Comme nous venons de le montrer, Gide a emprunté l’apparence de désordre des Nourritures terrestres au Recueil de Hafêz. Cependant la source la plus évidente pour la répartition en huit chapitres et le style fait à la fois de prose et de vers est le Golestân. Ce mot qui est composé de «gol» signifiant «fleur» et du suffixe «stân» signifiant «le lieu de» est le titre du deuxième ouvrage de Sa’di écrit en 656 de l’Hégire (1258 ap J-C), et qui porta à son apogée la technique de la prose. Mais dans cet ouvrage en prose on rencontre également des poèmes. Les vers se fondent dans la prose si bien que le lecteur, plongé dans sa lecture, ne perçoit pas le passage de l’un à l’autre :
‘« J’ai vu un homme pieux amoureux d’un garçon dont le secret fut dévoilé. Malgré les reproches et les blâmes de son entourage, il ne renonça pas à son amour. Il s’écriait :J’ai essayé de le raisonner. Je lui ai demandé comment il était possible que la passion ait convaincu sa raison 399 . »
Or nous pouvons remarquer le même principe dans Les Nourritures terrestres :
‘« A chaque auberge me saluait une faim ; devant chaque source m’attendait une soif- une soif, devant chacune, particulière ; - et j’aurais voulu d’autres mots pour marquer mes autres désirsOu encore dans l’extrait suivant du Golestân on retrouve la même forme de mélange mais avec des proverbes, des extraits du Coran et des hadis :
‘« Le prophète Moïse (que la paix soit avec lui !) vit un jour un pauvre qui, pour couvrir sa nudité, s’était caché dans le sable, et qui lui cria [de prier pour lui le très-Haut, afin qu’il lui donne les choses nécessaires à la vie, car il mourrait de faim et de froid 401 .] Moïse pria pour lui. Quelques jours après, revenant d’offrir un sacrifice à Dieu, il trouva ce même homme enchaîné et environné d’une multitude de peuple. Il demanda ce que c’était. On lui dit que cet homme avait bu du vin, qu’il avait ensuite eu une querelle et tué un homme, et que tout ce peuple s’était assemblé pour assister à son supplice.Les huit chapitres du Golestân ont pour structure dominante le hékâyat (récit) et le but de la plupart est l’éducation, la purification de l’esprit. Le sujet principal est la morale, mais l’esprit mystique de Sa’di transparaît également à travers sa prose : « Les richesses nous ont été données pour adoucir l’amertume de la vie et non la vie pour entasser des richesses. On demandait un jour à un sage quel était l’homme le plus heureux et le plus malheureux. « L’homme heureux, dit-il, est celui qui mange après avoir semé ; le malheureux, celui qui meurt au milieu de ses épargnes 407 … » » Le Golestân est le fruit des études, des divers voyages et rencontres du poète persan qui se rendit en Irak, en Syrie, au Héjaz, en Afrique du Nord et selon certaines sources en Inde, en Asie Mineure et en Azerbaïjan 408 . Les Nourritures terrestres ressemblent par certains aspects à un journal de voyage : « Honfleur (dans la rue) 409 » ; « Villa Borghèse » ; « Adriatique (3 h du matin) 410 » ; « Colline de Fiesole » ; « Rome, Monte Pincio 411 » ; « Le voyage en diligence 412 » etc. Le livre peut aussi apparaître comme un traité de morale destiné à l’éducation de Nathanaël : « Toute chose vient en son temps Nathanaël […] Nathanaël, ne crains pas que j’abuse de cette forme d’apologue, car je ne l’approuve pas beaucoup. Je ne veux t’enseigner d’autre sagesse que la vie 413 » ; « Nathanaël, le malheur de chacun vient de ce que c’est toujours chacun qui regarde et qu’il subordonne à lui ce qu’il voit […] Nathanaël, je voudrais te faire naître à la vie […] Nathanaël, je veux t’apprendre la ferveur. Nathanaël, car ne demeure pas auprès de ce qui te ressemble ; ne demeure jamais, Nathanaël 414 . » Etc.
Golestân de Sa’di in Colliyâte de Sa’di, textes présentés par Foruqi Mohammad Ali. Téhéran, éditions Negâh, 1994, chapitre cinq, p. 119.
Pp. 32 et 33.
La partie entre les crochets est modifiée pour la rendre plus facile à lire.
Nous avons traduit littéralement cette partie en vers. Elle a été traduite en prose par le traducteur.
Nous avons modifié cette partie de la phrase entre les crochets.
Ce paragraphe est en partie en arabe dans le texte.
Sa’di. Le Jardin des roses, traduit du persan par J. Gaudin. Paris-Genève, Editions Slatkine, 1995, chapitre 3, pages 142 et 143.
P. 39.
Le Jardin des roses (traduction), éd. cit., chapitre VIII, p. 249.
Voir Appendice I, II, D.
P. 46.
P. 49.
P. 50.
P. 95.
P. 43.
P. 44.