5.6 Le temps.

Cette étude sur le temps est divisée en deux parties: la première se propose d'étudier le temps fictif, ou ce temps tel que vécu par les personnages, tandis que la deuxième consiste à étudier les temps verbaux.

5.6.1 Le temps vécu par les personnages.

Le moment initial s'avère être important vu la profusion d'expressions relatives à ce moment; à la fin du livre le lecteur apprend que Lalla donne naissance à un enfant (la naissance est le commencement d'une vie), laissant la possibilité ouverte à d'autres chroniques20, et la promesse d'un autre livre.

Le temps lointain, est regretté car il est irréversible, mais il reste "vivant" à travers les chants, et les histoires: ainsi par exemple Lalla n'arrive pas une première fois à se souvenir des paroles de la chanson de sa mère (chapitre neuf, première partie), mais après quand elle demande à sa tante Aamma de la lui fredonner, elle fond en larmes car la chanson lui fait revivre enfin des moments passés fort lointains (chapitre onze, première partie).

Le temps permanent est recherché, c'est pourquoi Lalla se hâte souvent pour voir le Hartani et ses amis les bergers, dans les collines où le temps ne passe pas:

‘Lalla aime bien venir chez eux, dans cet endroit plein de lumière blanche, là où le temps ne passe pas, là où on ne peut pas grandir. p191 ’

Malgré tout, Lalla est bien consciente que ce temps passe, et à défaut de permanence, c'est un autre temps qui est recherché: il s'agit du temps qui s'étire "lentement" et "longuement"; dans l'exemple qui suit après que l'homme riche est venu une deuxième fois pour l'épouser, Lalla s'enfuit vers les collines où "son corps devenait semblable à celui d'une géante, qui vivrait très longuement, très lentement":

‘Mais Lalla bondit aussi vite qu'elle peut, elle s'en va en courant, sans se retourner, jusqu'à ce qu'elle sente sous ses pieds le sable du sentier qui mène vers les collines de pierres… Chaque fois que Lalla arrive dans ce pays, elle sent qu'elle n'appartient plus au même monde, comme si le temps et l'espace devenaient plus grands, comme si la lumière ardente du ciel entrait dans ses poumons et les dilatait, et que tout son corps devenait semblable à celui d'une géante, qui vivrait très longuement, très lentement. p199 ’

De même que l'emploi abondant d'expressions suggérant l'itérativité comme quelquefois, chaque fois, souvent...comporte selon nous, l'idée d'un temps duratif.

Il y a aussi ce temps qui est vécu dans son opposition, du fait qu'il se trouve régi par deux pôles opposés; c'est le cas de l'exemple suivant où lentement s'oppose à vite:

‘La lumière arrive lentement, dans le ciel d'abord, puis sur le haut des immeubles…p387’ ‘La lumière grandit vite dans le parc, autour des immeubles. p389’

Le temps social est refusé car il se trouve associé à des institutions régies par des normes: ainsi par exemple la société exige:

  • que Lalla se marie, à un certain moment de sa vie (chapitre treize, première partie);
  • que durant le mois du jeûne on ne parle pas, (chapitre onze, première partie);
  • et qu'on aille chercher l'eau et laver le linge quand le soleil est bien haut dans le ciel:
‘Quand le soleil est bien haut dans le ciel sans nuage, Lalla retourne vers la Cité, sans se presser, parce qu'elle sait qu'elle va avoir du travail en arrivant. Il faut aller chercher de l'eau à la fontaine...puis il faut aller laver le linge à la rivière...p85 ’

Le mariage, le travail, et le jeûne sont des institutions sociales qui ont leurs règles contraignantes: ainsi dans l'exemple de la page 85, Lalla retourne sans presser à la Cité "parce qu'elle sait qu'elle va avoir du travail".

Nous verrons que les références au temps mesurable restent rares dans le deuxième texte à part quelques indications comme l'âge de certains personnages (Lalla, les fils d'Aamma...), et une vague allusion au chapitre premier de la deuxième partie à une pendule qui figure le temps des mesures.

Généralement, le temps quantifiable est absent, ce qui pose problème au lecteur qui reste dans l'impossibilité de déterminer avec exactitude combien de temps est passé entre tel et tel événement: ainsi au chapitre premier de la première partie, s'il lit que Lalla est venue à la Cité après la mort de sa mère, il ne sait pas par contre quand cette mère est morte, quand Lalla est venue à la Cité, et enfin combien de temps est passé entre cette mort et la venue de Lalla à la Cité.

Le deuxième texte de Désert reste "muet" aussi quant à l'époque du déroulement de ces évènements; mais c'est au lecteur de déterminer cette époque en inférant à travers les indices disséminés un peu partout dans le texte qu'il s'agit de l'ère moderne avec les moyens de transports comme l'avion, le paquebot, et la voiture avec une marque très connue en l'occurrence Volkswagen; les arts contemporains sont présents aussi comme les bandes dessinées, le cinéma...

Contrairement au deuxième texte, le premier texte comporte des dates comme au chapitre cinq, mais il n'en demeure pas moins que l'indétermination est présente; en effet le lecteur ne sait pas par exemple combien de temps a duré la marche des nomades de la piste du Tindouf (page 233) jusqu'aux monts du Ouarkziz (page 235).

Cette indétermination est soulignée encore à travers l'emploi d'expressions comme "un soir", "depuis des jours"...

Notes
20.

Nous verrons ce que signifie chroniques dans la partie qui lui est consacrée.