5.2. Le narrateur.

Ce qui pose problème dans cette partie, c'est qu'aussi bien dans le premier que le deuxième texte le narrateur, en tant qu'instance médiatrice13, oublie, multiplie les erreurs, et se contredit, ce qui fait que le lecteur décide de prendre ses distances par rapport à lui.

Nous allons voir que le lecteur finit par "retirer" sa confiance, en rompant le "contrat fiduciaire14" qui le lie au narrateur qui paraît inapte à prendre en charge la narration. En effet, ce narrateur emploie plusieurs noms pour le même personnage, bascule d'un temps verbal passé (l'imparfait par exemple) au temps verbal présent ou futur, sans la moindre justification, n'arrive pas à déterminer le nombre exact des dromadaires avec l'emploi de "ou" dans l'exemple suivant:

‘Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires. p7 ’

; si dans le dernier extrait il emploie "dromadaires", quelques lignes après il utilise "chameaux":

‘Le sable fuyait autour d'eux, entre les pattes des chameaux...p7 ’

S'il affirme que les hommes (les nomades) marchaient dans un monde étranger:

‘Plus loin encore, les hommes marchaient dans le réseau des dunes, dans un monde étranger. p23 ’

, quelques lignes après il se rétracte et se dédit, en affirmant que "c'était leur vrai monde":

‘Mais c'était leur vrai monde. Ce sable, ces pierres, ce ciel...p23’

Nous verrons aussi que le lecteur ne peut pas omettre de noter que ce narrateur est "subjectif", trop même, à travers les multiples traces linguistiques de sa présence dans les deux textes.

L'effet esthétique (ou de sens) mis en avant consiste à s'interroger sur le degré de confiance que le lecteur doit accorder au narrateur qui, même en n'oubliant pas et en ne commettant pas les erreurs comme le fait celui de Désert, peut très bien "trahir" cette confiance. Pour le dire autrement, disons que le lecteur, mis à part le cas particulier de Désert, doit s'interroger, à chaque fois qu'il lit un roman, sur le statut du narrateur et sur le degré de confiance qu'il peut accorder à ce qu'il dit.

Notes
13.

Pour V. Jouve "l'instance narratrice a pour fonction principale de servir de relais entre le lecteur et les personnages", (1992: 17).

14.

Le contrat fiduciaire est une notion empruntée à la sémiotique de A. J. Greimas: voir plus bas sa définition.