait sous le regard ardent et humble de Bithekoum.
- Qui donc es-tu ? murmura-t-elle presque involontairement, et sentant que, malgré elle, s’éteignait la colère de ses regards 314 . »
Comme Judith Gautier, cette rencontre amuse Rouscheneck : « [Elle] se cacha le visage dans ses mains, comme si elle eût été en proie au plus furieux désespoir ; mais, en vérité, elle voilait seulement le joyeux sourire de ses lèvres 315 . »
Pour se racheter, Bithekoum ainsi que Mohsen Xân décident de se tuer même si chez ce dernier, il s’agit plutôt d’un chantage. Voici ce que dit Mohsen Xân à ce sujet : « Si vous ne me permettez pas de demander mon pardon, je me laisse couler et je disparais 316 . » Et voici ce que dit Bithekoum à ce sujet : « - O Rouscheneck […], cesse de te désespérer. De cette existence qui cause ton ressentiment je te délivrerai moi-même.
Il tira brusquement son glaive du fourreau 317 . »’

Notes
308.

Gautier Judith. Le Collier des jours, souvenirs de ma vie. Paris, Imp. Paul Dupont, 1902, p. 182.

309.

Ibid.

310.

GautierJudith. Le Second rang du collier, souvenirs littéraires, préface d’Agnès de Noblet. Paris, L’Harmattan, 1999, p. 282.

311.

Iskender, éd. cit., p. 22.

312.

P. 333.

313.

Le Second rang du collier, éd. cit.,p. 239.

314.

Iskender, éd. cit., p. 24.

315.

Ibid., p. 25.

316.

Le Second rang du collier, éd. cit., p. 243.

317.

Iskender, éd. cit., p. 25.