En parcourant Les Nourritures terrestres, nous nous rendons compte que le narrateur s’exprime à la première personne du singulier : « Je ne souhaite pas d’autre repos que celui du sommeil de la mort. J’ai peur que tout désir, toute énergie que je n’aurais pas satisfaits durant ma vie, pour leur survie ne me tourmentent. J’espère, après avoir exprimé sur cette terre tout ce qui attendait en moi, satisfait, mourir complètement désespéré 392 . » Cette façon de procéder n’est pas habituelle dans la littérature française. Wilde critique Gide pour avoir utilisé le « je » : « Ecoutez, dear, il faut maintenant que vous me fassiez une promesse. Les Nourritures terrestres, c’est bien… c’est très bien… Mais, dear, promettez-moi : maintenant n’écrivez plus jamais JE. » […] Wilde justifie en ajoutant : « en art, il n’y a pas de première personne 393 . »
Or, nous trouvons fréquemment l’usage du « je » dans la littérature persane :
‘« Une nuit, ne pouvant dormir, je m’en souviens,Mais c’est surtout chez Hâfez que cela est récurrent. Dans tous les qazals, le poète parle à la première personne : « Mon cœur, ô Bien-aimé, désire ton visage 395 » ; « Je ne suis pas le seul à être négligent 396 » ; « J’écoute la voix du roseau, celle du luth 397 » ; « Je suis l’esclave du vizir, ce nouvel Acef magnifique 398 . »
Dans tous ces cas, le « je », plutôt qu’un personnage, est une figure abstraite et représente le « nous » dans la littérature française, même si ce « je » se présente d’emblée comme le poète et raconte les événements de sa propre vie.
Gide n’est pas le seul écrivain français à utiliser ce procédé. L’emploi du « je » est courant en particulier depuis l’époque romantique.
P. 21.
Martin Claude. La Maturité d’André Gide , de Paludes à L’immoraliste (1895-1902). Paris, Editions Klincksieck, 1977, p. 219.
Safâ Z. Anthologie de la poésie persane (XI e - XX e siècle), textes traduits par Gilbert Lazard, R. Lescotet Henri Massé, Connaissance de l’Orient, Gallimard/Unesco, 1964, « Saadi », p. 230.
L’Amour, l'amant, l'aimé, éd. cit., p. 45.
Ibid., p. 51.
Ibid., p. 53.
Ibid., p. 61.