III.Conclusion de la situation A1

D’après l’analyse de la situation A1 nous avons remarqué que, bien que le texte des activités (expérience 1 et expérience 2) demande d’abord une observation (monde perceptible) puis une interprétation, les étudiants se lancent directement dans le monde reconstruit avant même d’identifier expérimentalement la nature des produits des réactions. Pour l’expérience 1et pour identifier le dépôt d’argent formé, J&C ne se sont pas appuyés sur les observations expérimentales mais ils ont appliqué en premier lieu le modèle des couples de charges.

Pour rendre compte des observations expérimentales, les apprenants se mettent directement dans le monde reconstruit et guident les observations. Pour l’expérience 2 et pour les binômes J&C et Y&B, le signe négatif de la ddp est observé , mais nous avons vu que les étudiants n’arrivent pas à accepter l’idée que la réaction puisse se passer dans l’autre sens. Ils répondent alors que la réaction ne se passe plus.

Afin d’interpréter les observations et de donner un sens aux événements observés, nous avons aussi constaté que les étudiants partent directement de l’écriture de l’équation de la réaction ; il s’agit alors du modèle de la réaction directe pour lequel le raisonnement commence par l’écriture de l’équation de la réaction (Van Driel, 1998). En effet pour prévoir si la réaction inverse peut se passer, J&C commencent par l’écriture de l’équation de la réaction, ils la confirment par des observations expérimentales prévues et c’est par la suite qu’ils se demandent si la réaction qu’ils ont décrite est possible :

J 51 : les ions Cu2+ vont réagir avec les ions avec les Ag pour donner Ag+

J, C-52-53 : c’est à dire on va avoir la lame de la lame d’argent c’est la source des ions Ag et la solution va nous donner des ions Cu2+ ce qui donnerait la formation d’une (…) d’une couche sur la lame d’argent qui sera de couleur bleu due aux ions cuivre

C 54 : mais est-ce qu’elle est possible cette réaction ( ?) je me demande si elle est possible ( ?)

Pour interpréter les réactions chimiques qui se sont déroulées, nous avons repéré pour les différents binômes, l’usage intensif des pouvoirs oxydants, des pouvoirs réducteurs et du modèle des potentiels de référence qui s’appuie aussi sur la comparaison des potentiels E°. Nous avons aussi rencontré d’autres argumentations telles que le transfert électronique et la conduction sur les quels se sont appuyés les binômes S&A et K&F pour interpréter l’expérience 2.

Les étudiants essayent par la suite de donner un sens à cette équation bilan dans le monde perceptible; ils donnent alors plus de précisions et essayent de relier l’équation de la réaction à ce qui a été observé expérimentalement.

Face à des situations où la réaction se passe dans le sens inverse de celui qui a été prévu, nous avons remarqué que bien que les étudiants voient qu’il se passe un événement, ils répondent instantanément qu’il ne se passe rien. Ceci peut être déduit du sens déjà défini dans la réponse ultérieure, ou être dû à une méta connaissance qui s’appuie sur l’irréversibilité de la réaction chimique. Cette irréversibilité de la réaction chimique n’est qu’une déduction faite à partir du modèle des potentiels de référence. En fait, ce modèle ne prend pas en compte la réversibilité d’une réaction chimique, car il ne prévoit qu’un seul sens de l’évolution d’un système chimique.

Nous remarquons aussi que, face à une situation où on fait mesurer aux étudiants une tension et on la fait changer de signe grâce à une perturbation apportée au système, les apprenants ne comprennent pas que la réaction s’est inversée.

Comme application à l’enseignement, nous proposons l’explicitation du lien entre la mesure de la différence de potentiel et la grandeur centrale E. Ce lien devrait être fait aussi fréquemment que possible car la relation entre la mesure de la tension et la grandeur prédictive E n’est pas évidente pour les apprenants ; en effet, le fait que la ddp devienne négative est observé, mais les étudiants n’arrivent pas à accepter l’idée que la réaction puisse se passer dans l’autre sens.

Aussi pour aboutir à une meilleure efficacité de l’usage des modèles prédictifs, les situations expérimentales, mettant en jeu un système oxydoréducteur auquel on apporte une perturbation qui fait inverser son évolution, pourraient aider les apprenants à expliciter et à remettre en question leurs modèles prédictifs. En effet ce type de situation pourrait aider l’apprenant à se rendre compte que le modèle des potentiels de référence n’est pas valable à n’importe quelles conditions mais qu’ils y a d’autres paramètres qui déterminent l’évolution du système et qui peuvent même inverser cette évolution.

Une étude similaire a été menée à propos de la compréhension des étudiants de la nature descriptive et prédictive des modèles d’enseignement en chimie organique. Treagust et al (2004) ont montré que la majorité des étudiants impliqués dans leur étude ont une certaine compréhension de la nature descriptive des modèles d’enseignement mais leur compréhension de la nature prédictive était limitée, malgré leur expérience dans l’usage des variétés des représentations en classe.

A la lumière de leurs résultats , les auteurs suggèrent que les modèles d’enseignement doivent être utilisés pour prévoir, tester et évaluer les conceptions d’une manière similaire avec laquelle les scientifiques utilisent un modèle scientifique.

A partir des résultats de la situation A1 et des travaux de Treagust et al, nous proposons d’expliciter l’usage prédictif des modèles d’enseignement en utilisant les modèles pour répondre aux questions chimiques sans apprécier la valeur du modèle dans la détermination de la connaissance. Ces résultats impliquent que pour ces étudiants la compréhension théorique des modèles scientifiques n’est pas nécessairement reliée aux applications pratiques du modèle d’enseignement.