Le Livre des Rois est l’histoire de l’univers d’après Ferdowsi, depuis la création jusqu’à la conquête arabe. Une cinquantaine de règnes sont évoqués par Ferdowsi depuis Kiumars, le premier roi, jusqu’à Yazdguerd, le dernier roi Sassanide. Parmi eux, figure le règne d’Iskender 318 dans le tome III. Si nous comparons Iskender avec Le Livre des Rois, nous remarquons que Judith Gautier admet entièrement ce qui a été dit dans le recueil de Ferdowsijusqu’à Iskender. A titre d’exemple, dans Le Trône des Kéianis, il a été fait référence au récit de Zal et Roudâbè ainsi qu’au récit de l’amour de Bahman pour sa fille, Homaï et la naissance de Dârâb. Les deux récits sont empruntés sans aucun changement dans Le Livre des Rois, dans la partieprécédant Iskender 319 .
En comparant les deux œuvres, nous remarquons également que l’origine du récit du Trône des Kéianis, hormis la rencontre entre Bithekoum et Rouscheneck, figure dans le tome trois du Šâhnâmè 320 toutefois avec quelques différences. Chez Judith Gautier, Iskender est informé par sa mère sur sa filiation alors que chez Ferdowsi, il en est informé par les sages 321 . Le contenu de cet événement reste le même dans les deux œuvres. La fin du récit du Trône des Kéianis avec l’assassinat de Dârâ et les conseils de ce dernier à Iskender ainsi que la mort des assassins de Dârâ se trouvent également dans Le Livre des Rois 322 .
La plupart des noms des personnages employés par Ferdowsi ont été repris par Judith Gautier dans Le Trône des Kéianis. Dans certains cas, il s’agit des mêmes. Il en est ainsi, entre autres, pour Zahhâk, le roi aux têtes de serpents et pour Kâveh, l’antique forgeron qui soulève le peuple contre Zahhâk.
Dans d’autres cas, il ne s’agit pas des mêmes personnages. Rostam dans Le Trône des Kéianis est le petit-fils de Rostam, le héros du Livre des Rois. Il est habillé comme son aïeul et il a la bravoure de celui-ci. Son cheval est un descendant du cheval de l’aïeul et il est aussi nommé Raxš.
Quelques descriptions des personnages du Livre des Rois ont été reprises dans Le Trône des Kéianis. Ferdowsi compare souvent les personnes de grande taille à des cyprès et les yeux à des narcisses 323 : « Sa taille était haute comme celle d’un noble cyprès 324 … »
Ailleurs : « Ses deux yeux sont comme deux narcisses dans un jardin 325 … »
Judith Gautier reprend les mêmes expressions pour décrire le petit-fils de Rostam : « […] Sa taille haute comme celle d’un cyprès, ses yeux sont deux narcisses, ses bras deux massues 326 . »
Aussi, parfois, quelques descriptions de scènes de guerre ressemblent à celles de Ferdowsi. Nous choisissons, entre autres, un extrait du Livre des Rois à ce sujet : « Lorsque ces deux armées s’ébranlèrent, on aurait dit que les vallées et le désert se mouvaient, le soleil fut obscurci par la poussière […] La terre était remplie de clameurs 327 … »
Nous pouvons comparer ce passage avec l’extrait suivant d’Iskender : « Or, quand cette innombrable multitude de héros se fut mise en marche, la terre trembla et ondula comme une mer, le ciel parut couleur de sandaraque, une poussière épaisse s’éleva dans l’air, et tu aurais dit que le soleil était devenu noir. L’immense bruit de pas de l’armée iranienne emplissait le monde 328 … »
Dans les deux extraits, le soleil est obscurci par la poussière et les mouvements de l’armée font trembler la terre. A la fin, le bruit envahit le terrain.
Parfois, Judith Gautier reprend les proverbes utilisés par Ferdowsi dans Le Livre des Rois. Dans Iskender,lorsque Dârâ envoie un messager à Iskender pour réclamer « le tribut consenti », ce dernier lui répond : « La poule qui pondait les œufs d’or est partie pour l’autre monde 329 . »
Chez Ferdowsi, nous trouvons le même proverbe de la part d’Iskender au messager de Dârâ :
‘چنان بد كه روزي فرستاده اي سخن گوي و روشن دل آزاده ايDans Le Trône des Kéianis,nous trouvons également l’expression la massue à tête de bœuf, employée plusieurs fois par Ferdowsi. Dans l’extrait suivant, Judith Gautier évoque l’utilisation de cette arme par Rostam lorsqu’elle décrit ce héros : « Seul, Rustem, le guerrier aux yeux charmants, n’avait pas reculé. Avec ses guerriers intrépides, il était au milieu de la bataille comme un rocher inébranlable ; les Roumis se brisaient contre lui. La massue à tête de bœuf amoncelait les morts 331 … »
Farsang, le mot d’origine persane, est employé à plusieurs reprises par Judith Gautier. Autrefois, c’était l’unité de distance en usage chez les persans et les arabes.
