5.3. Le discours rapporté.

Comme pour la problématique du point de vue, le lecteur se trouve toujours devant cette impossibilité d'attribuer, dans certains exemples, le discours rapporté (qu'il soit un discours direct, un discours indirect, un indirect libre ou direct libre), et cela à cause de l'absence de coopération de la part du texte qui ne fournit pas l'information suffisante: en effet parfois le lecteur se trouve devant un discours direct libre, ou un discours indirect libre, avec les différentes marques d'énonciation comme les déictiques, les discordanciels15 de diverses natures...sans qu'il puisse en déterminer de façon précise la source.

Pour ce qui concerne le discours direct, nous verrons que:

  • outre l'absence des incises de type: X dit: "je pars", qui laisse le lecteur devant des DD sans source énonciative (comme nous l'avons vu pour les discours direct et indirect libres);

d'autres problèmes se posent comme:

  • la présence de discours directs réduits à un seul mot sans valeur informative;
  • des DD qui, au lieu de contribuer à libérer la parole ne font que la bloquer avec ces multiples répétitions dues aux hésitations, les ruptures au niveau des thèmes avec des personnages qui basculent d'un thème à un autre sans lien les uns avec les autres comme ce DD entre Lalla et Paul Estève (deuxième texte), où le lecteur passe:
    • de la réaction passionnelle de P. Estève: "ça, ça m'a fait quelque chose ! c'est terrible";
    • à la phase qui consiste à se présenter (ou le rituel de la présentation): "c'est ― Je m'appelle Paul, Paul Estève, et vous ? Vous parlez français ?":
‘"Quand je vous ai vue tomber, comme ça, devant moi, ça, ça m'a fait quelque chose! C'est la première fois que cela vous arrive? Je veux dire, c'est terrible, avec tout ce monde, là, dans l'avenue, les gens qui étaient derrière vous ont failli vous marcher dessus, et ils ne se sont même pas arrêtés, c'est ― Je m'appelle Paul, Paul Estève, et vous? Vous parlez français? pp280-281 ’

Même remarque pour ce qui concerne le DD entre Nour et le cheikh (premier texte, chapitre deux), où la rupture thématique est fréquente à cause des hésitations de Nour.

  • parfois le DD se trouve réduit à une seule voix sans la coopération de la part de l'autre: c'est le cas notamment du DD entre Lalla et Paul Estève, où ce dernier parle seul sans la moindre "réaction" de Lalla, (chapitre deux, deuxième partie);
  • il y a des DD qui, au lieu de résorber le conflit, contribuent au contraire à l'accentuer ce qui a pour conséquence de le mener droit à la rupture entre les personnages;
  • il existe des DD dont une partie se trouve en dehors des guillemets; c'est le cas de l'exemple de la page 241 où le lecteur ne comprend pas pourquoi les propos du guerrier aveugle prennent la forme d'un DD, alors que ceux de Nour sont situés en dehors du même DD:
‘"Où est-ce que nous sommes? Est-ce que c'est ici ?" demandait le guerrier aveugle. Nour lui expliqua qu'on avait franchi le désert, et qu'on n'était plus très loin du but. p241’

Que ce soit au premier ou au deuxième texte, le discours direct est fortement déstabilisé: absence d'incises, hésitations, basculement d'un thème à l'autre, ouverture des guillemets pour les refermer aussitôt, valeur informative insignifiante, réduction à une seule voix et coopération nulle de la part de l'un des partenaires, accentuation du conflit au lieu de son "absorption". Nous verrons que l'effet de sens (ou l'effet esthétique) que le lecteur se doit de sélectionner consiste à poser que le discours rapporté, en tant que l'une des composantes de base du roman, est sapé pour les diverses raisons que nous avons vues.

Notes
15.

Discordanciel est emprunté à L. Rosier (1999): nous verrons dans l'étude consacrée au discours rapporté ce que recouvre cette notion.