Chapitre V. André Gide et la Perse

Dans Les Nourritures terrestres,nous avons certains passages où Gide évoque des poètes persans : « Les cèdres de l’Elbrouz fatigués d’être nés déjà séculaires 378  » ; « Je rêve aux jardins de Mossoul ; on m’a dit qu’ils sont pleins de roses. Ceux de Nashpur, Omar les a chantés, et Hafiz les jardins de Chiraz ; nous ne verrons jamais les jardins de Nashpur 379  » ; « Et je songe à toi, petit café de Shiraz, café que célébrait Hafiz ; sur la terrasse où l’atteignent des roses, Hafiz qui, près de l’échanson endormi, attend, en composant des vers, attend le jour toute la nuit 380 . » 

‘« On a dit au loin que je faisais pénitence
Mais qu’ai-je à faire avec le repentir 381  ? » ’

En examinant ces occurrences dans leur contexte nous apercevons qu’ils s’inscrivent dans des passages où il est question de thèmes généraux ou de lieux connus et qui ne posent pas de difficultés de compréhension. Ainsi Gide aborde le thème de la montagne d’une façon très précise avec « l’Elbrouz », le lieu de vie de Simorq 382 cité à plusieurs reprises dans Le Livre des Rois deFirdûsî et dans Le Langage des oiseaux de Farid-Ed-Din Attâr, pour continuer avec un terme général : « [l]es monts ». Au sujet des jardins, il cite « Biskra », « Tunis », « Alger », « Blidah », villes d’Afrique du Nord connues de tous et il ouvre une brève parenthèse avec « Nashpur », lieu de naissance de Xayyâm et « Shiraz », ville natale de Hâfez. La référence à ces noms de lieux persans paraît surprenante d’autant plus qu’elle représente une infime partie de l’œuvre. A la page 124, Gide évoque les cafés d’Italie, d’Algérie et termine par un « petit café de Shiraz » « célébr[é] » par Hâfez. La page 152 est consacrée au thème du regret et au beau milieu figure une citation de Sa’di sans lien avec le texte, sans aucune indication de source et sans suite. Aucune explication n’est fournie par Gide concernant la biographie et l’œuvre de ces auteurs, précisions qui pourraient aider le lecteur à interpréter ces allusions. On peut s’interroger sur les raisons de la présence de ces auteurs sans aucun développement conséquent.

Ces citations ne sont pas, comme le laisseraient penser les apparences, sans rapport avec l’œuvre. Elles laissent transparaître les sources persanes de Gide. Il s’est réellement inspiré de ces poètes tant pour la structure que pour le contenu. Cette influence peut être confirmée par l’épigraphe empruntée à Hâfez au livre premier :

‘« Mon paresseux bonheur qui longtemps sommeilla
S’éveille 383 … »’
Notes
378.

P. 41.

379.

P. 57.

380.

P. 124

381.

P. 152.

382.

Le Simorq est un oiseau légendaire de la mythologie et de la littérature persanes. Dans l’Avesta c’est un oiseau sacré dont le nid se trouve sur un arbre qui a surgi au milieu d’une mer immense et d’où proviennent les semences de toutes les plantes du monde. Dans Le Livre des Rois, cet oiseau fabuleux qui vit en haut de l’Elbourz sauve Zâl de la mort et protège Rostam, le héros de ce livre. Dans Le Langage des oiseaux, le Simorq est le symbole de la félicité.

383.

P. 17.