Conclusion

Nous avons centré notre travail sur l’analyse des activités cognitives des apprenants quand ils appréhendent des concepts fondamentaux en chimie, en nous intéressant à l’usage qu’ils font de différents modèles. En analysant les niveaux de modélisation qu’ils mobilisent lors d’activités mettant en jeu des expériences, nous nous sommes proposés de voir si l’enseignement d’un nouveau modèle, plus élaboré qu’un ancien mais traitant du même domaine, pose des difficultés spécifiques. Nous avons essayé de voir ce qui fait qu’un apprenant utilise plutôt l’ancien ou le nouveau modèle et s’il parvient à discerner les attributs et la validité de chacun d’eux.

Nous avons analysé l’activité cognitive des apprenants quand ils appréhendent des concepts fondamentaux d’atomistique (atomes, ions, molécules, liaisons chimiques, réactions chimiques) en relation avec l’appropriation du sens des demi-équations en oxydoréduction.

En faisant l’hypothèse que c’est avec les notions utilisées par les élèves que ces derniers vont pouvoir construire de nouvelles connaissances, nous avons repéré une importante mobilisation des représentations et des propriétés dans leurs réponses. Nous avons également constaté que les réponses non complètes aux questions posées présentent fréquemment des niveaux de représentation et beaucoup moins des niveaux d’événement que les réponses complètes. Ceci témoigne que les élèves qui fournissent des réponses non complètes sont plutôt enclins à représenter les transformations chimiques, c’est-à-dire à donner les équations, qu’à en traiter véritablement ; ils représentent aussi schématiquement les liaisons et les atomes, mais donnent rarement des explications des phénomènes chimiques et des événements qui régissent la formation d’une liaison covalente par exemple. Nous avons aussi pu montrer (par une étude de corrélations entre un grand nombre de réponses) que les apprenants remplacent souvent des événements par des représentations.

Les concepts fondamentaux d’atomistique semblent ne pas être manipulés pour eux-mêmes à partir de leur définition ou de leurs propriétés. Les élèves manipulent principalement les représentations symboliques de ces concepts, en utilisant des règles régissant ces symboles, même si elles n'ont pas été enseignées, même si elles sont incorrectes. Ce fonctionnement du savoir ne permet pas d'aboutir aux conclusions attendues par l'enseignant et s’écarte du sens que porte le concept de réaction chimique. Cette dernière ne semble ainsi pas, pour les élèves, être considérée comme une réorganisation d'objets (atomes, électrons) mais résulte d'une manipulation de symboles.

En partant de l’hypothèse que l’apprentissage se fait en relation avec l’utilisation des modèles, nous avons construit des situations expérimentales qui font fonctionner différentes connaissances et différents modèles de prédictions de l’évolution d’un système oxydoréducteur. Pour décrire et analyser l’usage que font les apprenants de ces modèles, nous nous sommes appuyés sur des situations qui se sont révélées adidactiques et sur le rôle rétroactif du milieu qui peut aider l’apprenant à changer de modèle prédictif quand l’observation ne confirme pas la prédiction. Nous avons également mis les étudiants dans une activité de résolution coopérative de problème. Leur discours nous ont alors permis de prendre en compte un ensemble d’attitudes cognitives, telles que les stratégies adoptées, relatives à la situation problème.

L’analyse menée à partir de l’étude des verbalisations des étudiants montre que pour rendre compte des évènements observés, les apprenants se mettent directement dans le monde reconstruit et guident les observations. Ils partent directement de l’écriture de l’équation de la réaction ; il s’agit alors du modèle de la réaction directe pour lequel le raisonnement commence par l’écriture de l’équation de la réaction dans le sens direct. Nous avons également remarqué que les apprenants mobilisent le modèle de couple de charges pour l’identification des couples mis en jeu et aussi pour l’identification des précipités et des entités formés.

Pour prévoir les réactions chimiques qui peuvent se dérouler, nous avons repéré, pour les différents binômes, l’usage intensif des pouvoirs oxydants, des pouvoirs réducteurs et de la règle du gamma ou du modèle des potentiels de référence. Ce modèle et celui de l’équation directe s’avèrent être le moyen le plus simple, car ils mettent en jeu moins de paramètres que le modèle de Nernst. Les différents binômes arrivent rarement à mobiliser les concepts de base (concentration et transfert d’électrons) pour construire le modèle de Nernst, mais ils substituent ces concepts par un formalisme qui empêche l’apprentissage et qui se restreint à un équilibrage d’équations chimiques. Les étudiants comparent des potentiels de référence même lorsqu’on leur demande explicitement de comparer des potentiels des couples mis en jeu.

Nous avons aussi constaté que les apprenants s’appuient sur l’irréversibilité de la réaction chimique. Cette irréversibilité de la réaction d’oxydoréduction n’est qu’une déduction faite à partir du modèle des potentiels de référence qui ne prend pas en compte la réversibilité d’une réaction chimique, car il ne prévoit qu’un seul sens de l’évolution d’un système chimique.

Nous pouvons conclure, que pour interpréter l’évolution d’un système oxydoréducteur, les différents binômes ont mobilisé principalement cinq modèles : le modèle de la réaction directe, le modèle de Le Chatelier, le modèle de couples de charges, le modèle des potentiels de référence, et le modèle de Nernst. La justification de l’usage des quatre premiers modèles appliqués par les binômes témoigne, d’après les niveaux de modélisation impliqués, d’une riche activité cognitive. En comparant les niveaux de modélisation qui doivent être impliqués, d’après l’analyse a priori, aux niveaux mobilisés par les binômes; nous constatons que les binômes ont articulé plus de niveaux, mais ils ne sont pas arrivés à fournir la bonne réponse. Ceci s’explique par le fait que la grandeur concentration, qui est une grandeur de base pour construire le modèle de Nernst, est rarement évoquée.

La synthèse des résultats montre que, comme en seconde et en première, pour construire leur raisonnement, les élèves ne font pas appel aux concepts fondamentaux mais aux représentations. Dans le cas de la seconde et de la première c’était les représentations et les équations, dans notre cas c’est le modèle de couple de charges, le modèle de la réaction directe, le modèle de Le Chatelier et principalement le modèle des potentiels de référence ou la règle du gamma. Ceci nous mène à conclure que les notions sur les électrons qui n’étaient pas bien comprises lors de l’apprentissage fondamental, ne sont pas bien utilisées ultérieurement. Aussi les étudiants n’arrivent pas à faire le lien entre l’évolution du système chimique et les concentrations des entités présentes dans ce système. Dans les deux cas, au secondaire et au supérieur, les connaissances de base, électrons et concentration, sont remplacées par des formalismes qui empêchent l’apprentissage.