6.3. Le narrateur, le lecteur et le principe de contrat fiduciaire selon A. J. Greimas.

Nous allons voir dans cette partie que le narrateur multiplie les signaux pour que le lecteur prenne ses distances par rapport à lui, et qu'il rompe le "contrat fiduciaire" avec une instance qui, le moins que nous puissions dire, est incapable de prendre en charge la narration en utilisant différents noms pour un même personnage, se contredit en affirmant une chose puis quelques lignes après son contraire, n'est pas sûr de sa perception...

Nous verrons plus en détails ces différents indices qui obligent le lecteur à se poser des questions sur ce narrateur.

Cette notion de "contrat fiduciaire" (ou de confiance) est mise en avant par A. J. Greimas. Dans le Dictionnaire raisonné (1979), nous en avons cette définition:

‘Le contrat fiduciaire met en jeu un faire persuasif de la part du destinateur et, en contrepartie, l'adhésion du destinataire22. ’

Cette idée de "contrat fiduciaire" implique de ce fait l'adhésion du "destinataire"; cette idée de "destinataire", nous avons décidé de l'étendre aussi au lecteur.

Cette adhésion basée sur la confiance suppose aussi que nous croyions dans ce que l'autre nous dit; A. J. Greimas affirme dans du Sens II :

‘Le latin credere…couvrait en même temps les champs de signification aujourd'hui séparés, de croyance et de confiance...La confiance entre les hommes, établie et maintenue, fondait la confiance dans leur dire sur les choses. (1983: 116)’

Or, en se basant sur plusieurs indices, nous verrons dans Désert que le lecteur ne croit pas le narrateur, parce qu'il n'a pas confiance en ce qu'il dit.

De même que nous examinerons le postulat de E. Benveniste (1966) selon lequel toute fiction romanesque (rappelons que pour Benveniste la fiction fait partie de l'énonciation historique) est régie par un narrateur objectif:

‘Il faut et il suffit que l'auteur reste fidèle à son propos d'historien et qu'il proscrive tout ce qui est étranger au récit des évènements (discours, réflexions, comparaisons). À vrai dire, il n'y a même plus alors de narrateur. Les évènements sont posés comme ils se sont produits à mesure qu'ils apparaissent à l'horizon de l'histoire. Personne ne parle ici; les évènements semblent se raconter eux-même. (1966: 241). ’

Le problème c'est que Désert contredit cette hypothèse, puisque le narrateur du Désert n'est pas du tout objectif, et se caractérise au contraire par une subjectivité "envahissante".

Notes
22.

Entrée "fiduciaire".