Alexandre le Grand.
Le récit de Zal et Roudâbè se trouve de la page 48 à la page 63 et le récit de l’amour de Bahman pour sa fille Homaï et la naissance de Dârâb se trouve à la page 340 du Šâhnâmè. Voici le texte de ce dernier récit en persan :
يكي دخترش بود نامش هماي هنرمند و بادانش و پاك راي
همي خواندندي ورا چهرزاد ز گيتي بديدار او بود شاد
پدر در پذيرش از نيكويي بدان دين كه خواني ورا پهلوي
هماي دل افروز تابنده ماه چنان بد كه آبستن آمد ز شاه
چو شش ماهه شد پر ز تيمار شد چو بهمن چنان ديد بيمار شد
چو از درد شاه اندر آمد ز پاي بفرمود تا پيش او شد هماي
بزرگان و نيك اختران را بخواند بتخت گرانمايگي بر نشاند
چنين گفت كاين پاك تن چهرزاد ز گيتي فراوان نبودست شاد
سپردم بدو تاج و تخت بلند همان لشكر و گنج و بخت بلند
وليعهد من او بود در جهان هم آنكس كه زو زايد اندر نهان
اگر دختر آيد ازو گر پسر ورا باشد اين تاج و تخت و كمر
[...] به بيماري اندر بمرد اردشير ز تيمار او دختر دلپذير
پر از خون شد و سوگ بهمن بداشت بسي روزگاران ببد در گذاشت
هماي آمد و تاج بر سر نهاد يكي راي و آيين ديگر نهاد
[...] چو هنگامه زادن آمد فراز ز شهر وزلشكر همي داشت راز
همي تخت شاهي پسند آمدش جهان داشتن سودمند آمدش
نهاني پسر زاد و با كس نگفت هميداشت آن نيكويي در نهفت ...
Šâhnâmè, éd. cit. pp 340 à 351.
Ibid., p. 349.
Voici le texte en persan concernant l’assassinat de Dârâ, ses conseils ainsi que la mort de ses assassins :
همي رفت با او دو دستور اوي كه دستور بودند و گنجور اوي
مهين بر چپ و ماهيارش براست چو شب تيره گشت از هوا باد خاست
يكي دشنه بگرفت جانوسيار بزد بربر و سينه شهريار
نگون شد سر نامبرار شاه وزو باز گشتند يكسر سپاه
بنزديك اسكندر آمد وزير كه اي شاه پيروز و رامش پذير
بكشتيم ما دشمنت ناگهان سر آمد برو تاج و تخت مهان
چوبشنيد گفتار جانوسيار سكندر چنين گفت با ماهيار
كه دشمن كه افكنددي اكنون كجاست ببايد نمودن بما راه راست
برفتند هر دو به پيش اندرون دل و جان رومي پر از خشم و خون
چو نزديك شد روي دارا بديد پر از خون بروروي چون شنبليد
بفرمود تا باره بگذاشتند دو دستور او را نگه داشتند
نگه كن بفرزند و پيوند من بپوشيده رويان دلبند من[…]
ز من پاك تن دختر من بخواه بدارش به آرام در پيشگاه
كجا مادرش روشنك نام كرد جهان را بدو شاد و پدرام كرد
نيابي ز فرزند من سرزنش نه بيغاره از دشمن بد كنش
چو پردخت از آن دخمه ارجمند ز بيرون بزد دارهاي بلند[…]
يكي دار بر نام جانورسيار دگر همچنان از در ماهيار
دو بدخواه را زنده بر دار كرد سر شاه كش را نگونسار كرد
ز لشكر برفتند مردان جنگ گرفته يكي سنگ هريك بچنگ
بكشتند بر دارشان زار و خوار مبادا كسي كو كشد شهريار...
(Šâhnâmè, éd. cit. pp 349 et 350.)
Ceci n’est pas propre à Ferdowsi, d’autres poètes persans emploient également ces expressions. Dans l’extrait suivant, Hâfiz compare la taille du bien aimé au cyprès : « Des yeux charmeurs je suis esclave
- et de la taille de cyprès… » (L'amour, l'amant, l'aimé, Hâfez Širâzi Šams Eddin Mohammad.Cent ballades du Divân choisies, traduites du persan et présentées par Vincent Mansur Monteil en collaboration avec Akbar Tajvidi. Paris, Sindbad/ Unesco, 1989, p. 73.)
Ferdowsi. Le Livre des Rois, traduit du persan par Jules Mohl, choix et présentation de Gilbert Lazard. Paris, Sindbad, 1979, p. 43.
Ibid., p. 44.
Iskender, éd. cit., p. 50.
Le Livre des Rois, traduction, éd. cit. pp. 229 et 230.
Iskender, éd. cit., p. 53.
P. 6.
Šâhnâmè, éd. cit. p 346.
Iskender, éd. cit., p. 56.